Intervention de Alexis Bachelay

Réunion du 20 juillet 2016 à 11h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Bachelay, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, je vous propose de nous livrer ce matin à un exercice peu habituel mais à mon sens fort utile, consistant à assurer le suivi des propositions formulées par une mission d'information dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur il y a trois ans.

Cette possibilité, rarement utilisée, nous est offerte par l'article 145-8 du Règlement de notre assemblée, qui permet d'effectuer un contrôle des suites données aux préconisations d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.

Sur le fondement de cet article, j'ai demandé à la commission des affaires sociales, en février dernier, de me charger de faire le point sur l'application des quatre-vingt-deux propositions formulées dans le rapport de la mission d'information sur les immigrés âgés, déposé en juillet 2013.

Cette mission d'information, créée par la Conférence des présidents sur proposition du Président Claude Bartolone, répondait à une préoccupation partagée par tous les députés : comment la République traite-t-elle les étrangers résidant sur son sol depuis plusieurs décennies, y ayant exercé pendant des années des activités professionnelles souvent pénibles et faiblement rémunérées, loin de leurs familles, de leurs amis, et dans des conditions de logement pour le moins précaires. La figure du chibani, qui signifie « ancien » ou « cheveux blancs » en arabe, est emblématique de ces immigrés âgés vivant en foyer, bien que les personnes originaires d'Afrique du Nord ne constituent que la moitié de cette population.

Sous la présidence de notre collègue Denis Jacquat, que je tiens à saluer ici, la mission d'information a travaillé pendant plus de six mois : elle a réalisé une trentaine d'auditions – principaux ministres concernés, représentants d'associations et des institutions publiques et parapubliques, travailleurs sociaux – et a effectué plusieurs déplacements en France et à l'étranger.

Parce qu'elle était le premier travail parlementaire d'ampleur sur cette question, la mission a formulé de multiples propositions – quatre-vingt-deux au total.

Pour suivre leur devenir, j'ai adressé au Premier ministre un questionnaire, auquel aucune réponse détaillée n'a pu être fournie dans les délais impartis. Nous avons procédé à des auditions complémentaires et nous avons concentré nos travaux sur les propositions qui touchent le public le plus large et dont l'impact sur la vie quotidienne des immigrés âgés est le plus sensible. Ce tri comporte une dose d'arbitraire mais il aurait été difficile de revenir sur l'ensemble des sujets abordés dans les centaines de pages du rapport initial. Nous avons retenu trois thématiques principales : l'accès au territoire et à la nationalité ; le logement, question qui reste douloureuse car de nombreux foyers n'ont encore bénéficié d'aucune réhabilitation, certains se trouvant même dans un état de délabrement avancé ; l'accès aux droits sociaux.

Pour chacune de ces trois thématiques, j'ai procédé à quelques auditions ciblées, moins nombreuses évidemment que celles réalisées en 2013 : ministère de l'intérieur pour le premier thème ; représentants de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrés (CILPI) et de la société d'économie mixte Adoma pour le deuxième ; responsables de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) pour le troisième. J'ai également souhaité entendre le Défenseur des droits, Jacques Toubon, car sa vision transversale est extrêmement précieuse. Je tiens ici à le remercier pour son audition, précise et dénuée de langue de bois, qui nous a permis d'aborder les sujets les plus complexes. Enfin, nous avons organisé une table ronde avec les associations de représentation et de défense des immigrés âgés.

Je commencerai par l'accès au territoire et à la nationalité en concentrant mon propos sur trois points.

Tout d'abord, conformément à la proposition n° 11 du rapport de 2013, la délivrance de la carte de résident permanent à durée indéterminée devrait être facilitée. Cette carte, en principe délivrée à tout étranger sollicitant le renouvellement de sa carte de résident de dix ans, était mal connue des services et, de ce fait, très peu répandue.

À l'initiative du groupe majoritaire à l'Assemblée, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a rendu de plein droit la délivrance de la carte de résident permanent aux étrangers âgés de plus de soixante ans dès la deuxième demande de renouvellement d'une carte de résident. Avant même l'adoption de cette mesure législative bienvenue, le nombre de cartes délivrées n'avait cessé de croître depuis 2013, notamment grâce à une circulaire prise en juin 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur. La délivrance de plein droit étant déjà reconnue par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), il avait considéré que les blocages se situaient au niveau des préfectures et avait demandé aux préfets de rendre l'octroi de cette carte plus aisé pour les étrangers de plus de soixante ans ayant déjà fait une demande de renouvellement de carte de résident, autrement dit la quasi-totalité des immigrés âgés qui font l'objet de notre rapport.

Une autre avancée majeure a eu lieu grâce à la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement : conformément à la proposition n° 12 de notre rapport, les ascendants de Français présents sur le territoire depuis au moins vingt-cinq ans peuvent désormais obtenir la nationalité par déclaration, et non plus seulement par naturalisation. La naturalisation, on le sait, suppose un véritable parcours du combattant tant le nombre de documents exigés est rebutant. Donner à des personnes vivant depuis vingt-cinq, trente voire quarante ans en France et dont les enfants sont français la possibilité d'acquérir la nationalité française par déclaration, comme c'est le cas par mariage, a constitué une simplification bienvenue de la procédure. Précisons que l'on estime à 65 % la proportion des immigrés âgés qui n'ont pas la nationalité française et à 100 000 le nombre de ceux qui sont ascendants de Français.

Nous souhaitons que cette mesure soit rapidement mise en oeuvre. Le décret d'application a été publié le 29 juin dernier. Les dossiers seront instruits par les services préfectoraux, efficacement, souhaitons-le.

Les avancées ont été en revanche moins marquées s'agissant de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Délivrée pour dix ans aux étrangers anciennement titulaires d'une carte de résident mais dont la résidence habituelle se situe désormais hors de France, cette carte était initialement destinée à faciliter les allers-retours entre la France et le pays d'origine. Sa délivrance emporte en réalité des conséquences négatives et en général mal connues : elle implique une perte de certains droits sociaux, notamment de la couverture par l'assurance maladie alors même que ces immigrés âgés ont cotisé pendant toute leur vie professionnelle. Cela explique que peu d'entre eux l'aient demandée. Nous souhaiterions que ces personnes, comme les Français s'installant à l'étranger, continuent à bénéficier de leurs droits sociaux lorsqu'elles reviennent dans leur pays d'origine.

J'en viens maintenant au sujet du logement.

La question principale est bien sûr celle de l'achèvement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) engagé voici près de vingt ans, en 1997.

L'objectif général de ce plan est de transformer les quelque 700 foyers existants en résidences sociales, offrant des normes de confort plus acceptables : chambres de 12 mètres carrés et non plus de 7,5 voire 4,5 mètres carrés, réalité vécue pendant vingt ou trente ans par de nombreux immigrés âgés sur notre territoire – je vous laisse imaginer ce que cela suppose ; logements autonomes pourvus de sanitaires individuels et non plus collectifs et conformes aux normes d'accessibilité, ce qui est crucial pour une population vieillissante.

Vous trouverez dans le projet de rapport mis en distribution les chiffres relatifs à l'état d'avancement de ce plan. Depuis quelques années, il a connu une nette accélération. Les représentants de la société Adoma, qui a en charge la gestion de 400 des 700 foyers existants, se sont engagés à achever la transformation de tout leur patrimoine, à raison d'investissements d'un montant supérieur à 2 milliards d'euros, sur dix ans. Il s'agira soit de démolitions-reconstructions dans le cadre d'opérations urbaines concertées avec les collectivités locales, soit de rénovations ou de réhabilitations quand le bâti est encore en bon état, ce qui est plutôt rare. Les obstacles à l'achèvement du plan sont bien connus. Ils tiennent d'abord aux contraintes liées aux finances publiques : certains crédits ont été gelés voire diminués. Ils tiennent ensuite à l'insuffisante implication des collectivités locales. La seule commune à financer systématiquement les opérations de rénovation, c'est Paris, qui participe à hauteur de 50 %. Dans la plupart des cas, les communes ont une contribution nulle ou avoisinant 2 % à 4 %.

Sur le plan de la vie quotidienne, on peut en revanche se féliciter de deux avancées, permises une nouvelle fois par une loi votée par notre majorité, en l'occurrence la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « ALUR ».

Son article 48 a mis en oeuvre la proposition n° 31 du rapport de 2013, interdisant aux gestionnaires des foyers et résidences sociales de pénétrer dans les espaces privatifs des résidents sans leur autorisation préalable.

L'article 49 de la même loi a reconnu l'existence et le rôle des comités de résidents, structures préexistantes mais sans cadre juridique défini, au sein desquelles les résidents organisent leur vie en commun et débattent avec les gestionnaires des foyers. Cette reconnaissance législative était demandée par la mission d'information de 2013 – je vous renvoie à la proposition n° 34. Lors de leur audition, les responsables d'Adoma nous ont apporté un exemplaire du nouveau règlement intérieur, qui tient compte des modifications introduites par la loi. Le travail que nous avons effectué a donc porté ses fruits.

Pour en terminer sur la question du logement, je souhaite rappeler que les immigrés âgés peuvent, comme toute personne éligible, solliciter l'obtention d'un logement social. Or, les travaux de 2013 avaient montré une tendance des bailleurs sociaux et des services communaux du logement à considérer leurs demandes comme irrecevables. Il semblerait hélas que la proposition n° 42, consistant à affirmer le caractère parfaitement recevable de ces demandes, n'ait pas trouvé l'écho espéré. De nombreux migrants âgés auraient les moyens d'habiter des logements sociaux mais beaucoup de communes considèrent qu'elles font déjà des efforts pour les accueillir dans des foyers et qu'elles n'ont pas à accéder à leurs demandes. Cette vision étriquée est une erreur. Les immigrés vivant dans des foyers délabrés devraient au contraire constituer un public prioritaire. Au lieu de cela, ils subissent une double peine car, de l'aveu même de certains adjoints ou de certains maires, ils font l'objet d'une discrimination. Le Défenseur des droits et, auparavant, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) ont déjà soulevé ce problème.

Le troisième et dernier point sur lequel je souhaite appelle l'attention de notre commission est celui de l'accès aux droits sociaux.

J'insisterai sur un point de satisfaction, tout d'abord : pour l'essentiel, les préconisations du rapport de 2013 tendant à, si j'ose dire, « humaniser » davantage certains contrôles ont été mises en oeuvre, notamment grâce à un courrier de Marisol Touraine. Là encore, vous trouverez plus de précisions dans le projet de rapport. Je veux parler des contrôles opérés par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) auprès des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement « minimum vieillesse ». S'il est légitime que les immigrés âgés fassent, comme tous les bénéficiaires de la solidarité nationale, l'objet de contrôles, on peut s'interroger sur les conditions dans lesquelles ceux-ci se déroulent. Ils ont en effet pu être massifs et ciblés. Certains immigrés ont été considérés comme des fraudeurs, non parce qu'ils n'étaient pas éligibles à l'allocation, mais parce qu'ils n'avaient pas respecté la durée de présence sur le territoire national de six mois et un jour, parfois à quelques jours près. Et cela a eu pour eux des conséquences financières très lourdes : certains sont obligés de rembourser des dizaines de milliers d'euros alors que leurs revenus n'excèdent pas 8 000 euros par an. Nous avons souhaité que les critères de contrôle soient entourés de plus de transparence afin d'éviter les suspicions de « descentes » dans les foyers d'immigrés âgés. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho de ce genre d'opérations. Le président du conseil d'administration de la CNAV, lors de son audition, a reconnu être fort mal à l'aise à l'égard de ces pratiques. Il a précisé qu'elles étaient de l'initiative non des CARSAT mais des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Lors du premier rapport, nous n'avions pas pu savoir les raisons de ces ciblages ; nous disposons désormais d'explications sur ce que l'on pourrait qualifier d'excès de zèle.

Je voudrais en deuxième lieu exprimer un léger remords par rapport à la proposition n° 63 du rapport de 2013, qui vise à ramener de dix ans à cinq ans la période de résidence en France ouvrant droit à la perception de l'ASPA par un étranger. Après avoir auditionné une nouvelle fois le Défenseur des droits, je me range à sa position, qui était d'ailleurs la mienne avant que nous n'aboutissions à ce compromis avec Denis Jacquat. J'appelle donc à la suppression de cette période dite de « stage préalable », qui peut apparaître discriminatoire. Aucune autre catégorie de la population ne fait l'objet d'une telle condition de durée, d'autant moins compréhensible s'agissant de personnes résidant en France depuis fort longtemps.

Enfin, je souhaite dire quelques mots de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine (ARFS). Créée par la loi relative au droit au logement opposable, dite « DALO », de 2007, cette aide devait permettre aux immigrés âgés de vivre leur retraite « au pays », sans se trouver démunis du fait de la perte de l'ASPA, qui ne peut être perçue que par les personnes résidant au moins six mois et un jour par an en France.

Pour diverses raisons, le décret d'application correspondant à cette aide n'a été pris qu'en octobre 2015, ce qui a répondu à une attente exprimée dans la proposition n° 74 du rapport de la mission d'information.

Nous pourrions donc nous féliciter qu'un article d'une loi de 2007 soit enfin applicable près de 10 ans après, mais deux points posent véritablement problème.

La Caisse des dépôts, qui a été chargée par le Gouvernement de gérer et de servir cette prestation, exige pour son renouvellement, en application du décret, deux documents dépourvus de sens compte tenu de la nature de l'aide : un avis d'imposition ou de non-imposition ainsi qu'un certificat de résidence en foyer ou en résidence sociale.

J'ai constaté en effet que, si l'allocation est servie pour une première année, le décret prévoit que les mêmes documents doivent être fournis, au moment du renouvellement, ce qui revient à demander à des gens repartis dans leur pays d'origine, à qui la Caisse des dépôts verse l'ARFS, de produire un avis d'imposition. Or, chacun sait que, pour être imposable en France, il faut y résider. Et lorsqu'on redemande le certificat de résidence en foyer ou en résidence sociale, on marche sur la tête ! L'allocation a précisément pour objet de permettre à ces gens de rentrer dans leur pays d'origine ! J'ai d'ailleurs fait des bonds sur ma chaise lorsque j'ai auditionné les représentants de la Caisse des dépôts. Mais elle n'a fait que respecter le cahier des charges déterminé par le décret, qu'au demeurant, elle n'a pas surinterprété.

En tout état de cause, en l'état, le dispositif de l'ARFS est inapplicable, ce qui nous pose collectivement un problème. Cette mesure avait fait l'objet, en effet, d'un large consensus politique, après des années d'enlisement. Elle devait permettre à quelques centaines, voire deux ou trois mille immigrés âgés présents sur notre territoire de regagner leur pays de naissance.

Je regrette de devoir conclure mon propos sur cette note négative, alors que nos travaux ont par ailleurs conduit à des progrès non négligeables. Certes, la mise en oeuvre de nos quatre-vingt-deux propositions était difficile à atteindre dans les délais mais cette aide au retour, singulièrement emblématique, aurait dû faire partie de ces acquis.

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