Intervention de Marek Eštok

Réunion du 6 juillet 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Marek Eštok, ambassadeur de Slovaquie :

C'est un honneur pour moi que de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous sur les priorités de la présidence slovaque de l'Union européenne. Vous l'avez rappelé, Madame la présidente, c'est la première fois que la Slovaquie préside l'Union européenne depuis son adhésion en 2004. Si vous me permettez, je voudrais faire une digression personnelle. J'ai 45 ans et j'appartiens à la génération qui a vécu l'effondrement du communisme en 1989. À l'époque, j'étais étudiant à Bratislava et comme tous, je rêvais pour mon pays qu'il intègre l'Union européenne. J'étais en effet convaincu, comme pouvaient l'être les peuples d'autres pays d'Europe de l'Est, que la Slovaquie avait toute sa place dans l'Europe. Cette présidence est la consécration de notre adhésion.

Avant de présenter en détail les priorités de la présidence slovaque, je voudrais vous assurer que mon pays est pleinement engagé dans cette fonction, avec une mobilisation générale de l'ensemble du monde politique et administratif.

Cette présidence comportera bien évidemment un volet parlementaire, incluant comme à l'habitude la « petite COSAC » la semaine prochaine, la réunion de la COSAC elle-même en novembre, sans oublier la conférence, organisée en septembre par le Parlement slovaque, sur la politique étrangère et de sécurité commune. Nous sommes convaincus que les Parlements nationaux peuvent contribuer à trouver des solutions aux crises que traverse actuellement l'Europe.

Par ailleurs, le Premier ministre slovaque, M. Roberto Fico, est aujourd'hui à Strasbourg pour présenter au Parlement européen les priorités de la présidence slovaque et, demain, lui succédera une délégation du Parlement slovaque, conduite par son Président et composée de membres de l'ensemble des partis politiques.

Vous avez raison, Madame la présidente, de souligner que la Slovaquie va affronter une situation sans précédent, en particulier avec les défis posés par le « Brexit ». Dans ce contexte, la réflexion sur l'avenir de l'Europe est absolument cruciale. C'est pourquoi la Slovaquie a convoqué à Bratislava, le 16 septembre, un sommet des Chefs d'État et de gouvernement sur cette question. Lorsque notre Premier Ministre est venu, il y a deux semaines, présenter les priorités de la présidence slovaque à l'Elysée, M. François Hollande a pleinement soutenu cette initiative. Nous espérons que ce sommet permettra de trouver des idées nouvelles, partagées par tous, pour gérer le « Brexit », mieux présenter l'Europe et la rendre moins bureaucratique et plus proche des peuples.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais faire quelques rappels sur les relations bilatérales entre la Slovaquie et la France, d'autant plus qu'à ma connaissance, c'est la première fois que la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale auditionne un ambassadeur slovaque.

En 1918 est créée la République tchécoslovaque, création dans laquelle la France a joué un rôle primordial. Il y a une semaine, j'étais à Darnay, dans l'Est, où le 30 juin 1918, le président de la République de l'époque, M. Raymond Poincaré, a donné le drapeau de guerre aux légionnaires Tchèques et Slovaques. On considère ce fait comme l'acte de reconnaissance, par la France, de l'État tchécoslovaque. De nombreux autres souvenirs de la première et de la deuxième guerre mondiale symbolisent le lien entre la France et la Slovaquie : à Cognac se trouvait le quartier général des légionnaires tchécoslovaques, Dunkerque a été libérée par la deuxième brigade blindée tchécoslovaque en 1945 et, lors de sa visite en Slovaquie l'année dernière, M. François Rochebloine a pu voir des traces des 200 partisans français, anciens prisonniers des camps qui ont combattu avec les Slovaques lors du soulèvement national en 1944.

Après l'effondrement du communisme, la France a été parmi les premiers pays à coopérer avec le régime démocratique, en particulier après la création de la Slovaquie au 1er janvier 1993. C'est d'ailleurs l'ambassadeur de France qui, le premier, a présenté la lettre de reconnaissance de l'État slovaque.

La France a ensuite accompagné la Slovaquie dans sa marche vers l'adhésion à l'Union européenne et soutenu son intégration dans l'espace Schengen. Comme vous le savez, il n'a pas été facile pour mon pays de satisfaire à l'ensemble des critères requis pour intégrer ce dernier, en particulier la protection de sa frontière avec l'Ukraine, mais nous avons réussi, notamment grâce à des sociétés françaises qui ont fourni les matériels de surveillance nécessaires. La France a également soutenu la Slovaquie pour qu'elle intègre la zone euro le 1er janvier 2009. Certes, là encore, cette intégration n'a pas été facile mais elle est la preuve que la Slovaquie a bien réussi ses réformes politiques et économiques.

Le Président François Hollande a visité deux fois la Slovaquie depuis 2012. En 2013, c'était la première fois qu'un Président français se rendait en Slovaquie depuis que celle-ci est devenue indépendante.

Enfin, la France a détaché un haut fonctionnaire pour travailler au sein de l'équipe de la présidence slovaque de l'Union européenne.

Ces éléments rappelés et avant d'entrer dans le détail des priorités de cette présidence, je voudrais souligner les ambitions qui sont les nôtres : renforcer la solidité de l'Union et restaurer la confiance des citoyens européens. Ces ambitions reposent sur trois principes : obtenir des résultats concrets, prévenir la fragmentation de l'Union européenne et mettre les citoyens européens au centre des préoccupations.

Nous avons conscience des difficultés actuelles en Europe mais nous sommes optimistes. Nous espérons qu'ensemble, nous pourrons les surmonter.

Comme vous le savez, un pays qui préside l'Union travaille toujours en trio avec le pays qui l'a précédé et le pays qui va le suivre. C'est ainsi que la Slovaquie s'est coordonnée avec les Pays-Bas et Malte pour fixer les priorités de sa présidence. Toutefois, le programme a évidemment été modifié en raison du « Brexit » et n'a été approuvé par le gouvernement que le 30 juin dernier.

Ce programme comporte quatre priorités. La première est une Europe économiquement forte. La croissance économique est toujours faible et nécessite plus d'investissements, notamment dans le cadre du Plan Juncker. Des réformes structurelles sont nécessaires pour lever les barrières à ces investissements. Nous allons aussi demander à la Commission des propositions pour prolonger la durée du Fonds européen pour les investissements stratégiques. Nous travaillerons à proposer un projet de budget au Parlement européen en octobre ainsi que, d'ici décembre, un projet de modification du cadre financier pluriannuel. Il apparaît par ailleurs nécessaire de mettre un terme à la fragmentation du marché des capitaux et d'agir pour créer un véritable marché européen, sans oublier l'union bancaire. La lutte contre la fraude fiscale sera également au coeur de l'agenda de la présidence slovaque.

La deuxième priorité est un marché unique moderne. Le marché unique est le meilleur exemple de succès de l'Union européenne. La liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux a été source d'efficience dans de nombreux domaines. Toutefois, nous devons l'adapter aux réalités d'aujourd'hui et travailler à lever les entraves qui nuisent à son fonctionnement. La présidence slovaque se concentrera sur les mesures visant à exploiter le potentiel du marché unique afin de proposer aux consommateurs de meilleurs biens et service à des prix plus bas et de contribuer à la croissance des entreprises.

Nous pourrons avancer assez vite sur l'Union de l'énergie, notamment sur les questions de la sécurité énergétique, de l'approvisionnement en gaz et des accords intergouvernementaux. Le commissaire slovaque, Maros Sefcovic, est d'ailleurs vice-président de la Commission à l'Union de l'énergie, et la question de la sécurité énergétique nous tient particulièrement à coeur.

J'aimerais rappeler le problème particulier de la construction de Nord Stream 2, projet soutenu par l'entreprise Gazprom. Au début de 2009, j'étais conseiller diplomatique du premier ministre lorsque nous avons connu une rupture d'approvisionnement en gaz de plusieurs jours, qui a causé des pertes économiques directes de plus de cent millions d'euros. Depuis, nous avons trouvé d'autres sources d'approvisionnement de gaz et de pétrole que le fournisseur russe, mais je tiens à souligner que le projet Nord Stream 2 ne correspondait pas du tout à la vision européenne, puisqu'il ne permet pas de diversifier cette diversification des sources.

Concernant la politique climatique, nous avons promis au Président Hollande d'arriver à une ratification de l'Accord de Paris par tous les pays européens d'ici à la fin 2016. Cela est nécessaire pour préparer au mieux la COP 22 au Maroc.

La numérisation a eu un impact considérable sur la qualité de nos vies et nous concerne tous. Une attention particulière sera accordée au développement de l'économie numérique pendant la présidence slovaque et à la suppression des obstacles auxquelles elle doit faire face, pour une utilisation plus efficace des données, avec une amélioration du cadre législatif pour le droit d'auteur, la politique audiovisuelle et les contrats en ligne. La liberté dans l'espace numérique est selon nous la cinquième liberté du marché unique.

Notre troisième priorité portera sur la gestion d'une politique soutenable en matière d'asile. La gestion des flux migratoires et la coopération en matière de sécurité aux frontières revêtent une importance particulière pour assurer la liberté la sécurité et la justice au sein de l'Union. Nous proposons le rétablissement de la sécurité des frontières européennes extérieures et dans l'espace Schengen. La révision du système de Dublin et le renforcement substantiel des moyens du Bureau européen d'appui en matière d'asile, la transformation de l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union, FRONTEX, en corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. La présidence slovaque veut des résultats concrets dans ce domaine. Elle soutient le plein retour aux règles de Schengen, avec l'absence de contrôles aux frontières européennes intérieures. Cela est primordial pour nous et d'autres pays qui ont subi durant cinquante ans le joug soviétique, avec tout ce que cela comprend pour les populations de privations de liberté. La possibilité de travailler dans d'autres pays, la liberté de circulation sont pour les slovaques des acquis majeurs depuis l'entrée dans l'Union, à protéger absolument.

Le futur du système commun d'asile européen est une discussion difficile, et nous allons faire nos meilleurs efforts pour jouer un rôle de négociation honnête et juste. Nous souhaitons trouver les meilleurs compromis et éviter toute fragmentation de l'Union européenne.

La présidence slovaque considère important de se concentrer sur les aspects extérieurs de la migration, notamment sur les accords extérieurs avec les pays de migration ou de transit, afin d'agir sur les causes des migrations et d'aboutir à des réadmissions. Nous voulons progresser sur ces politiques de retour et de réadmission.

Notre quatrième priorité porte sur le rôle d'acteur global de l'Union, que nous souhaitons affirmer. Particulièrement après la décision britannique de quitter l'Union, la présidence slovaque va défendre une approche globale pour associer les dimensions de la défense, de la durabilité avec l'Agenda 2030, et de la coopération avec les pays tiers. La politique étrangère et de sécurité commune doit être basée sur une stratégie globale concernant la gestion des politiques étrangères et de sécurité. Nous devons aller vers une coopération à trois avec l'OTAN, notamment après le sommet à Varsovie en juillet.

Dans l'agenda 2030 nous devons réunir les aspects internes et externes : l'Agenda 2030 comprend des liens entre la politique de sécurité, d'assistance technique et financière, et la politique climatique. La présidence slovaque doit entamer la réflexion sur le renouvellement de nos relations avec les pays de l'Afrique et des Caraïbes dans le cadre de l'Accord de Cotonou.

La présidence slovaque mènera une politique de voisinage active, tant pour le voisinage oriental que méridional, sans faire de distinction tant ces pays sont également importants pour la sécurité européenne.

Nous sommes dans le trio présidentiel le seul pays qui réfléchit à la poursuite du processus d'élargissement. Ce n'est pas un sujet très mobilisateur à l'heure actuelle, mais cela nous semble important, car la transformation profonde de notre pays à l'occasion de notre entrée dans l'Union nous semble pouvoir servir d'exemple pour certains pays des Balkans ou d'autres régions.

Les liens transatlantiques sont évidemment essentiels avec nos partenaires des États-Unis et du Canada ; la Chine ne doit pas être oubliée pour l'importance des relations commerciales que nous entretenons avec elle.

Quelques mots pour conclure. Dans sa déclaration du 9 mai 1950, Robert Schuman a dit « l'Europe ne va pas être faite d'un coup, avec un seul accord ou un seul plan » et il est vrai que nous avons besoin de faire beaucoup de petits pas modestes, mais tout aussi importants. Nous croyons à ces progrès concrets et à une bonne communication avec les autres institutions européennes, notamment le Parlement européen, ainsi qu'à notre capacité à réagir aux événements imprévus.

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