Le groupe EDF et la filière nucléaire dans son ensemble se trouvent aujourd'hui dans une situation difficile dont les symptômes sont connus : défaillance industrielle et financière d'AREVA – aux difficultés de laquelle j'ai pourtant consacré un rapport dès 2011 –, qui est l'un des principaux fournisseurs d'EDF ; dérives financières et temporelles des grands projets du nouveau nucléaire incarné par le réacteur pressurisé européen – European Pressurized Reactor (EPR) –, effondrement du marché de gros de l'électricité dont les prix ne permettent plus de financer les besoins d'investissements à long terme – le plan d'affaires de l'année 2016 ayant dû être révisé à la baisse ; enfin, un mur d'investissement dont le « Grand carénage » qui représente un investissement de 51 milliards d'euros.
Toutefois, les fondamentaux d'EDF demeurent solides et la pérennité et les atouts du groupe ne sont pas remis en cause : celui-ci joue et peut continuer de jouer un rôle de leader sur le marché de l'énergie en France et à l'international.
Mais cela nécessite, tout d'abord, de mener à bien la restructuration de la filière nucléaire engagée par le Président de la République en juin 2015. La feuille de route prévoit la cession d'AREVA NP au groupe EDF afin de renforcer les synergies dans l'ingénierie et la construction de nouveaux réacteurs. La valorisation des activités destinées à être acquises par EDF a été établie à 2,5 milliards d'euros, avec un complément de prix éventuel de 350 millions. Toutefois, EDF ne formulera une offre engageante que si deux conditions sont réunies. La première condition est la mise en place d'un dispositif d'immunisation financière des conséquences du projet finlandais d'Olkiluoto et son cantonnement au sein d'AREVA SA. Or, l'échec récent des négociations avec l'exploitant finlandais TVO rend plus difficile la réalisation de l'opération, qui imposerait le transfert de tous les actifs et contrats commerciaux en cours dans une nouvelle société ad hoc et conduirait à demander de nouvelles autorisations d'exploitation pour les installations concernées. La réalisation du projet serait ainsi substantiellement retardée, ce qui est préoccupant compte tenu des besoins de financement à très court terme de l'entreprise.
La seconde condition est la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) quant à la conformité des cuves de l'EPR de Flamanville, qui doit intervenir au premier semestre 2017. EDF et AREVA nous ont confirmé qu'ils étudiaient l'ensemble des scénarios tout en affirmant ne pas avoir d'inquiétudes quant à la conformité des calottes aux exigences de sûreté. Nous rappelons néanmoins qu'une éventuelle non-conformité de la cuve de Flamanville pourrait être fatale à la filière et avoir des conséquences sur le chantier des EPR chinois à Taishan.
Il est ensuite nécessaire que, face à une concurrence nationale et internationale de plus en plus intense, EDF effectue un saut de compétitivité. Les résultats de l'année 2015 peuvent donner des motifs de satisfaction, dans la mesure où la majorité des objectifs fixés ont été atteints. Ils doivent cependant être remis en perspective, car des efforts d'investissement importants devront être consentis à l'avenir et le niveau d'endettement actuel du groupe est élevé. À la fin de l'exercice 2015, les emprunts et dettes financières atteignaient en effet 64 milliards d'euros, en augmentation de 15 % par rapport à 2014. En cohérence avec la stratégie d'EDF « CAP 2030 », adoptée en 2015, et face à la perspective d'une faiblesse durable des prix de l'électricité – dont EDF n'envisage pas une hausse significative avant trois ans –, le groupe a présenté, lors de son conseil d'administration du 22 avril 2016, un plan d'action visant à inscrire sa gestion et son développement dans une nouvelle trajectoire financière.
Ce plan d'action poursuit trois objectifs : l'optimisation et la sélectivité des investissements, qu'EDF prévoit de réduire de 2 milliards d'euros entre 2015 et 2018 ; la réduction des charges opérationnelles, l'entreprise envisageant de réduire les coûts de 700 millions d'euros en 2018 et d'au moins 1 milliard en 2019 ; enfin, l'élaboration d'un plan de cession d'actifs pour un montant de 10 milliards d'euros entre 2015 et 2020, afin de financer les nouveaux développements du groupe.
Dans ce cadre, la cession envisagée de Réseau de transport d'électricité (RTE) apparaît comme une suite logique de l'évolution des rapports entre les deux entités. Elle doit cependant donner lieu préalablement à l'établissement d'un véritable projet industriel pour le gestionnaire du réseau.
Enfin, il est impératif pour EDF de renouer avec l'excellence dans le domaine du nucléaire et des énergies renouvelables. Un tel objectif passe notamment par la réalisation du projet d'Hinkley Point au Royaume-Uni. En dépit des contraintes financières auxquelles est soumis l'exploitant, nous estimons que, compte tenu de la recapitalisation envisagée par l'État, des efforts de compétitivité et d'organisation consentis par l'entreprise, le risque financier peut aujourd'hui être supporté par EDF de manière raisonnable. Nous rappelons en effet que les aspects contractuels et industriels du projet ont été examinés par des experts indépendants, que l'équilibre du contrat est assuré par un contrat pour différence avec une garantie de prix et une garantie de volume, que le projet est jugé rentable avec un taux de rentabilité prévisionnel proche de 9 %, enfin que les retours d'expérience en cours serviront à la réalisation d'Hinkley Point : les équipes d'EDF et d'AREVA NP travailleront conjointement sur le projet. On peut regretter, à ce propos, que la bataille que se sont livrée les deux entreprises pendant des années ait conduit à la construction de deux têtes de série, en France et en Finlande, au lieu d'une seule. Le délai de construction d'Hinkley Point paraît un peu court mais il est raisonnable, et une éventuelle prolongation ne mettrait pas l'opération en péril.
En tout état de cause, le report du projet n'est pas envisageable. En effet l'EPR nouveau modèle évoqué dans la presse ne pourrait voir le jour qu'en 2028 voire 2030. Or, le précédent gouvernement britannique a clairement exprimé le souhait que la décision finale d'investissement soit prise le plus rapidement possible.
Nous estimons que le projet d'Hinkley Point est essentiel pour restaurer la crédibilité de la filière nucléaire française en démontrant sa capacité à tenir ses engagements et à réaliser de grands projets d'ingénierie dans le nucléaire. En outre, la France aura prochainement besoin de cette expérience pour renouveler son propre parc nucléaire.