Je suis d'autant plus heureux de pouvoir m'exprimer devant la Représentation nationale que notre secteur concerne des produits entrés dans la vie quotidienne de chacun, et nous avons conscience de susciter beaucoup d'attentes.
Par ailleurs, bien des choses sont dites par des analystes, nos concurrents, et parfois par vous-mêmes, alors qu'elles ne nous paraissent pas toujours exactes. Aussi me semble-t-il important de vous fournir quelques chiffres illustrant la réalité des investissements réalisés par les uns et des autres.
J'exposerai donc notre stratégie, notre conception du déploiement des réseaux numériques en France, et développerai un certain nombre de points auxquels il me semble qu'il convient d'être attentif pour l'avenir.
Créée il y a moins de vingt ans, Iliad est une jeune entreprise qui compte aujourd'hui 18 millions d'abonnés en France, dont 6 millions pour le téléphone fixe et 12 millions pour le mobile — notre chiffre d'affaires s'élève à 4,5 milliards d'euros. Très innovante, notre société figure à ce titre en deuxième position avec le groupe Hermès dans le classement Forbes. Il y a quinze ans, nous avons inventé le triple play, et nous tâchons de persévérer dans l'innovation sur ce marché.
Le groupe emploie plus de 8 000 salariés, dont 6 000 en France, et a créé beaucoup d'emplois au cours des cinq dernières années. Nous sommes l'opérateur qui, en proportion de son chiffre d'affaires, a investi le plus, et de très loin : pratiquement 30 % de notre chiffre d'affaires annuel. Ainsi, en 2015 comme en 2016, sur un chiffre d'affaires de 4,4 milliards d'euros, nos investissements représenteront 1,2 à 1,3 milliard d'euros, qui, si l'on y ajoute les acquisitions de fréquences hertziennes, s'élèveront à 1,7 milliard d'euros.
Tous secteurs confondus, bien peu d'entreprises réinvestissent plus de 30 % de leur chiffre d'affaires dans les infrastructures comme nous le faisons.
Par ailleurs, nous ne distribuons pratiquement pas de dividendes – quelques dizaines de millions d'euros par an – alors qu'en 2015 nos concurrents ou leurs maisons mères en ont distribué pour quelque 6 milliards d'euros. Dans un secteur où il est régulièrement avancé que l'investissement est important – avis que nous partageons –, il me semble utile que vous puissiez avoir ces chiffres présents à l'esprit. Nos concurrents investissent un peu, mais distribuent massivement des dividendes.
Aussi devez-vous être conscients que, ceux qui viennent vous dire que la réglementation devrait être plus amicale et les contraintes moins pesantes afin de favoriser l'investissement, pourraient, à cadre réglementaire constant, dégager la marge de manoeuvre nécessaire en réduisant la distribution de dividendes.
Notre stratégie est limpide : nous proposons des offres très simples, très innovantes et très accessibles. Pour 18 millions d'abonnés, nous nous limitons à quatre offres seulement : deux sur le fixe et deux sur le mobile. Ces offres changent très rarement, et les prix demeurent les mêmes, alors que nous tâchons d'enrichir nos prestations de façon constante.
Le deuxième axe majeur de notre stratégie consiste à bâtir nos réseaux – dont vous avez évoqué l'itinérance – à marche forcée. Pour le déploiement de notre réseau mobile, de tous les opérateurs, en prenant le même point de départ, nous avons été les plus diligents dans le domaine de la licence 3G. Nous sommes par ailleurs le seul opérateur ayant respecté la totalité des jalons de sa licence 3G, alors que tous les autres ont fait l'objet de mises en demeure du fait de leurs retards.
Dans le domaine de la téléphonie fixe, Free est le groupe qui a le plus dégroupé ses répartiteurs, au nombre d'environ 8 500 aujourd'hui, ce qui constitue une bonne couverture du territoire par le haut débit et le triple play. De son côté, SFR a dégroupé à peu près 7 200 répartiteurs, alors que le groupe Bouygues – qui ne se prive pas de nous critiquer – n'a dégroupé en propre que moins de 2 000 répartiteurs ; ce qui signifie que cet opérateur ne dessert la téléphonie fixe que dans les grandes villes.
L'investissement dans le FTTH – acronyme de Fiber to the Home – constitue depuis 2007 un élément important de notre stratégie, nous avons considérablement investi dans les zones très denses, et avec Orange, nous co-investissons systématiquement dans la zone d'appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII).
S'agissant des RIP, nous avons engagé des négociations avec deux opérateurs très présents dans ce secteur ; nous considérons par ailleurs qu'un groupement d'intérêt économique (GIE) rassemblant les acteurs du FTTH constitue un facteur prépondérant de réussite. J'appelle votre attention sur l'attitude de l'opérateur historique, qui lutte d'arrache-pied contre ce guichet unique ; or, offrir la possibilité de passer commande ou d'accéder à des prestations d'après-vente à un grand nombre de RIP réunis en un point unique sera une condition essentielle du succès des réseaux d'initiative publique.
Il y a quatre ans et demi, le lancement de Free Mobile a fait l'objet de bien des commentaires ; à l'époque, le marché français relevait de l'oligopole tel que la science économique le définit : cher, avec des offres très complexes et peu adaptées aux attentes des consommateurs. Nous avons lancé deux offres, l'une à 2 euros, l'autre à 20 euros dans le domaine du « SIM only », qui ne propose que la carte, sans obligation de souscrire un abonnement de 24 mois, avec un téléphone dont on prétend qu'il est subventionné alors qu'il est vendu.
Quatre ans et demi après notre arrivée sur le marché, 60 % des Français ont fait le choix du SIM only – même s'ils ne sont pas tous nos clients –, ce qui prouve que la situation de concurrence ainsi créée a conduit à apporter la réponse à un besoin qui n'était pas satisfait. Les forfaits illimités se sont généralisés, le fair use, c'est-à-dire la quantité de données rendues accessibles par le forfait, a explosé, puisque nous avons d'entrée proposée un forfait de 50 gigaoctets (Go) alors que, à l'époque, disposer d'un gigaoctet était considéré comme une vraie richesse.
Depuis plus d'un an, nous offrons le roaming – l'itinérance – 35 jours par an et par pays pour 28 pays de l'Union européenne ainsi qu'aux États-Unis ; le tarif demeure inchangé, et le forfait peut être utilisé comme en France en 2G et en 3G. Cette possibilité n'existait pas auparavant, et la consommation de données à l'étranger faisait exploser la facture.
S'agissant de la couverture mobile et de la façon de s'affranchir de l'itinérance, vous l'avez souligné, Madame la présidente, en 2016, notre groupe a investi entre 550 et 600 millions d'euros dans la bande des 700 mégahertz (MHz). Nous n'avions pas pu être présents dans la bande des 800 MHz, car nous n'avions pas encore lancé nos services, alors que nous avions déjà subi deux appels d'offres supplémentaires pour les bandes des 2 600 MHz et des 800 MHz. La réussite n'étant pas certaine, nous ne pouvions pas prendre de risques inconsidérés.
Nous sommes aujourd'hui fortement engagés dans la bande 700 MHz, ce qui favorisera l'amélioration de la couverture 4G sur l'ensemble des territoires ainsi que la couverture des voies de transport, particulièrement les voies ferroviaires. Par ailleurs, avec l'impulsion du Gouvernement et le soutien de l'ARCEP, nous sommes très impliqués dans la couverture des zones blanches, puisque Free Mobile a rejoint le programme « zones blanches », dont l'ampleur s'est significativement accrue.
L'itinérance, stigmatisée par l'un de nos concurrents, doit être relativisée, car elle ne constitue pas un avantage concurrentiel dont nous disposerions ; il ne pourrait pas y avoir un quatrième opérateur sans itinérance. De fait, il n'aurait pas été possible d'entrer sur un marché comme la France en 2012 ou 2014 en se bornant à proposer un service limité à quelques grandes villes, alors que trois acteurs déjà présents couvraient 90 % de la population.
Nous disposons aujourd'hui d'un contrat limité à la 2G et à la 3G, alors que le marché est majoritairement orienté vers la 4G, ce qui n'est guère avantageux. Par ailleurs notre contrat est très coûteux, je ne peux en dévoiler le montant, qui est couvert par un accord de confidentialité, bien qu'il ait « fuité » dans diverses publications ; mais il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros.
Notre groupe possède en propre près de 8 000 antennes, ce qui implique toutes les charges de développement et d'exploitation du réseau, et il acquitte chaque année le montant des fréquences achetées à l'État. Nous sommes par ailleurs titulaires d'un contrat d'itinérance, condition sine qua non de notre existence, dont le coût est extrêmement élevé : je répète que, de ce fait, il ne constitue en rien un avantage concurrentiel. L'extinction progressive de ce contrat d'itinérance est donc prévue, j'ignore si l'année 2020 en sera le terme, mais nous avons conclu un accord avec Orange courant jusqu'à cette échéance. Avant cette date, nous dresserons un bilan avec l'ARCEP afin de faire le point sur la progression de notre couverture du territoire national, sur les efforts que nous aurons entrepris ainsi que des investissements que nous aurons réalisés.
J'observe que le groupe Bouygues Télécom, qui est souvent venu fustiger l'itinérance devant vous, fournit à SFR une itinérance en 4G afin de permettre à celle-ci de ralentir ses investissements ; et cet accord ne donne guère lieu à débat, ce qui ne laisse pas de me surprendre.
Par ailleurs, il n'a pas pu vous échapper qu'un opérateur virtuel, un MVNO – acronyme de mobile virtual network operator –, fait actuellement de la publicité pour des offres strictement similaires aux nôtres en proposant un tarif de 15,99 euros, avec un forfait 4G de 50 Go. Ce concurrent n'a pas investi dans la moindre fréquence, ni acheté la moindre antenne, mais se borne à acheter du trafic aux trois opérateurs. L'itinérance est-elle moins légitime que ces accords avec les MVNO qui permettent à une grande banque française d'offrir des produits aux mêmes prix que les nôtres, alors que nous investissons massivement ? À mon sens, la question fait débat.
Il n'en demeure pas moins qu'Iliad est un opérateur de réseau qui investit fortement dans le déploiement de son réseau ; le groupe est performant, rentable et innovant lorsqu'il maîtrise ses réseaux, qu'il s'agisse de la fibre optique, du cuivre ou du mobile. Soyez donc assurés que nous sommes là pour déployer nos antennes, tout en conservant à l'esprit que déployer un réseau mobile en France prend du temps.
Nos concurrents ont commencé il y a quinze ans sans avoir terminé à ce jour ; aussi ne faut-il pas nous demander l'impossible, nous avons démarré il y a cinq ans seulement, et avons déjà implanté près de 8 000 antennes. Nous couvrons ainsi 84 % de la population en 3G, et 65 % en 4G ; je souligne que notre couverture propre en 4G est supérieure à celle de SFR, qui a pourtant vingt ans d'existence et dispose de fréquences puissantes. Cela démontre, si besoin en était, que nous ne sommes pas un opérateur passif dans ce domaine.
Selon les analyses et les périodes, la France a parfois été présentée comme sinistrée et en retard au regard du maillage numérique de son territoire ; or les comparaisons que nous établissons avec les autres pays d'Europe démentent ces assertions. Au contraire, la France est un pays très bien placé, et les Français sont fort bien équipés, tant en accès fixe que mobile.
La concurrence apportée par le quatrième opérateur a favorisé le déploiement de la 4G, alors que la 3G était restée au réfrigérateur pendant sept ans, les opérateurs souhaitant réaliser le plus de bénéfices possible avec la 2G. Pour la 4G, à l'inverse, le marketing a précédé les premiers déploiements, et la couverture 4G française est très bonne et progresse rapidement.
Les pouvoirs publics et les opérateurs ont fait le choix très luxueux du FTTH. Un ou deux pays nordiques mis à part, la France est le seul pays d'Europe ayant retenu ce choix, qui a aussi été celui du Japon et la Corée. Le dispositif est très coûteux, estimé à au moins 36 milliards d'euros ; il me semble toutefois que ce choix est judicieux, et que, dans cinq à six ans, il nous conférera une large avance sur les autres pays européens. De fait, certains pays d'Europe, pour avoir légèrement modernisé le cuivre ou le câble, peuvent offrir un débit de 30 mégabits à un peu plus de foyers, faisant ainsi illusion dans les statistiques.
Je n'en ai pas moins la conviction que ce plan FTTH, dans lequel sont engagés les opérateurs privés, les collectivités locales ainsi que l'État, constituera une réussite et placera la France en tête du très haut débit. Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que, lorsque l'on utilise le quadruple play tout en disposant d'un réseau fixe très à haut débit, le réseau mobile est également performant, car le réseau fixe n'est rien d'autre que la collecte des réseaux mobiles. La 4G a donc besoin de réseaux fibrés pour être efficace.
Par ailleurs, l'investissement est le plus élevé sur le marché français puisqu'il développe actuellement la 4G et la fibre, certes, mais les chiffres fournis par les opérateurs, et certifiés par l'ARCEP, montrent que, depuis 2009 – date de l'attribution de la quatrième licence –, le volume d'investissement s'élève régulièrement à plus de 7 milliards d'euros. Or, par le passé, de tels montants n'avaient jamais été atteints. Cela prouve que l'attribution d'une quatrième licence de téléphonie mobile et la concurrence qui en a résulté, loin d'avoir pour effet de réduire l'investissement, l'ont au contraire dynamisé et augmenté.
Un autre sujet de satisfaction, qui n'est pas toujours perçu comme il le devrait, réside dans la très bonne santé économique des quatre opérateurs français de la téléphonie mobile, qui distribuent beaucoup de dividendes – à l'exception d'Iliad –, investissent beaucoup, connaissent une bonne cotation à la Bourse ainsi qu'un équilibre financier sain. Numericable-SFR, qui se trouve dans une phase d'intégration consécutive à la fusion des deux entités, mis à part, tous les opérateurs du mobile conquièrent des marchés ; il n'y a donc pas d'opérateur du secteur affaibli par la concurrence.
Par ailleurs, trois de ces quatre acteurs exportent leur savoir-faire : Orange est présent dans le monde entier, Numericable-SFR a pris des positions très fortes dans plusieurs pays d'Europe et aux États-Unis, et Iliad, sous réserve de validation par la Commission européenne attendue au début du mois de septembre prochain, disposera rapidement des moyens de pénétrer le marché italien.
En ce qui concerne l'avenir, la fibre constitue un magnifique projet pour la téléphonie fixe, toutefois, deux écueils doivent être évités.
Le premier, et cela est dit sans esprit polémique, réside dans ce que l'opérateur historique ne doit pas mettre à profit le développement de la fibre afin de renouer avec une position de monopole. C'est pourtant ce qu'il advient aujourd'hui : Orange possède plus de 60 % des parts de marché, ce qui n'est dû à son seul talent.
Les investissements de ce groupe dans la fibre n'ont rien d'extraordinaire, M. Stéphane Richard a évoqué il y a peu dans le journal La Tribune un investissement de 550 à 600 millions d'euros en 2016, pour 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires ; ce chiffre est à comparer aux 350 millions d'euros investis par Iliad dans la fibre pour 4,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et n'est donc pas considérable. Par comparaison, au titre du dégroupage, lorsque nous utilisons le réseau de cuivre d'Orange, nous versons sensiblement plus que ce que ce groupe investit dans la fibre.
Par ailleurs, le succès actuel de l'opérateur historique est certes lié à son talent, mais il est aussi le fait d'avantages structurels : jusqu'en 2009, Orange s'est réservé l'usage du « fourreau » – les 300 000 kilomètres de tuyaux implantés dans les routes françaises qui permettent le déploiement de la fibre – alors que ses concurrents devaient creuser des tranchées ou passer par les égouts. Cette situation a permis à ce groupe de couvrir l'ensemble de la zone dense quand ses concurrents ne pouvaient pas y accéder.
À cela s'est ajouté le fait que le point de mutualisation (PM) a été installé dans l'immeuble, ce qui constitue une considérable barrière à l'entrée au sein des zones denses : pour la seule ville de Paris, cela représente 65 000 immeubles dans lesquels il faut entrer, ce qui ne manque pas de nous créer de sérieuses difficultés.
Orange jouit d'une position ultra-dominante dans la zone de co-investissement, dite AMII, puisqu'il possède près de 85 % des lignes ; il surfacture les prises et refuse des conditions contractuelles acceptables.