Intervention de Philippe Cury

Réunion du 5 juillet 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Philippe Cury, directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale :

J'ai travaillé dans de nombreux écosystèmes, et je dois dire que la Méditerranée est la mer de tous les superlatifs, qu'il s'agisse des migrations, de la démographie ou de la pollution. C'est l'une des mers qui se réchauffent le plus vite et elle détient l'un des records mondiaux en matière de surexploitation des stocks de poissons, puisque 84 % de ses stocks sont concernés. Lorsque l'on évoque les ressources marines, on pense à l'Agenda 2030 et à l'Objectif de développement durable (ODD) 14. On veut, bien entendu, des océans en bonne santé, sains, productifs, propres, mais il ne faut pas oublier que la Mer Méditerranée est un condensé de nombreux ODD : sécurité alimentaire, changement climatique, emploi, pauvreté, équité, etc.

Qu'en est-il de la sécurité alimentaire ? On retire aujourd'hui de la Méditerranée 800 000 tonnes de poissons, contre 1 million de tonnes dans les années 1980-1990 et le nombre des emplois dans le milieu de la pêche a chuté. Mais la surexploitation soulève également le problème de la conservation des espèces qui, contrairement à ce que l'on a longtemps considéré, ne concerne pas que le milieu terrestre. Ainsi, le nombre des requins a diminué de 97 % en Méditerranée : les chercheurs n'ont vu aucun exemplaire d'au moins six espèces de requin depuis dix à trente ans. Par ailleurs, certaines espèces importantes pour les pêches, les sardines et les anchois, se portent très mal en raison du réchauffement climatique, qui a modifié la qualité du plancton. En revanche, et c'est la bonne nouvelle – la seule – concernant la Méditerranée, le stock de thon rouge s'est reconstitué, grâce à une gestion rigoureuse de la ressource.

Quelles améliorations peut-on envisager ? La première chose à faire est de reconsidérer l'agenda 2030 et tous les objectifs de développement durable. Il faut en effet promouvoir des études intégrées et pluridisciplinaires à l'échelle du bassin méditerranéen, car les études sont trop souvent sectorisées. On ne pourra pas avoir une vision synthétique et cohérente du bassin si l'on n'associe pas les pays du nord et du sud de la Méditerranée. En outre, les réseaux scientifiques doivent être constitués à un niveau international, car ils sont trop souvent « méditerranéens », alors que des initiatives prises ailleurs peuvent être intéressantes. De plus, beaucoup d'argent a été consacré aux études sur la Méditerranée, mais les données sont difficilement accessibles, de sorte que la connaissance scientifique est entravée. Les bases de données doivent donc être ouvertes et accessibles.

Il convient également de promouvoir des pêches artisanales gérées localement, de valoriser les produits et de créer des emplois. Pour ce faire, il convient de s'appuyer sur les communautés locales et de réunir l'ensemble des parties prenantes – pêcheurs, industriels, distributeurs, ONG – pour définir une vision commune. Il faut promouvoir l'approche écosystémique des pêches, en réconciliant la conservation et l'exploitation, notamment en privilégiant des méthodes de pêche plus sélectives et plus économes en carburant. Par ailleurs, on parle souvent d'économie circulaire, de biomimétisme : on peut faire du milieu marin beaucoup d'autres choses que la surexploitation de trois espèces pour leurs protéines. En Méditerranée, on pêche traditionnellement de petits poissons. Pourquoi pas, mais il faut en conserver quelques gros dans les écosystèmes, ce qui n'a jamais été vraiment imaginé dans la gestion des pêcheries. Il est donc nécessaire d'élaborer une stratégie de conservation et de constitution de réserves marines.

Enfin, dans le cadre de cette vision intégrée pluridisciplinaire, il convient de développer des scénarios. L'IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), qui est l'équivalent du GIEC pour la biodiversité, permet d'intégrer toutes les composantes que nous avons évoquées : environnementale, sociale et économique. Cette plateforme existe donc, et elle est prometteuse, même si cela prendra du temps, car elle permet d'intégrer les savoirs acquis et d'atteindre ainsi les objectifs.

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