Rapporteur spécial des crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles, il m'a semblé important de m'intéresser au lancement prochain de la nouvelle chaîne d'information en continu du service public, prévu pour le 1er septembre à 18 heures sur le canal 27 de la télévision numérique terrestre (TNT).
Au cours de cette mission, j'ai mené une quinzaine d'auditions. J'ai ainsi entendu les quatre opérateurs de l'audiovisuel impliqués, les services de la tutelle, les chaînes privées d'information en continu, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), mais également l'ensemble des syndicats représentatifs des deux principaux partenaires que sont France Télévisions et Radio France.
Les interrogations autour de cette nouvelle chaîne ont été nombreuses, et portent notamment sur son nom, sa numérotation, son coût, son incidence sur un univers médiatique où il existe déjà trois chaînes privées d'information en continu diffusées sur la TNT gratuite, depuis que le CSA a autorisé en avril dernier le passage en gratuit de LCI.
En cinq mois, ce seront donc deux nouvelles chaînes gratuites d'information en continu qui feront irruption dans le paysage audiovisuel, face au leader incontesté du marché qu'est BFM TV, du groupe Next Radio, et face à I-Télé, la chaîne du groupe Canal +.
Si ce projet inquiète, étonne parfois, il n'est pourtant pas nouveau. Il était sur le point d'aboutir en 2002, et a finalement été abandonné in extremis à quelques mois de son lancement au profit, en 2005, d'une nouvelle chaîne d'information internationale, France 24, souhaitée ardemment par le Président de la République de l'époque.
Cet abandon a eu pour conséquence de créer une exception – voire une anomalie – française, puisque la France est le seul pays européen à ne pas avoir de chaîne publique d'information en continu. Il apparaît cependant essentiel que la voix du service public apporte son éclairage sur l'actualité. Sur le principe du moins, personne, au cours des auditions, n'a remis en cause la légitimité de ce projet.
Le projet éditorial porté par Mme Delphine Ernotte dès la présentation de son document stratégique au CSA est cependant bien différent de celui d'il y a quinze ans, puisqu'il prend en compte les évolutions technologiques ainsi que les contraintes financières d'aujourd'hui.
Nouveaux supports de diffusion, mutualisation, optimisation, sont les maîtres-mots d'un projet innovant valorisant l'existant pour construire une offre nouvelle à moyens constants, ou du moins contenus.
« Franceinfo: » porte également une ambition inédite pour l'audiovisuel public : la collaboration étroite entre France Télévisions, colonne vertébrale du projet, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Il s'agit du premier projet commun aux groupes de l'audiovisuel public. Seul Arte manque à l'appel, mais j'y reviendrai.
Construite sur une logique de média global, la nouvelle chaîne combine à la fois une diffusion hertzienne, qu'il serait prématuré de négliger, et une solide offre numérique. Cette dernière s'appuie sur les sites existants de l'audiovisuel public : francetvinfo.fr et franceinfo.fr. Conçue également comme une offre mobile first, particulièrement adaptée à la consommation en mobilité et multisupport, elle se distingue en cela de ses concurrentes. Cette offre globale se veut donc en phase avec un large public, notamment les jeunes, pour qui l'accès à l'information ne passe plus par les grands rendez-vous de 20 heures.
La mise en oeuvre du projet s'est faite dans des délais exceptionnellement rapides : à peine huit mois à compter de sa présentation. Si l'on peut saluer l'efficacité que cela révèle, les difficultés de communication engendrées n'ont pas toujours facilité notre travail.
La rapidité de mise en oeuvre du projet n'a pas facilité non plus, et c'est plus préoccupant, le travail d'appropriation par les équipes touchées directement par ces mutations. La communication partielle a parfois été vécue comme un manque de transparence et a entraîné inquiétudes et crispations sociales.
Cela a été particulièrement prégnant sur le volet numérique, pour lequel les modalités de convergence des offres de Radio France et France Télévisions ont été finalisées il y a quelques jours. La convention a, par ailleurs, été conclue pour un an seulement, afin de permettre des marges d'adaptation. Cette clause de revoyure témoigne sans doute de la difficulté des négociations sur ce point.
Ma première proposition va donc dans le sens d'un renforcement de la cohésion sociale et d'un meilleur dialogue au sein et entre chaque entreprise. Les négociations collectives doivent se poursuivre sur les nouveaux métiers et la polyvalence. Des structures communes de dialogue réunissant les représentants du personnel, à l'image du comité d'analyse, de mise en oeuvre et d'ajustement, mis en place uniquement au sein de France Télévisions, doivent se généraliser.
La première partie du rapport analyse l'ambition éditoriale de la nouvelle chaîne, qui veut se différencier de l'offre existante par un décryptage de l'information et un recul face à l'immédiateté de l'actualité chaude.
Ce sera possible grâce à la plus-value apportée par les quatre partenaires : France Télévisions, tout d'abord, apportera son expérience et la visibilité incontestable de ses antennes en matière d'information. Les 3 500 journalistes de ses rédactions, son ancrage à la fois local et ultramarin et ses 20 % de part d'audience du journal télévisé de 20 heures représentent une force de frappe évidente.
La station France Info, ensuite, est une référence dans le domaine de l'information, et de surcroît la seule offre d'information en continu du service public. Outre les rappels de titres – plus de quatre-vingt par jours –, les équipes de Radio France proposeront des tranches d'information produites et diffusées à la fois sur les antennes radio et sur celles de la chaîne d'information. La station participera également aux éditions spéciales via le « Live » de France Info. L'INA produira des programmes permettant, grâce aux images d'archives, d'éclairer l'événement présent dans une perspective historique. Cette participation prendra la forme de modules quotidiens et hebdomadaires. Enfin, France 24 en français sera diffusée entre minuit et 6 heures, évitant à la chaîne de fonctionner par rediffusion comme c'est le cas pour les chaînes privées. Elle fournira également des modules spécifiques sur des sujets internationaux.
Il s'agit donc d'une programmation ambitieuse, qui tire profit de l'ensemble des savoir-faire des opérateurs du service public.
J'ai cependant émis deux propositions en lien avec le volet éditorial. La première est de renforcer les obligations déontologiques dans le traitement de l'information. Préconisé par le CSA, ce renforcement doit être inscrit dans le cahier des charges de France Télévisions. Ce traitement éthique de l'information doit permettre d'incarner le label « service public » et prémunir de tout dérapage.
Ma seconde préconisation est d'associer Arte, aujourd'hui absente du projet, alors même qu'il s'agit d'un diffuseur reconnu de l'audiovisuel public. L'expérience de la chaîne en matière de décryptage de l'information pour les plus jeunes, acquise depuis 2014 par le lancement d'Arte Journal Junior, pourrait sans doute compléter utilement l'offre de « Franceinfo: ».
La seconde partie du rapport tente d'évaluer l'impact de l'arrivée de la nouvelle chaîne d'information pour les trois concurrents privés déjà diffusés sur la TNT gratuite. Ces trois chaînes sont financées par des recettes publicitaires : les risques de transferts d'audience liés à l'arrivée de la nouvelle chaîne publique ne sont donc pas neutres pour leurs ressources. Selon BFM TV, une perte de 0,1 point d'audience entraîne une perte de recettes publicitaires de l'ordre de 4 millions d'euros.
Au regard des comparaisons internationales et des évolutions du marché audiovisuel national exposées dans le rapport, l'audience globale des chaînes d'information en continu semble, en effet, plafonnée à 3 %, voire 3,2 %, 4 % au moment des pics d'actualité, l'audience étant très élastique en fonction de l'actualité.
Il est peu probable que l'offre du service public parvienne à conquérir une nouvelle audience sans capter une part de celle qui préexiste. Néanmoins, plus l'offre sera différenciée, moins le phénomène de vases communicants sera prégnant.
La chaîne d'information se financera sans publicité : il n'y aura donc pas de détournement des investissements des annonceurs. Pour autant, l'absence de publicité peut également représenter un avantage concurrentiel capable de capter l'audience. En revanche, la numérotation 27 attribuée par le CSA ne favorisera pas la chaîne publique, ni sa place de dernière arrivée sur le marché, mais celle-ci bénéficiera sans aucun doute de la notoriété des groupes de l'audiovisuel public.
Il est donc difficile, à ce stade, de mesurer les effets réels sur le marché de l'information en continu de la nouvelle offre du service public. Cette incertitude prédomine également sur le volet numérique, où le site de BFM TV bénéficie encore à ce jour d'un nombre de visites supérieures à francetvinfo.fr.
Un dernier point pourrait influer sur l'environnement concurrentiel, celui de la promotion croisée. Cette technique d'autopromotion entre les chaînes d'un même groupe sera possible pour France Télévisions, alors que TFl a renoncé à ce type de promotion dès 2010 avec ses autres chaînes de la TNT gratuite. Cette précaution, réitérée dans la convention établie entre LCI et le CSA, permet de ne pas fausser la concurrence face à I-Télé et BFM TV, qui ne sont pas adossées à une chaîne historique.
Je suggère que France Télévisions, dont le caractère public ne doit pas faire oublier qu'elle évolue dans un marché concurrentiel, renonce également à la promotion croisée, dans les mêmes conditions que TFl. Cette mesure permettrait de limiter les risques de distorsion de concurrence avec les chaînes privées.
La troisième partie du rapport traite du financement de cette chaîne d'information.
De nombreux aspects de la nouvelle chaîne reposant sur des synergies et des mutualisations avec les chaînes publiques existantes, il est impossible de fournir une évaluation du coût complet de la chaîne. Ce chiffrage n'aurait d'ailleurs que peu de sens car, par exemple, l'utilisation d'images produites pour le journal télévisé de France 2 ou celle d'un son de Radio France, déjà valorisés dans les charges de la chaîne pour laquelle ils sont produits, ne peuvent être valorisés une deuxième fois.
Nous nous sommes donc attachés à valoriser seulement le surcoût qui découle des moyens nouveaux dédiés à la chaîne d'infos. Le nombre de postes dédiés à la chaîne d'information est évalué à 213 équivalents temps plein (ETP), dont 175 à France Télévisions. Près de 63 % des postes seront consacrés au volet éditorial et 41 % de ces postes seront pourvus par voie de redéploiement à partir des effectifs existants. Ce taux atteint 50 % au sein de France Télévisions, permettant d'économiser la moitié du coût. À Radio France, les 28 postes dédiés proviennent d'un refléchage de postes initialement prévu pour le développement commercial.
Le montant des investissements initiaux nécessaires au lancement de la chaîne d'information s'élève quant à lui à 9,6 millions d'euros pour l'ensemble des partenaires.
Ainsi, l'impact financier total est évalué, pour l'ensemble des partenaires, à 16,5 millions d'euros en 2016, 25,6 en 2017 et 29,8 en rythme de croisière dès lors que le financement de la chaîne sera stabilisé. Grâce à la mutualisation et les redéploiements, le surcoût net devrait s'élever à 10,3 millions d'euros en 2016, à 15,9 en 2017, et à environ 14 par la suite, après la réalisation de l'ensemble des redéploiements. Pour rappel, les ressources publiques dédiées à l'audiovisuel public s'établissent, au terme de l'exécution 2015, à 3,8 milliards d'euros : la chaîne d'information représenterait donc un surcoût de l'ordre de 0,3 % et risque peu de déséquilibrer l'ensemble du secteur.
Cependant, il s'agit de groupes différents aux financements indépendants et non d'une entreprise unique. Certains ont une situation financière particulièrement fragilisée – notamment Radio France – et tous sont engagés dans un effort de rationalisation des dépenses.
C'est pourquoi ma principale préconisation consiste en la mise en oeuvre d'un suivi consolidé du coût et des objectifs à court et moyen terme. Ce suivi doit se concrétiser par une inscription dans le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de chaque partenaire ou par avenant pour les COM déjà conclus, des objectifs et de la trajectoire financière de la chaîne d'information. En effet, ces éléments sont issus de conventions bilatérales qui, contrairement au COM, n'ont pas vocation à faire l'objet d'un rapport d'exécution annuel et d'une communication au Parlement. L'inscription dans les COM permettrait donc d'identifier plus facilement les risques de dérapages pouvant résulter d'un sous-dimensionnement initial des moyens nécessaires.
Nous pourrions être plus ambitieux et demander qu'un COM thématique rassemble l'ensemble des opérateurs, de façon à réaliser une évaluation globale.
En conclusion, ce projet permet de rappeler les interrogations qui pèsent sur l'audiovisuel public.
L'assiette de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) tout d'abord, toujours fondée sur les téléviseurs, est obsolète, alors même que la nouvelle chaîne développe une stratégie de média global et mobile first. Le décalage est donc de plus en plus flagrant entre la base d'imposition et le service financé.
D'autre part, on peut toujours demander aux acteurs de l'audiovisuel public de gérer les risques de dérapages, mais il faut alors garantir des trajectoires pluriannuelles certaines. Depuis plusieurs années, les COM font souvent l'objet de décrochages financiers, sans que les objectifs soient revus pour autant. Il est donc nécessaire que, dans les années à venir, la part affectée de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) soit reconduite pour un montant au moins égal à celui de 2016.
Le prochain projet de loi de finances sera, bien évidemment, l'occasion d'aborder l'ensemble de ces sujets, et peut-être de faire un bilan des premiers mois de fonctionnement de « Franceinfo: ».