Commission des affaires sociales

Réunion du 20 juillet 2016 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 20 juillet 2016

La séance est ouverte à onze heures cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission des affaires sociales procède à l'examen, sur le rapport de M. Alexis Bachelay, en application de l'article 145-8 du Règlement, relatif à la mise en oeuvre des conclusions de la mission d'information sur les immigrés âgés.

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Nous examinons ce matin le rapport d'information sur le suivi des conclusions de la mission d'information sur les immigrés âgés en application de l'article 145-8 de notre règlement, procédure rarement mise en oeuvre qui ouvre un droit de suite sur les travaux antérieurs des missions d'information.

Avant de donner la parole au rapporteur, Alexis Bachelay, permettez-moi d'insister sur le fait que ce travail est très attendu. La situation des immigrés âgés doit interpeller notre République. Ces chibanis ont aidé notre pays à se construire, en particulier pendant les Trente Glorieuses, et aujourd'hui ils ne sont pas reconnus comme ils devraient l'être. Ils sont pénalisés s'ils restent un ou deux jours de plus que ce qui est prévu auprès de leurs familles dans leur pays d'origine : 15 000 à 20 000 euros peuvent leur être réclamés au titre du remboursement des prestations qu'ils touchent en France, inégalité qui crève le coeur. Dans ma circonscription, certains vivent dans des bungalows. Je saluerai ici l'action du groupe Zebda à Toulouse qui a fait de l'amélioration du sort des chibanis un combat : je remercie en particulier Mustapha Amokrane et Magyd Cherfi. Je ne désespère pas que nous puissions visionner un jour à l'Assemblée le documentaire auxquels ils ont collaboré Perdus entre deux rives, les chibanis oubliés.

Monsieur le rapporteur, dites-nous maintenant où nous en sommes trois ans après le dépôt du rapport de la mission d'information.

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Madame la présidente, mes chers collègues, je vous propose de nous livrer ce matin à un exercice peu habituel mais à mon sens fort utile, consistant à assurer le suivi des propositions formulées par une mission d'information dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur il y a trois ans.

Cette possibilité, rarement utilisée, nous est offerte par l'article 145-8 du Règlement de notre assemblée, qui permet d'effectuer un contrôle des suites données aux préconisations d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.

Sur le fondement de cet article, j'ai demandé à la commission des affaires sociales, en février dernier, de me charger de faire le point sur l'application des quatre-vingt-deux propositions formulées dans le rapport de la mission d'information sur les immigrés âgés, déposé en juillet 2013.

Cette mission d'information, créée par la Conférence des présidents sur proposition du Président Claude Bartolone, répondait à une préoccupation partagée par tous les députés : comment la République traite-t-elle les étrangers résidant sur son sol depuis plusieurs décennies, y ayant exercé pendant des années des activités professionnelles souvent pénibles et faiblement rémunérées, loin de leurs familles, de leurs amis, et dans des conditions de logement pour le moins précaires. La figure du chibani, qui signifie « ancien » ou « cheveux blancs » en arabe, est emblématique de ces immigrés âgés vivant en foyer, bien que les personnes originaires d'Afrique du Nord ne constituent que la moitié de cette population.

Sous la présidence de notre collègue Denis Jacquat, que je tiens à saluer ici, la mission d'information a travaillé pendant plus de six mois : elle a réalisé une trentaine d'auditions – principaux ministres concernés, représentants d'associations et des institutions publiques et parapubliques, travailleurs sociaux – et a effectué plusieurs déplacements en France et à l'étranger.

Parce qu'elle était le premier travail parlementaire d'ampleur sur cette question, la mission a formulé de multiples propositions – quatre-vingt-deux au total.

Pour suivre leur devenir, j'ai adressé au Premier ministre un questionnaire, auquel aucune réponse détaillée n'a pu être fournie dans les délais impartis. Nous avons procédé à des auditions complémentaires et nous avons concentré nos travaux sur les propositions qui touchent le public le plus large et dont l'impact sur la vie quotidienne des immigrés âgés est le plus sensible. Ce tri comporte une dose d'arbitraire mais il aurait été difficile de revenir sur l'ensemble des sujets abordés dans les centaines de pages du rapport initial. Nous avons retenu trois thématiques principales : l'accès au territoire et à la nationalité ; le logement, question qui reste douloureuse car de nombreux foyers n'ont encore bénéficié d'aucune réhabilitation, certains se trouvant même dans un état de délabrement avancé ; l'accès aux droits sociaux.

Pour chacune de ces trois thématiques, j'ai procédé à quelques auditions ciblées, moins nombreuses évidemment que celles réalisées en 2013 : ministère de l'intérieur pour le premier thème ; représentants de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrés (CILPI) et de la société d'économie mixte Adoma pour le deuxième ; responsables de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) pour le troisième. J'ai également souhaité entendre le Défenseur des droits, Jacques Toubon, car sa vision transversale est extrêmement précieuse. Je tiens ici à le remercier pour son audition, précise et dénuée de langue de bois, qui nous a permis d'aborder les sujets les plus complexes. Enfin, nous avons organisé une table ronde avec les associations de représentation et de défense des immigrés âgés.

Je commencerai par l'accès au territoire et à la nationalité en concentrant mon propos sur trois points.

Tout d'abord, conformément à la proposition n° 11 du rapport de 2013, la délivrance de la carte de résident permanent à durée indéterminée devrait être facilitée. Cette carte, en principe délivrée à tout étranger sollicitant le renouvellement de sa carte de résident de dix ans, était mal connue des services et, de ce fait, très peu répandue.

À l'initiative du groupe majoritaire à l'Assemblée, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a rendu de plein droit la délivrance de la carte de résident permanent aux étrangers âgés de plus de soixante ans dès la deuxième demande de renouvellement d'une carte de résident. Avant même l'adoption de cette mesure législative bienvenue, le nombre de cartes délivrées n'avait cessé de croître depuis 2013, notamment grâce à une circulaire prise en juin 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur. La délivrance de plein droit étant déjà reconnue par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), il avait considéré que les blocages se situaient au niveau des préfectures et avait demandé aux préfets de rendre l'octroi de cette carte plus aisé pour les étrangers de plus de soixante ans ayant déjà fait une demande de renouvellement de carte de résident, autrement dit la quasi-totalité des immigrés âgés qui font l'objet de notre rapport.

Une autre avancée majeure a eu lieu grâce à la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement : conformément à la proposition n° 12 de notre rapport, les ascendants de Français présents sur le territoire depuis au moins vingt-cinq ans peuvent désormais obtenir la nationalité par déclaration, et non plus seulement par naturalisation. La naturalisation, on le sait, suppose un véritable parcours du combattant tant le nombre de documents exigés est rebutant. Donner à des personnes vivant depuis vingt-cinq, trente voire quarante ans en France et dont les enfants sont français la possibilité d'acquérir la nationalité française par déclaration, comme c'est le cas par mariage, a constitué une simplification bienvenue de la procédure. Précisons que l'on estime à 65 % la proportion des immigrés âgés qui n'ont pas la nationalité française et à 100 000 le nombre de ceux qui sont ascendants de Français.

Nous souhaitons que cette mesure soit rapidement mise en oeuvre. Le décret d'application a été publié le 29 juin dernier. Les dossiers seront instruits par les services préfectoraux, efficacement, souhaitons-le.

Les avancées ont été en revanche moins marquées s'agissant de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Délivrée pour dix ans aux étrangers anciennement titulaires d'une carte de résident mais dont la résidence habituelle se situe désormais hors de France, cette carte était initialement destinée à faciliter les allers-retours entre la France et le pays d'origine. Sa délivrance emporte en réalité des conséquences négatives et en général mal connues : elle implique une perte de certains droits sociaux, notamment de la couverture par l'assurance maladie alors même que ces immigrés âgés ont cotisé pendant toute leur vie professionnelle. Cela explique que peu d'entre eux l'aient demandée. Nous souhaiterions que ces personnes, comme les Français s'installant à l'étranger, continuent à bénéficier de leurs droits sociaux lorsqu'elles reviennent dans leur pays d'origine.

J'en viens maintenant au sujet du logement.

La question principale est bien sûr celle de l'achèvement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) engagé voici près de vingt ans, en 1997.

L'objectif général de ce plan est de transformer les quelque 700 foyers existants en résidences sociales, offrant des normes de confort plus acceptables : chambres de 12 mètres carrés et non plus de 7,5 voire 4,5 mètres carrés, réalité vécue pendant vingt ou trente ans par de nombreux immigrés âgés sur notre territoire – je vous laisse imaginer ce que cela suppose ; logements autonomes pourvus de sanitaires individuels et non plus collectifs et conformes aux normes d'accessibilité, ce qui est crucial pour une population vieillissante.

Vous trouverez dans le projet de rapport mis en distribution les chiffres relatifs à l'état d'avancement de ce plan. Depuis quelques années, il a connu une nette accélération. Les représentants de la société Adoma, qui a en charge la gestion de 400 des 700 foyers existants, se sont engagés à achever la transformation de tout leur patrimoine, à raison d'investissements d'un montant supérieur à 2 milliards d'euros, sur dix ans. Il s'agira soit de démolitions-reconstructions dans le cadre d'opérations urbaines concertées avec les collectivités locales, soit de rénovations ou de réhabilitations quand le bâti est encore en bon état, ce qui est plutôt rare. Les obstacles à l'achèvement du plan sont bien connus. Ils tiennent d'abord aux contraintes liées aux finances publiques : certains crédits ont été gelés voire diminués. Ils tiennent ensuite à l'insuffisante implication des collectivités locales. La seule commune à financer systématiquement les opérations de rénovation, c'est Paris, qui participe à hauteur de 50 %. Dans la plupart des cas, les communes ont une contribution nulle ou avoisinant 2 % à 4 %.

Sur le plan de la vie quotidienne, on peut en revanche se féliciter de deux avancées, permises une nouvelle fois par une loi votée par notre majorité, en l'occurrence la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « ALUR ».

Son article 48 a mis en oeuvre la proposition n° 31 du rapport de 2013, interdisant aux gestionnaires des foyers et résidences sociales de pénétrer dans les espaces privatifs des résidents sans leur autorisation préalable.

L'article 49 de la même loi a reconnu l'existence et le rôle des comités de résidents, structures préexistantes mais sans cadre juridique défini, au sein desquelles les résidents organisent leur vie en commun et débattent avec les gestionnaires des foyers. Cette reconnaissance législative était demandée par la mission d'information de 2013 – je vous renvoie à la proposition n° 34. Lors de leur audition, les responsables d'Adoma nous ont apporté un exemplaire du nouveau règlement intérieur, qui tient compte des modifications introduites par la loi. Le travail que nous avons effectué a donc porté ses fruits.

Pour en terminer sur la question du logement, je souhaite rappeler que les immigrés âgés peuvent, comme toute personne éligible, solliciter l'obtention d'un logement social. Or, les travaux de 2013 avaient montré une tendance des bailleurs sociaux et des services communaux du logement à considérer leurs demandes comme irrecevables. Il semblerait hélas que la proposition n° 42, consistant à affirmer le caractère parfaitement recevable de ces demandes, n'ait pas trouvé l'écho espéré. De nombreux migrants âgés auraient les moyens d'habiter des logements sociaux mais beaucoup de communes considèrent qu'elles font déjà des efforts pour les accueillir dans des foyers et qu'elles n'ont pas à accéder à leurs demandes. Cette vision étriquée est une erreur. Les immigrés vivant dans des foyers délabrés devraient au contraire constituer un public prioritaire. Au lieu de cela, ils subissent une double peine car, de l'aveu même de certains adjoints ou de certains maires, ils font l'objet d'une discrimination. Le Défenseur des droits et, auparavant, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) ont déjà soulevé ce problème.

Le troisième et dernier point sur lequel je souhaite appelle l'attention de notre commission est celui de l'accès aux droits sociaux.

J'insisterai sur un point de satisfaction, tout d'abord : pour l'essentiel, les préconisations du rapport de 2013 tendant à, si j'ose dire, « humaniser » davantage certains contrôles ont été mises en oeuvre, notamment grâce à un courrier de Marisol Touraine. Là encore, vous trouverez plus de précisions dans le projet de rapport. Je veux parler des contrôles opérés par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) auprès des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement « minimum vieillesse ». S'il est légitime que les immigrés âgés fassent, comme tous les bénéficiaires de la solidarité nationale, l'objet de contrôles, on peut s'interroger sur les conditions dans lesquelles ceux-ci se déroulent. Ils ont en effet pu être massifs et ciblés. Certains immigrés ont été considérés comme des fraudeurs, non parce qu'ils n'étaient pas éligibles à l'allocation, mais parce qu'ils n'avaient pas respecté la durée de présence sur le territoire national de six mois et un jour, parfois à quelques jours près. Et cela a eu pour eux des conséquences financières très lourdes : certains sont obligés de rembourser des dizaines de milliers d'euros alors que leurs revenus n'excèdent pas 8 000 euros par an. Nous avons souhaité que les critères de contrôle soient entourés de plus de transparence afin d'éviter les suspicions de « descentes » dans les foyers d'immigrés âgés. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho de ce genre d'opérations. Le président du conseil d'administration de la CNAV, lors de son audition, a reconnu être fort mal à l'aise à l'égard de ces pratiques. Il a précisé qu'elles étaient de l'initiative non des CARSAT mais des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Lors du premier rapport, nous n'avions pas pu savoir les raisons de ces ciblages ; nous disposons désormais d'explications sur ce que l'on pourrait qualifier d'excès de zèle.

Je voudrais en deuxième lieu exprimer un léger remords par rapport à la proposition n° 63 du rapport de 2013, qui vise à ramener de dix ans à cinq ans la période de résidence en France ouvrant droit à la perception de l'ASPA par un étranger. Après avoir auditionné une nouvelle fois le Défenseur des droits, je me range à sa position, qui était d'ailleurs la mienne avant que nous n'aboutissions à ce compromis avec Denis Jacquat. J'appelle donc à la suppression de cette période dite de « stage préalable », qui peut apparaître discriminatoire. Aucune autre catégorie de la population ne fait l'objet d'une telle condition de durée, d'autant moins compréhensible s'agissant de personnes résidant en France depuis fort longtemps.

Enfin, je souhaite dire quelques mots de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine (ARFS). Créée par la loi relative au droit au logement opposable, dite « DALO », de 2007, cette aide devait permettre aux immigrés âgés de vivre leur retraite « au pays », sans se trouver démunis du fait de la perte de l'ASPA, qui ne peut être perçue que par les personnes résidant au moins six mois et un jour par an en France.

Pour diverses raisons, le décret d'application correspondant à cette aide n'a été pris qu'en octobre 2015, ce qui a répondu à une attente exprimée dans la proposition n° 74 du rapport de la mission d'information.

Nous pourrions donc nous féliciter qu'un article d'une loi de 2007 soit enfin applicable près de 10 ans après, mais deux points posent véritablement problème.

La Caisse des dépôts, qui a été chargée par le Gouvernement de gérer et de servir cette prestation, exige pour son renouvellement, en application du décret, deux documents dépourvus de sens compte tenu de la nature de l'aide : un avis d'imposition ou de non-imposition ainsi qu'un certificat de résidence en foyer ou en résidence sociale.

J'ai constaté en effet que, si l'allocation est servie pour une première année, le décret prévoit que les mêmes documents doivent être fournis, au moment du renouvellement, ce qui revient à demander à des gens repartis dans leur pays d'origine, à qui la Caisse des dépôts verse l'ARFS, de produire un avis d'imposition. Or, chacun sait que, pour être imposable en France, il faut y résider. Et lorsqu'on redemande le certificat de résidence en foyer ou en résidence sociale, on marche sur la tête ! L'allocation a précisément pour objet de permettre à ces gens de rentrer dans leur pays d'origine ! J'ai d'ailleurs fait des bonds sur ma chaise lorsque j'ai auditionné les représentants de la Caisse des dépôts. Mais elle n'a fait que respecter le cahier des charges déterminé par le décret, qu'au demeurant, elle n'a pas surinterprété.

En tout état de cause, en l'état, le dispositif de l'ARFS est inapplicable, ce qui nous pose collectivement un problème. Cette mesure avait fait l'objet, en effet, d'un large consensus politique, après des années d'enlisement. Elle devait permettre à quelques centaines, voire deux ou trois mille immigrés âgés présents sur notre territoire de regagner leur pays de naissance.

Je regrette de devoir conclure mon propos sur cette note négative, alors que nos travaux ont par ailleurs conduit à des progrès non négligeables. Certes, la mise en oeuvre de nos quatre-vingt-deux propositions était difficile à atteindre dans les délais mais cette aide au retour, singulièrement emblématique, aurait dû faire partie de ces acquis.

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J'ai omis de saluer le remarquable travail de Denis Jacquat, qui a présidé cette mission d'information. Je tiens aussi à vous féliciter pour ce rapport, monsieur Bachelay, qui porte sur un sujet qui ne peut que nous rassembler, car les inégalités que vous avez soulignées sont flagrantes. Il est vrai que nous aurions préféré une conclusion plus positive…

J'ai demandé à Claude Bartolone de prévoir, lorsque cela sera possible, la projection du documentaire réalisé par Rachid Oujdi Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés, tournés en 2015. La musique Origines contrôlées a été composée par deux membres du groupe Zebda, Mustapha et Hakim Amokrane. Au mois d'octobre 2015, à la 6e Biennale du film d'action sociale, ce documentaire a reçu le prix Unaforis avec mention spéciale du jury. Il illustre parfaitement les situations cruelles que vous venez de décrire.

Je cède maintenant la parole aux représentants des groupes.

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Je souhaite à mon tour saluer le travail de la mission d'information présidée par Denis Jacquat et me féliciter de l'examen de ce rapport sur le suivi des préconisations avancées en 2013.

Il met en lumière les situations indignes vécues par une population très silencieuse, car fort peu revendicative. Nos immigrés âgés font trop souvent l'objet de discriminations. Si quelques progrès sont constatés, et nous devons nous en réjouir, beaucoup reste à faire.

Dans l'attente de la projection du documentaire, qui sera l'occasion d'échanger sur ce sujet, je souhaite rappeler que, le 29 mars dernier, l'Assemblée nationale a accueilli un colloque ayant pour thème les chibanis, qui a remporté un grand succès. Nous avons pu y entendre de nombreux témoignages. À cet égard, je souhaite rendre hommage à toutes ces associations qui comblent parfois les lacunes de certains services de l'État, qui ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour appliquer les politiques que nous avons voulues pour ces hommes. N'oublions pas néanmoins que des femmes peuvent être elles aussi concernées, avec leurs problématiques propres.

Vous avez évoqué, madame la présidente, le groupe Zebda. Je rappellerai, pour ma part, cette très belle phrase extraite de la chanson Les Étrangers : « Ils construisent des maisons qu'ils n'habiteront jamais ».

Le logement est en effet le problème crucial. On ne peut que déplorer la frilosité de certaines collectivités territoriales, qui, il est vrai, connaissent des périodes de disette budgétaire. Il n'empêche qu'un effort doit être fait en faveur de ces femmes et de ces hommes qui sont venus travailler en France, et ont choisi de vivre leur retraite parmi nous : il y va de notre devoir.

À l'occasion du colloque que j'ai évoqué, il a été constaté que les intéressés n'étaient pas forcément demandeurs de logements rénovés, qui sont certes plus décents mais dont le loyer est trop élevé pour eux.

Par ailleurs, j'en appelle à l'action des CARSAT, car les parcours professionnels de ces personnes ont été très hachés et elles ne sont pas toujours au fait de leurs droits. Elles éprouvent souvent des difficultés à reconstituer leur carrière. Je souhaiterais donc que cette administration soit particulièrement attentive à ces publics.

S'agissant de la prise en charge du vieillissement, là aussi, beaucoup reste à faire. Lors du colloque, des médecins ont ainsi insisté sur les besoins très spécifiques de ses personnes.

En outre, le rapport n'insiste pas suffisamment sur le nécessaire effort intergouvernemental à mener : la France et les pays d'origine doivent travailler ensemble. Ainsi, une association, qui projette de créer des maisons de retraite en Tunisie, a besoin d'être encouragée.

Enfin, s'agissant du droit à la circulation, le décret est certes récent, mais nos préfectures devraient tout faire pour le mettre en oeuvre. La réglementation jusque-là en vigueur soumettait en effet ces personnes à l'immobilisme, alors qu'elles devraient pouvoir faire facilement des allers-retours afin de voir leur famille et leurs enfants.

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À titre personnel, Madame la présidente, je veux m'associer à vos propos sur le groupe Zebda, car sans être toulousain, je suis de la même région que vous, et nous ne pouvons que saluer la façon dont il soutient cette catégorie de notre population.

Je précise que si je prends la parole aujourd'hui, c'est uniquement parce que notre collègue Denis Jacquat est absent aujourd'hui : au nom de mon groupe, je salue son travail ainsi que celui du rapporteur. Ce rapport constitue une occasion de contrôler la mise en oeuvre des mesures que nous adoptons, c'est aussi un moment d'apaisement en cette période difficile.

Sans aucun esprit de polémique, je souhaite néanmoins faire part de ma surprise devant l'emploi du mot « migrant », qui me paraît en l'occurrence peu approprié, car les intéressés vivent depuis très longtemps sur le territoire national. Ce terme, aujourd'hui connoté, ne correspond pas à leur réalité, et les renvoie à une situation qui les rend très malheureux en raison des différents amalgames qui sont faits.

Certaines des propositions formulées dans le rapport de 2013 ont eu un écho dans l'action du Gouvernement. Je pense notamment aux mesures tendant à faciliter la naturalisation des immigrés âgés, ainsi que l'acquisition de la nationalité par déclaration, qui ont été votées dans la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement pour les parents d'enfants français résidant en France depuis 25 ans sous conditions d'âge.

Le décret d'application est malheureusement trop récent pour que des données statistiques soient disponibles. À l'époque de la discussion de la loi, la presse estimait que l'accès facilité à la nationalité pourrait concerner plusieurs centaines de milliers de personnes. Disposez-vous, monsieur le rapporteur, d'estimations de la cible de population visée par ce dispositif ?

Par ailleurs, l'ARFS, voulue par le législateur de 2007, était restée lettre morte : elle est désormais effective, grâce à votre volontarisme qui doit être salué. L'ARFS sera donc versée par un fonds spécialement créé à cet effet. Êtes-vous en mesure de nous fournir un ordre de grandeur du coût annuel de cette mesure, et de nous préciser les modalités d'alimentation de ce fonds ?

Toutefois, vous déplorez que les conditions de renouvellement soient trop restrictives : le ministère des affaires sociales vous a-t-il fourni des indications supplémentaires à ce sujet ?

Enfin, il semble que la suppression de la condition de stage préalable pour les étrangers bénéficiaires de l'ASPA fasse question : le fait d'exiger une antériorité de résidence de dix ans ne paraît pas scandaleux, les intéressés ayant travaillé en France pendant de longues années. Pouvez-vous, monsieur le rapporteur, étayer les raisons pour lesquelles vous souhaitez supprimer cette condition de stage, même si l'argument de la possible discrimination peut être entendu ?

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Je tiens à saluer le travail du rapporteur et de Denis Jacquat ; nous pouvons être fiers des quatre-vingt-deux propositions formulées par la mission d'information voulue par Claude Bartolone.

En 2007, avec Jean-Louis Borloo, nous avions porté la loi DALO, qui avait fait consensus à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Nous aurions donc pu considérer que le sujet était traité puisqu'une loi avait été adoptée. Mais il n'en va pas ainsi dans notre pays : pour peu que la philosophie d'une administration soit orthogonale à la loi, celle-ci ne s'applique pas. Notre rapporteur est très britannique dans son flegme lorsqu'il dit qu'il a fait des bonds sur sa chaise en découvrant que le décret d'application d'une mesure adoptée en 2007 n'avait été pris qu'en 2015 et qu'il ne produit pas les effets attendus. C'est scandaleux, s'agissant d'une disposition votée à l'unanimité !

Cela pose un problème politique : la Caisse des dépôts applique le décret tel que rédigé par ceux qui, manifestement, se sont fait tordre le bras pour l'écrire – Jean-Louis Borloo a dû insister auprès du Président de la République et des ministres concernés pendant de nombreuses années. Ce décret est inapplicable, ce qui est encore plus grave.

Je souhaiterais, madame la présidente, que devant de telles situations, on ne fasse pas simplement des bonds sur des chaises : il faut en tirer toutes les conséquences à l'égard de ceux qui se sont comportés de la sorte.

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Je salue moi aussi le travail de nos collègues. Ce rapport d'information sur le suivi des conclusions de la mission d'information sur les immigrés âgés, créée en 2012, est très intéressant. Je remercie le rapporteur pour sa présentation ainsi que pour les informations fournies, particulièrement sur l'aide au retour. Je m'associe par ailleurs aux propos d'Arnaud Richard. Une telle situation est en effet inadmissible.

Vous le savez, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste est particulièrement attaché à la volonté d'adhésion des uns et des autres à notre socle républicain et, par là même, aux questions portant sur la nationalité, les naturalisations et les possibilités d'offrir au plus grand nombre de personnes témoignant du même esprit un droit de cité, ce qui implique toutefois des devoirs.

Votre rapport de suivi, monsieur le rapporteur, témoigne de la volonté de cette majorité d'intégrer au mieux celles et ceux qui ont contribué par le passé à la construction de nos valeurs communes.

Ainsi nous réjouissons-nous de constater que l'accès des immigrés âgés à la nationalité française est désormais simplifié. Vous notez dans votre rapport que la procédure de naturalisation pour les immigrés âgés constitue un « véritable parcours du combattant ». À ce titre, soyez assuré qu'une procédure de naturalisation, même pour une personne non âgée, constitue bien un véritable parcours du combattant, parfois très intrusif.

Par ailleurs, il est satisfaisant de constater que l'article 38 de la loi du 28 décembre 2015 a repris l'une de vos propositions, monsieur le rapporteur. Mon groupe se réjouit également que le nombre de cartes de séjour « retraité » ait augmenté depuis 2012, en particulier celui des renouvellements.

En ce qui concerne le logement, nous prenons acte avec satisfaction de la réponse que le Défenseur des droits vous a adressée après votre courrier du 4 novembre 2014, qui appelait son attention sur la question de l'accès au logement social, dans des conditions normales, pour les immigrés âgés, afin de traduire dans la législation la préconisation n° 42 de votre rapport d'information de 2013. Toutefois, nous ne pouvons que déplorer, en dépit de plusieurs avancées positives, que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants ne soit toujours pas achevé.

Nous observons également que les principales préconisations de votre rapport, relatives au respect des droits des personnes dans les contrôles concernant l'accès aux droits sociaux, ont été appliquées. Par ailleurs, votre proposition sur la suppression pure et simple du stage préalable de dix ans de présence en France afin d'ouvrir le droit à l'ASPA pour les étrangers nous semble aller dans le bon sens.

Dans votre rapport, vous considérez que la condition de ressources suffisantes – au moins le SMIC annuel – n'est, par construction, pas remplie par les bénéficiaires de l'ASPA, nombreux parmi les immigrés âgés, et qu'elle constitue de fait un frein à l'accès à la naturalisation. Cependant, la circulaire du 16 octobre 2012, prise par Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, relative à la procédure d'accès à la nationalité française mentionne le fait que c'est la globalité du parcours du requérant qui doit désormais être prise en compte : « Si l'insertion professionnelle constitue une condition essentielle de l'assimilation, elle ne saurait, dans un contexte de crise économique et sociale qui frappe un grand nombre de citoyens, écarter systématiquement de la naturalisation des personnes victimes d'une situation de l'emploi difficile, d'une période de non-emploi ou d'un défaut de formation préalable. »

Cela signifierait-il donc que les circulaires ne sont pas réellement appliquées par les préfectures ?

En outre, je souhaite évoquer la question de l'évaluation du niveau linguistique des personnes de plus de 65 ans, également mentionnée dans la circulaire du 16 octobre 2012.

Ce texte dispense les candidats à la naturalisation de plus de 65 ans de l'examen linguistique et ne retient que l'entretien en préfecture afin de vérifier le niveau de connaissance de la langue des intéressés. Je m'étonne donc que le Gouvernement et le groupe Socialiste, écologiste et républicain se soient prononcés contre l'un de nos amendements lors de l'examen du projet de loi « Égalité et Citoyenneté ». Celui-ci reprenait notre proposition de loi relative aux connaissances linguistiques des candidats francophones à la naturalisation adoptée en mars 2015, simplifiait l'acquisition de la nationalité française notamment pour les personnes ayant réalisé toute leur scolarité en français.

Il est surprenant que le Gouvernement et le groupe Socialiste, écologiste et républicain aient rejeté sans discussion ce dispositif qu'ils avaient pourtant respectivement soutenu et adopté. Nous ne comprenons pas ce revirement qui paraît bien étrange.

Cette remarque ne m'empêchera toutefois pas de saluer à nouveau le travail du rapporteur ainsi que toutes les avancées sociales auxquelles il a conduit.

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Vous avez bien fait, madame Orliac de nous interpeller : nous allons revoir les arguments avancés par le Gouvernement et le rapporteur lors de la discussion du projet de loi « Égalité et citoyenneté ».

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Nous avons tous dans nos communes ce contact et ce dialogue avec ces personnes âgées qui ont été qualifiées de jeunes travailleurs lors de leur arrivée dans nos quartiers, et qui ont tant contribué à la construction de notre pays. Il faut leur rendre hommage et reconnaître l'action qui a été la leur.

Pourtant, ces gens sont souvent oubliés – on les dit parfois invisibles. Dans la continuité du remarquable travail de Denis Jacquat, le présent rapport a le mérite les rappeler à notre mémoire.

En 2004, un rapport du Haut conseil à l'intégration proclamait précisément les chibanis « grands oubliés de l'intégration ». Vous-même, madame la présidente, évoquiez ce documentaire au si beau titre : Perdus entre deux rives, les chibanis oubliés. Tout est dit.

Le rapport pose des questions fondamentales, des questions humaines, et de respects vis-à-vis de ces personnes. Elles concernent l'accès à la nationalité, l'accès aux droits sociaux, au logement. Ces personnes âgées, qui ont cotisé pendant toute leur vie, ont des droits que nul ne saurait remettre en cause. Cela étant, la problématique du droit à la circulation entre la France et les pays d'origine est exemplaire des difficultés rencontrées.

L'accès à ces droits doit être facilité, et c'est l'honneur de notre pays de reconnaître la place de ceux qui ont contribué à sa prospérité.

Quelle est la situation dans d'autres pays européens ? Quelle reconnaissance accordent-ils à ces hommes venus apporter leur savoir-faire, leur travail et leur sueur dans des métiers souvent difficiles ? Qu'ont-ils mis en oeuvre ?

Par ailleurs, selon quels critères géographiques ces personnes immigrées âgées, porteuses d'une autre culture et d'autres origines, et que nous avons toujours plaisir à saluer lorsque nous allons dans les quartiers, sont-elles installées ? Ces gens suscitent le respect notamment parce qu'ils sont respectueux des règles républicaines. Nous ne pouvons remettre en cause cette vision qu'ils ont de la France, qui se doit, quant à elle, de leur porter le même respect.

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En tant que ministre, j'ai eu l'occasion de visiter les foyers dont nous parle le rapporteur. Il y a quelque chose de déchirant dans ces petites cellules de quatre mètres carrés, et dans l'immense isolement de ceux qui les habitent. Je rappelle toujours que la société protectrice des animaux demande qu'un gros chien puisse disposer d'un espace de sept mètres carrés. À l'époque, j'avais travaillé sur le sujet sans parvenir à inscrire dans la loi aucune mesure importante.

Une avancée considérable a pu avoir lieu grâce à un amendement porté par M. Alexis Bachelay, qui permet l'accession à la nationalité sur simple demande. J'ai éprouvé une très grande fierté d'avoir participé activement à ce travail parlementaire.

Il nous faut encore résoudre le problème essentiel de l'accueil dans le logement social des grands âgés qui se trouvent souvent dans un état d'extrême fatigue et subissent quelquefois une perte d'autonomie. Les résidences autonomie constituent une solution : elles relèvent du logement social et permettent un accueil spécifique, grâce à des animations, des contacts… Je propose au rapporteur de rédiger avec lui un amendement au prochain PLFSS afin de donner une priorité à ces chibanis pour l'accès à ces logements – j'avoue que je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt.

En tant que membre du Gouvernement, j'avais reçu le ministre marocain compétent qui m'avait expliqué qu'au Maroc il était culturellement très difficile pour les familles de laisser l'un de leurs membres rejoindre une maison de retraite du pays.

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Je me joins évidemment au choeur de louanges dont M. Denis Jacquat et M. Alexis Bachelay font l'objet.

La méthode me paraît être la bonne : un rapport en début de législature est suivi d'un autre qui, en fin de législature, fait le point sur la façon dont les préconisations initiales ont été mises en oeuvre.

Cela dit, nous ne sommes pas tout à fait en fin de législature, et il manque peut-être au rapport d'information qui nous est présenté aujourd'hui une feuille de route comportant les dispositifs que nous pourrions prendre dans le PLF et dans le PLFSS qui restent encore à adopter avant que nos mandats ne prennent fin. Il manque également sans doute une sorte de tableau récapitulatif reprenant l'ensemble des recommandations, et décrivant ce qui a été fait et ce qui reste à faire.

J'insiste sur la cohérence d'un travail qui a joué sur toute la gamme des actions à mener. Des dispositions ont été prises en matière de titre de séjour, dans la loi relative au droit des étrangers en France, en matière d'accès à la nationalité, dans la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, ou en matière de logement, dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové. Un an après le dépôt du rapport de la mission d'information, les articles 48 et 49 de la loi ALUR du 24 mars 2014 donnaient satisfaction à deux des propositions de la mission d'information. Il est seulement regrettable que les décrets d'application relatifs à ces articles ne soient pas sortis aussi rapidement, ce qui nous empêche de disposer aujourd'hui de données quantitatives qui permettraient de procéder à une évaluation.

Le mérite de votre rapport d'information, monsieur Bachelay, est de montrer qu'une politique a été suivie de façon constante. C'est appréciable à une époque où l'on a parfois du mal à voir la cohérence de politiques qui touchent une grande variété de domaines.

L'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine fait partie de cette politique cohérente. Néanmoins, en raison de la publication récente du décret d'application relatif à cette mesure, il est aujourd'hui impossible d'avoir une véritable idée de sa mise en oeuvre…

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Je suis incapable d'évaluer la façon dont s'applique une mesure alors que le décret d'application qui la concerne a été pris il y a moins d'un an. Dans ce délai, de quelles données statistiques pourrions-nous disposer ? Il faut le temps que le texte entre en vigueur, que l'information soit diffusée, que les circulaires soient prises.

L'accès de colère d'Arnaud Richard est justifié : il n'est pas normal que l'administration traîne les pieds pour mettre en oeuvre un texte voté à l'unanimité. Cela serait tout aussi anormal d'ailleurs si le texte n'avait été adopté qu'à la majorité, mais dès lors qu'il appartient aussi au législateur de mettre l'accent sur les décrets nécessaires à la mise en oeuvre d'une loi, ce dernier est d'autant plus fort pour le faire qu'un texte a été voté à l'unanimité. Il serait inacceptable que le Gouvernement ne prenne pas les textes d'application nécessaires. En l'espèce, il s'est acquitté de cette tâche, mais je ne saurais me prononcer sur le fond après moins d'un an de mise en oeuvre.

Je souhaite présenter un argument supplémentaire s'agissant de la suppression du stage préalable pour les étrangers bénéficiaires de l'ASPA. La France a passé des accords bilatéraux avec des pays d'origine en matière de sécurité sociale, qui ne font pas toujours l'impasse sur la branche vieillesse. Le « stage préalable » est tout simplement contraire à des accords internationaux qui s'imposent à la loi en vertu de l'article 55 de la Constitution. En ne réformant pas les dispositions relatives au stage nous ne respecterions pas nos obligations internationales.

Finalement, en vous entendant et en lisant votre projet de rapport, monsieur le rapporteur, j'estime que le bilan de l'action menée est plutôt positif, que ce soit sur le plan législatif et administratif.

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Les chibanis venus aider à la reconstruction de notre pays ont connu des conditions de vie empreintes de précarité qui perdurent encore aujourd'hui, trente à quarante ans après leur arrivée. Dans un contexte de repli sur soi, alors que la cohésion sociale est fragilisée, il est de notre responsabilité de rappeler l'apport des travailleurs immigrés, et de porter ensemble un projet de société dans lequel chacun trouve sa place.

Monsieur le rapporteur, vous rappelez que certains chibanis qui vivent dans des chambres de moins de cinq mètres carrés rencontrent des difficultés pour accéder à un logement social. Ces conditions d'hébergement ne leur permettent pas d'accueillir leur famille restée au pays, ce qui renforce l'isolement et la solitude. Les cafés sociaux jouent un rôle important, mais le lien avec la famille et les enfants reste primordial. Nous devons poursuivre l'excellent travail que vous avez mené afin d'envisager de mettre en place des mesures d'accompagnement spécifiques pour faciliter l'accueil des familles et des enfants.

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Je réponds brièvement à l'ensemble des questions posées.

S'agissant de l'accompagnement des publics par les CARSAT, le rapport d'information fait état d'actions spécifiques de formation des agents pour les sensibiliser aux problèmes particuliers du public des immigrés âgés. Nous savons que des CARSAT ont été sollicitées.

Le terme « migrants » trouve un autre écho aujourd'hui que celui qu'il pouvait avoir il y a quarante ans. Ceux dont nous parlons étaient pourtant bien des migrants, eux aussi, c'est-à-dire des personnes qui quittaient leur patrie pour des raisons économiques ou familiales – en l'espèce, il s'agissait plutôt de raisons économiques –, et qui s'installaient dans un autre pays afin d'y travailler. Je veux bien reconnaître que si l'on sort le terme de son contexte, il peut prêter à confusion. Cela explique que nous utilisions plutôt l'expression, plus précise, d' « immigrés âgés ». Ce choix ne doit toutefois pas nous conduire à nous cacher la réalité de ce qu'a été le parcours de vie de personnes qui ont bel et bien effectué une migration vers notre pays où elles se sont, pour la plupart, construit de nouvelles racines. Je rappelle que plus de 90 % d'entre elles ont décidé de finir leurs jours en France.

La nouvelle voie de naturalisation serait susceptible de bénéficier à 80 000 à 100 000 personnes présentes sur le territoire depuis plus de vingt-cinq ans et parentes d'un ou plusieurs enfants français. Elle est donc loin de concerner tout le public dont nous parlons qui relève de la voie classique de la naturalisation par décret. Ce dernier parcours est souvent long et complexe, mais, comme vous l'avez souligné, madame Orliac, il a été demandé aux préfectures de relativiser leur appréciation en matière de revenu et de maîtrise de la langue. Parmi les immigrés âgés, certains n'atteignent pas les seuils de revenu nécessaires et ne maîtrisent pas parfaitement le français. Il serait cependant injuste de leur refuser la nationalité à ce titre si l'on songe à leur durée de présence sur le territoire et à leur intégration dans la société française.

Dans sa grande sagesse l'État a créé un fonds de 60 millions d'euros pour financer l'ARFS, ce qui permettrait de prendre en charge 10 000 à 15 000 bénéficiaires. Pour rassurer immédiatement tous ceux qui s'inquiètent de l'état de nos finances publiques, je précise, qu'à ce jour, quatre dossiers ont été déposés parmi lesquels deux ont été retenus. Je pense que les personnes concernées n'ont sans doute pas pris connaissance des conditions de renouvellement annuel de cette aide, car si elles l'avaient fait, elles n'auraient sans doute même pas déposé de dossier. Sur ce sujet, monsieur Robiliard, il n'y a pas besoin de faire d'étude d'impact : une lecture rapide des documents de la Caisse des dépôts et consignation suffit pour comprendre que des conditions qui ne peuvent être remplies sont exigées pour le renouvellement de l'aide. Il y a un gros souci ! Si le décret n'est pas modifié, l'ARFS sera un flop. Les quelques centaines de personnes – je ne me fais pas d'illusion, ce dispositif ne concerne pas des milliers d'individus – qui auraient pu bénéficier de l'aide n'en feront même pas la demande si elles savent qu'elles seront dans l'impossibilité d'obtenir son renouvellement au bout d'un an alors que son obtention les aura amenées à déménager vers leur pays d'origine. Pour revenir aux questions de coût, nous pouvons faire face, même en cas d'une affluence de demandes, et je suis persuadé que le budget prévu est très supérieur à la dépense finale que devront supporter nos finances publiques.

Comme je vous l'ai expliqué, je me suis fondé sur l'analyse de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, pour demander la suppression du stage préalable. Ce dernier considère que la condition d'antériorité de résidence est constitutive d'une discrimination fondée sur la nationalité pour le versement d'une prestation sociale, l'ASPA, à laquelle l'accès doit pourtant être universel. Dans les faits, pour tout vous dire, le débat se poursuit : il n'est question aujourd'hui ni de ramener la durée de ce stage à cinq ans ni de le supprimer.

Arnaud Richard a exprimé de façon moins flegmatique que je ne l'avais fait la même idée que celle que je défendais ; je n'y reviens pas.

Je suis d'accord pour cosigner un amendement avec Mme Michèle Delaunay. Il faut toutefois savoir que l'idée d'une maison de retraite dédiée aux migrants âgés a été testée par ADOMA. Elle n'a pas rencontré un grand succès : les personnes visées ont préféré rester dans leur foyer ou rejoindre d'autres types de logement plutôt qu'une maison dite « de retraite ». Je ne sais pas si les raisons de ce choix sont culturelles, financières…

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À mon avis, c'est surtout une question financière !

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Cette solution n'est donc peut-être pas totalement adaptée.

Dans les pays d'origine, des maisons de retraite dédiées à des anciens migrants commencent à voir le jour. Un bénéficiaire de l'ARFS qui rentrerait dans son pays, où il ne retrouverait pas sa famille, pourrait rejoindre une structure dédiée. Nous avons rencontré des porteurs de projets de cette nature au Maroc.

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Monsieur Robiliard, nous n'avons pas inséré dans ce rapport d'information de tableau récapitulatif parce nous avons travaillé dans un délai trop bref pour pouvoir l'établir nous-mêmes. Nous avions demandé à Matignon de nous fournir des éléments, mais nous n'avons encore rien reçu – nous ne désespérons pas. En tout état de cause, la poursuite de la mise en oeuvre des préconisations du rapport de 2013 constitue la feuille de route demandée. Quant à l'état des lieux, il est en permanence en cours depuis 2013, même si c'est de façon un peu empirique, grâce au travail mené au sein de notre commission qui est parfaitement fondée à interpeller les ministères et les administrations compétentes. À l'instar de ce qu'ont déjà fait M. Denys Robiliard, Mme Martine Pinville, et d'autres collègues lors de l'examen de certains textes désormais adoptés, rien ne nous interdit d'introduire des amendements reprenant les propositions du rapport initial dans les divers véhicules législatifs que nous pourrons encore utiliser d'ici à la fin de la législature.

Je rappelle que nous avions choisi d'intituler ainsi le rapport d'information de 2013 : Une vieillesse digne pour les immigrés âgés, un défi à relever en urgence. Si nous avions souhaité, au-delà de la nécessaire dignité, insister sur l'urgence à agir, c'est que nous avons affaire à un public âgé, et parfois même très âgé, qui, en raison d'un phénomène démographique que je n'ai pas besoin de vous décrire, est amené à s'éteindre progressivement. Il est donc, aujourd'hui encore plus qu'hier, souhaitable que les pouvoirs publics nationaux ou locaux se mobilisent pour la retraite et la vieillesse de ces personnes. S'agissant par exemple de l'ARFS, il faut s'assurer que le dispositif sera bien effectif dans un délai très bref. L'urgence est d'autant plus grande que le public concerné dispose de dix années d'espérance de vie de moins que les retraités français. L'une des études initiées par l'ADOMA montre que sous l'effet des maladies professionnelles, des conditions de travail plus difficiles, et d'une sous-médicalisation malgré des pathologies plus fréquentes – en 2013, nous avions relevé qu'un seul immigré âgé sur cinq déclarait un médecin traitant –, l'espérance de vie de cette population se situe autour de soixante-dix ans alors que celle du retraité français atteint quatre-vingts ans.

Il serait intéressant d'établir des comparaisons avec la situation des autres pays européens, mais les choses se passent nécessairement différemment dans des pays qui n'ont pas notre histoire et ne connaissent pas la spécificité de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord, composée, en partie, jusqu'en 1962, de Français originaires d'Algérie, puis d'Algériens – la plus grosse communauté immigrée à cette époque –, de Marocains, de Tunisiens, et de beaucoup d'autres.

Sur le territoire hexagonal, 40 % des foyers de travailleurs migrants se trouvent en région parisienne. La plupart des autres se situent dans les grandes agglomérations, en particulier celles qui ont un passé industriel. Cette géographie témoigne de l'histoire économique de notre pays et d'une époque de son développement urbain. Les foyers ont été installés près des usines qui se créaient, près des mines qui s'ouvraient, près des centres urbains en évolution où il fallait construire. Parce que l'histoire de ces hommes raconte une partie de l'histoire de notre pays, il était particulièrement intéressant de mener le travail parlementaire que je vous ai présenté ce matin.

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Pour illustrer à partir de mon expérience professionnelle ce que vous nous avez dit de l'état de santé de cette population, monsieur le rapporteur, j'ai constaté que les personnes concernées étaient nombreuses à être placées sous psychotropes, en particulier des anxiolytiques ou des antidépresseurs. Elles sont fréquemment frappées par des maladies chroniques comme le diabète, et elles ont souvent des difficultés à appréhender l'aspect matériel lié à la maladie. Même lorsqu'elles ont accès aux soins, l'observance du traitement est compliquée – dans les conditions de vie qui sont les leurs, on comprend qu'il soit difficile de suivre son diabète insulinodépendant.

La Commission autorise la publication du rapport d'information.

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Mes chers collègues, cette réunion clôt la quatrième année de travail de notre commission sous cette législature. Je tiens à remercier tous les députés engagés dans nos débats qui se déroulent rarement de façon houleuse sur des sujets qui touchent les gens au plus près. Malgré nos désaccords, les choses se passent globalement bien, c'est en tout cas comme cela que je le ressens, et j'espère que ce sentiment est partagé par l'ensemble des membres de la commission. Je tiens aussi à remercier les administrateurs qui travaillent à nos côtés dans des conditions parfois difficiles, les personnes qui retranscrivent nos débats malgré le brouhaha qui parfois témoigne de la bonne ambiance qui règne parmi nous, les agents qui nous permettent de communiquer entre nous pendant les réunions et qui veillent tard à nos côtés, les assistants, femmes et hommes de l'ombre, assis au fond de cette salle, qui travaillent pour nous tous, et puis le chef du secrétariat de cette commission qui parmi des nombreuses tâches qui lui incombent doit me subir au quotidien, et ce n'est pas la moindre d'entre elles (sourires). Bref, nous travaillons beaucoup, et nous pouvons nous féliciter de tout ce que nous faisons : nous sommes souvent saisis au fond ou pour avis sur les textes, nous menons des missions d'information, nous participons à des commissions d'enquête, à des commissions élargies… Je vous remercie tous chaleureusement pour ces moments partagés, tant il est vrai que nous sommes les uns et autres plus souvent tous ensemble, jour et nuit, que nous ne vivons dans nos propres familles.

La séance est levée à douze heures quarante.