Intervention de Jean-Louis Roumegas

Réunion du 5 juillet 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas, rapporteur :

En effet, notre Commission travaille sur ce sujet depuis 2013, et il était aujourd'hui important, sans reprendre tous les travaux antérieurs, de faire un point d'étape : après le débat autour du renouvellement de l'autorisation du glyphosate, et autour finalement de l'application du principe de précaution, c'est aujourd'hui le cas des perturbateurs endocriniens qui retient l'attention de la Commission européenne et des États membres, et donc la nôtre aussi.

C'est un sujet majeur de santé publique sur lequel, comme vous le savez, le Gouvernement s'est engagé depuis la première conférence environnementale de septembre 2012, et le ministère de l'écologie a pris en compte nos travaux.

Capables d'interférer avec les hormones, les perturbateurs endocriniens sont soupçonnés d'être à l'origine de nombreuses maladies graves et chroniques, qui sont une menace pour les générations futures et pour nos systèmes de protection sociale. Ces substances se trouvent dans une multitude d'objets de consommation courante et des secteurs entiers de l'industrie sont concernés par leur réglementation. Les enjeux économiques sont donc aussi très importants.

Le rapport, déposé par notre commission le 25 février 2014, sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens fait un point complet sur les enjeux de la régulation environnementale et chimique dans le cas des perturbateurs endocriniens, aussi je n'y reviendrai pas dans cette communication, mais il est important de rappeler l'adoption, en avril 2014, de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, qui a été présentée à la Commission européenne ainsi qu'à l'ensemble des États membres lors du Conseil des ministres de l'environnement du 12 juin 2014. La France joue donc un rôle à la fois pionnier et moteur sur cette question des critères d'identification.

Définir ces derniers est en effet essentiel pour ensuite pouvoir identifier les substances, en restreindre l'usage voire les interdire, et en tous les cas rechercher leur substitution. Sans critères de définition des perturbateurs endocriniens, l'Europe ne possède pas l'outil conceptuel nécessaire pour organiser la révision de sa réglementation.

La Commission européenne s'était vue conférer par, d'une part, le règlement relatif aux produits phytopharmaceutiques et, d'autre part, par celui relatif aux produits biocides, le pouvoir d'adopter les critères scientifiques permettant d'identifier les substances perturbant les systèmes endocriniens, avec un délai limite dans le deuxième cas, fixé au 13 décembre 2013.

Mais elle a repoussé l'élaboration de ces critères dans l'attente du résultat d'une étude d'impact. Cette attitude, jugée dilatoire, a été contestée tant au niveau parlementaire que par certains États membres : notre Assemblée, bien sûr, avec en 2014 des conclusions sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens adoptées par notre commission des affaires européennes, et la résolution européenne sur la présence de bisphénol A dans les jouets et de parabènes dans les produits d'hygiène destinés aux jeunes enfants ; le Parlement européen, qui s'est exprimé à deux reprises par le biais d'une résolution, le 14 mars 2013 et le 8 juin dernier. Mais l'action décisive est venue d'un recours en carence intenté le 4 juillet 2014 par la Suède, rejointe par la France, contre la Commission européenne.

Le Tribunal de l'Union européenne a condamné, le 16 décembre dernier, la Commission pour ne pas avoir proposé, dans le délai imparti, une définition au niveau européen des critères d'identification des perturbateurs ; ce dernier a en outre affirmé qu'aucune étude d'impact n'était nécessaire pour ce faire.

Accusant donc un retard de près de deux ans et demi, la Commission européenne a adopté le 15 juin dernier des propositions de critères d'identification des perturbateurs endocriniens, sous la forme d'un « paquet » comprenant une communication donnant un aperçu du contexte scientifique et réglementaire, un rapport d'analyse d'impact et deux projets d'actes réglementaires – l'un au titre de la législation sur les biocides, l'autre en vertu de la législation relative aux produits phytopharmaceutiques.

Ces deux projets ne sont pas encore soumis au Parlement et au Conseil. En effet, la procédure implique une consultation préalable, dans deux enceintes et selon deux procédures différentes : le projet de règlement de la Commission relatif aux produits phytopharmaceutiques doit être soumis pour avis, à la majorité qualifiée, au comité réglementaire compétent, le Conseil et le Parlement européen disposant ensuite de trois mois pour se prononcer, et le projet de règlement délégué relatif aux produits biocides doit être soumis à un groupe d'experts avant son adoption formelle par la Commission, le Conseil et le Parlement européen disposant ensuite de deux mois pour se prononcer. Si le comité permanent compétent pour les produits phytopharmaceutiques se réunit la semaine prochaine, la réunion du comité biocides a en revanche été repoussée au mois de septembre.

Globalement, la Commission européenne propose de conserver une approche fondée sur le danger : les substances chimiques qui perturbent effectivement et dangereusement le système hormonal doivent être interdits. Toutefois, la définition retenue implique un niveau de preuve très élevé, et s'accompagne d'un alignement du régime des dérogations, autour de la notion de risque, ce qui autorise in fine la prise en compte du critère de puissance, demandée par les industriels et contestée par les scientifiques.

Les critères d'identification sont affichés comme étant la reprise de ceux de l'OMS en 2002, mais ils sont plus restrictifs en réalité. Retenir les substances « connues pour [leurs] effets indésirables » revient en effet à ne pas reprendre le sens de la définition de l'OMS qui n'exige pas un effet prouvé pour la santé humaine et à imposer un niveau de preuve très strict.

Les perturbateurs endocriniens présumés ou suspectés sont donc exclus du champ alors que c'était notre préconisation et aussi celle de la stratégie nationale. La conséquence prévisible, c'est que très peu de substances risquent d'être identifiées, d'autant que les protocoles de tests ne sont pas tous standardisés, ce qui fait courir le risque que les résultats de certaines études soient artificiellement écartés.

Par ailleurs, la notion d'« influences jugées pertinentes au niveau de la population » risque d'amoindrir la prise en compte des signaux d'alerte en provenance du monde animal.

Selon les experts, environ vingt-cinq pesticides (sur les 400 évalués par le Centre Commun de Recherche) pourraient être affectés par les nouveaux critères.

Les règlements biocide et phytopharmaceutique prévoient tous les deux aujourd'hui comme règle générale la non-approbation de la substance active dès lors qu'elle est identifiée comme perturbateur endocrinien. Cependant chaque règlement prévoit des dérogations, et celles-ci diffèrent.

Or la Commission aligne les deux règlements d'application autour de la notion d'« exposition négligeable » donc de « risque », ce qui permet de réintroduire la prise en compte du critère de puissance.

En privilégiant ainsi pour les dérogations l'analyse du risque supposé que ces substances pourraient causer, la Commission européenne n'applique plus le principe de précaution (fondé, lui, sur le danger intrinsèque que représentent les substances et une approche protectrice en cas d'incertitude scientifique), ce qui ne peut que susciter les plus sérieuses préoccupations quant au maintien du plus haut degré possible de protection de la santé de nos concitoyens.

Ces propositions ont entraîné une avalanche de critiques tant de la part de l'industrie que des organisations de défense de l'environnement, de la santé publique et des consommateurs.

L'ECPA a déploré l'absence du critère de puissance et le principe d'une réglementation par dérogation, trop imprévisible aux yeux de l'industrie. Les organisations de défense de l'environnement, de la santé publique et des consommateurs déplorent, elles, l'absence d'une approche par catégories, ainsi que de la non-inclusion des perturbateurs potentiels.

Très active sur ce dossier, la société savante des endocrinologues estime que « la Commission européenne a placé la barre si haut qu'il sera ardu de l'atteindre quand bien même il existe les preuves scientifiques de dommages » ce qui est un « échec pour la santé publique ».

Je partage les inquiétudes des représentants des ONG actives sur ce sujet ainsi que la déception de nombreux scientifiques.

Les modes d'action des perturbateurs largement décrits par M. Andreas Kortenkamp, professeur de toxicologie à l'université de Brunel, à Londres, que nous avions auditionné, confirment la dangerosité intrinsèque de ces substances ; revenir à une stratégie « d'évaluation des risques » est un non-sens, préjudiciable à la mise en oeuvre d'une réglementation opérationnelle de protection des populations.

Les propositions de la Commission européenne sont, enfin, moins ambitieuses que celles portées par la France depuis 2012.

À l'issue de la première conférence environnementale de septembre 2012, la France a cherché à définir une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, adoptée en avril 2014. Cette dernière a été présentée à la Commission européenne ainsi qu'à l'ensemble des États membres lors du Conseil des ministres de l'environnement du 12 juin 2014. Lors de la consultation publique menée par la Commission européenne sur la définition des critères scientifiques des perturbateurs endocriniens, la France avait clairement indiqué sa préférence pour la troisième proposition de définition et pour le maintien sans modifications du cadre réglementaire.

C'est donc sur ce socle très solide que les ministres des affaires sociales et de la santé ainsi que de l'environnement, Mmes Marisol Touraine et Ségolène Royal, ont pu s'appuyer pour demander à la Commission européenne de revoir sa copie pour aller plus loin et proposer une version plus protectrice de la santé et de l'environnement, lors, respectivement, du Conseil Santé du 17 juin et du Conseil Environnement du 20 juin 2016.

Elles ont souligné leurs vives préoccupations, les propositions de critères d'identification des perturbateurs endocriniens ne permettant pas, en l'état, d'assurer un niveau suffisant de protection de la santé humaine et de l'environnement en ne prenant pas en compte les perturbateurs endocriniens potentiels, ce qui permettrait pourtant d'anticiper et d'initier des démarches de prévention avant que toutes les confirmations scientifiques soient disponibles.

Alors que la France est en pointe pour ce qui concerne les actions visant à prévenir les risques et limiter l'exposition aux perturbateurs endocriniens, en particulier celle des populations sensibles, femmes enceintes et jeunes enfants, avec dès 2012, l'interdiction du Bisphénol A dans les contenants alimentaires, interdiction d'ailleurs en cours d'extension aux jouets pour enfants dans la loi de modernisation de notre système de santé, ces interdictions pourraient être remises en cause si la proposition de la Commission européenne était adoptée en l'état, pour Mme Marisol Touraine.

Quant à la modification du règlement relatif aux produits phytopharmaceutiques permettant de réviser les dérogations possibles, elle est contraire à la position que la France exprime depuis plusieurs mois.

Voilà donc les raisons pour lesquelles je vous propose d'adopter ces conclusions.

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