Intervention de Gérard Mestrallet

Réunion du 12 juillet 2016 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace :

Merci, monsieur le président, de nous avoir invités. Le référendum du 23 juin a immédiatement soulevé toute une série de questions. Nous discernons trois défis principaux. Tout d'abord, il faut mener en bon ordre et dans des délais raisonnables les négociations de sortie du Royaume-Uni. C'est évidemment le rôle des autorités politiques, nationales et européennes, mais nous nous sentons concernés au premier chef. Il s'agit d'éviter tout risque de déséquilibre, toute distorsion de concurrence. C'est un enjeu en termes de souveraineté, de financement des entreprises – grands groupes comme PME –, de valeur ajoutée, d'emplois, de revenus, de recettes fiscales. La négociation sur les services financiers nous semble mériter une attention particulière. Ensuite, il nous faut valoriser nos atouts, et aussi la conception de la finance propre à la place de Paris : une finance responsable dédiée, d'abord et avant tout, au financement de l'économie et des acteurs de celle-ci, donc une finance facteur de croissance et d'emploi. Enfin, il faut continuer à oeuvrer pour améliorer la compétitivité de notre économie, et ce par des mesures de moyen terme.

En ce qui concerne les négociations de sortie du Royaume-Uni, Paris Europlace s'est préparé en demandant, il y a six mois, à l'ancien gouverneur de la Banque de France Christian Noyer d'animer un groupe de travail sur les deux hypothèses du maintien dans l'Union européenne et de la sortie. Ses recommandations, examinées par le conseil d'administration de Paris Europlace et le comité « Place de Paris 2020 », visent clairement à une négociation très claire et très ferme, loyale évidemment, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous souhaitons d'abord que les autorités britanniques notifient dans les meilleurs délais leur intention de quitter l'Union européenne au titre de l'article 50 du traité sur l'Union européenne. Il faut aller vite pour ne pas ajouter plus d'incertitude à un contexte européen incertain. Le secteur financier présente quand même des risques – peut-être dirons-nous un mot des banques italiennes. Ensuite, le Royaume-Uni doit avoir, comme nos autres partenaires industriels, le statut de pays tiers, ce qui implique la disparition du passeport pour les services financiers. Cela signifie, par exemple, que les banques américaines qui avaient la possibilité d'exercer leur métier dans toute l'Europe parce qu'elles étaient implantées à Londres devront désormais s'installer quelque part sur le territoire de l'Union européenne pour pouvoir le faire. Enfin, il est essentiel, pour l'Union européenne, de ne plus se fonder, pour la gestion de sa monnaie, sur une place située demain non plus seulement en dehors de la zone euro mais en dehors du territoire même de l'Union européenne. C'est une question de souveraineté, d'efficacité et de protection contre les risques de déséquilibres financiers. Il faut reprendre le contrôle des opérations sur l'euro. Sont notamment concernées les infrastructures de compensation, qui doivent être établies sur le territoire de l'Union européenne, non à l'extérieur. Tous les instruments de la stabilité financière et de la sécurité financière doivent être sous contrôle européen. C'est le bon sens, mais il n'en ira pas ainsi instantanément. Par ailleurs, nous souhaitons évidemment la relance d'une Europe peut-être plus resserrée, plus efficace en termes de croissance et d'emploi et plus lisible pour les investisseurs internationaux et les citoyens.

J'en viens à l'attractivité de la place financière de Paris. La place de Paris est plus déterminée que jamais à faire valoir ses atouts dans la compétition européenne et internationale – elle n'a pas toujours été aidée, mais, au total, elle n'a pas si mal résisté que cela. Les contacts que nous pouvons avoir avec de grands investisseurs internationaux, de grandes banques internationales montrent qu'ils ont commencé à y réfléchir : que faire ? rester en partie à Londres ? quelles activités transférer – car ils devront en transférer – sur le continent ? C'est l'objet d'une compétition entre des villes comme Francfort, Amsterdam, Luxembourg ou Dublin.

Dès le 8 juin dernier, au siège d'Euronext, nous avons, avec la Fédération bancaire française, dont le président, Frédéric Oudéa, était présent, la région d'Île-de-France, Paris-Île-de-France Capitale économique, le département des Hauts-de-Seine et la ville de Paris, organisé un grand forum intitulé Place financière de Paris, « Welcome to Europe ! » pour valoriser nos forces et nos propositions. Il est cependant bon de rappeler que la place n'a cessé, avant le référendum, d'affirmer et de réaffirmer son souhait collectif de voir le Royaume-Uni rester dans l'Union européenne. À titre personnel, j'ai signé de très nombreuses pétitions. Avec d'autres chefs d'entreprise, nous avons acheté des espaces publicitaires dans la presse financière britannique pour dire aux Britanniques que nous voulions qu'ils restent dans l'Union européenne. Manifestement, cela n'a pas suffi.

Aujourd'hui, si nous considérons toute une série de critères, c'est souvent Londres qui est en tête, mais pas toujours, c'est parfois Paris, et, presque toujours, Paris devance Francfort. Nous avons donc des atouts importants à faire valoir auprès des grandes entreprises internationales dans ce qui est devenu une vraie compétition, à la veille de décisions des grandes banques situées à Londres. Le premier de ces atouts est évidemment le caractère attractif de la vie à Paris. C'est incontestablement un atout dont d'autres grandes villes européennes ne disposent pas. En outre, notre place financière s'appuie sur la sixième économie du monde. Sont présentes de grandes entreprises françaises de dimension internationale ; il y en a beaucoup plus à Paris qu'à Francfort ou à Londres, pour ne rien dire de l'Italie et de l'Espagne. Les grands clients sont donc à Paris, et cinq banques françaises figurent dans parmi les vingt premières banques européennes. Comparez avec l'Allemagne : ce pays compte très peu de grandes banques, et la plus grande, la Deutsche Bank, connaît actuellement une situation assez difficile. Notre pôle de gestion d'actifs et d'investissement, est, avec 3 600 milliards d'euros d'actifs gérés, de premier ordre sur le plan international. Nous avons le deuxième marché européen de l'assurance et nos capacités dans le domaine de la recherche et de la formation en finance sont reconnues. Avec plus de 800 fintechs, notre place se veut à la pointe de l'innovation. Il y a encore beaucoup de travail, mais beaucoup a été fait. Nous avons une place de premier rang, pratiquement mondial, dans ce qu'on appelle la finance durable ou la finance verte. En matière, par exemple, d'émission de green bonds, la place de Paris fait presque jeu égal avec New York et devance nettement Londres et Francfort. Dans la foulée de la COP21, et dans le prolongement de l'action qui fut alors celle de la France, la finance carbone, la finance verte se sont considérablement développées. Notre cadre de régulation est robuste et compétitif ; la façon dont la crise financière a été gérée en France le montre.

Ce sont là les atouts, mais nous avons aussi des handicaps, notamment dans le domaine réglementaire et fiscal, comme en matière d'infrastructures d'accueil. Nous avons donc adressé aux pouvoirs publics une série de propositions et de suggestions.

Vous avez évoqué, monsieur le président, nos Rencontres financières internationales, annuelles, dont l'édition 2016 s'est tenue la semaine dernière, à Paris. Cette année, étaient venus, outre M. Michel Sapin – le ministre des finances est notre invité habituel –, le Premier ministre, mais aussi Mmes Axelle Lemaire, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse. Cette réunion, au-delà des clivages politiques, de l'essentiel des autorités publiques concernées par la place de Paris, était déjà en soi un événement sans précédent.

Les participants ont annoncé des mesures importantes, notamment le Premier ministre. Le régime des impatriés s'appliquera désormais pendant huit ans, et non cinq, et le Premier ministre a exprimé l'ambition d'en faire le régime le plus favorable d'Europe. C'était un problème : la perspective d'être soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques français était un frein pour les cadres dirigeants établis à Londres susceptibles de venir s'installer à Paris. Ce frein sera levé, pendant huit ans, ce qui permet de voir venir. La prime d'impatriation sera en outre exonérée de cette fameuse taxe sur les salaires dont nous réclamons depuis longtemps, sans succès, l'adaptation, sinon la suppression. La voici un peu écornée, c'est encore marginal, mais le tabou est quelque peu tombé. Ensuite, l'engagement de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés a été confirmé, avec la suppression, dès cette année, de la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés. L'objectif est de réduire à 28 % le taux normal ; les annonces faites par le Président de la République sont donc confirmées. Évidemment, ce ne sont pas là des mesures d'application instantanée, mais les taux comparés de l'impôt sur les sociétés sont des facteurs immédiatement examinés quand il s'agit de choisir une localisation, et c'est bien le taux nominal qui compte, plus que les différentes exonérations. Une réflexion est également lancée, avec les collectivités locales, sur la possibilité d'une exonération temporaire de fiscalité locale au profit des entreprises et des bureaux. A aussi été affirmée la volonté de faire converger les régimes fiscaux des entreprises au sein de la zone euro. Sera également mis en place, dès la rentrée, un point d'entrée unique pour toutes les entreprises étrangères qui souhaitent s'implanter en France. Coordonné par Business France, en lien avec la ville de Paris, la région d'Île-de-France et la métropole du Grand Paris, il permettra aux entreprises et aux particuliers de s'informer sur l'ensemble des dispositifs pratiques et fiscaux. Point important aussi, des sections internationales seront ouvertes dans les établissements scolaires, conformément à la demande qui avait été formulée par la région, et un lycée international sera créé, à La Défense.

Ce sont là des mesures de court terme très positives, qui envoient les signaux que les acteurs de la place attendaient. Elles ont d'ailleurs fait la une du Financial Times, et cela a été pris extraordinairement au sérieux par la place de Londres.

Cela étant, nous avons aussi indiqué aux pouvoirs publics qu'une action plus profonde, plus forte serait indispensable. Londres, Francfort... toutes les places vont bouger. Le chancelier de l'Échiquier a annoncé une baisse de l'impôt sur les sociétés au Royaume-Uni, mais la future Première ministre britannique, Mme May, a indiqué qu'elle n'aurait probablement pas lieu. Tout cela va compliquer ces négociations avec l'Union européenne. En tout cas, les choses évoluent, et nous comptons accélérer notre dialogue avec les pouvoirs publics sur l'ensemble de ces questions. Nous demandons toujours la suppression progressive de la taxe sur les salaires, qui est une taxe sur l'emploi, ainsi que la poursuite des efforts sur l'impôt sur les sociétés, comme dans le domaine des infrastructures.

Au-delà de ces très bienvenues mesures de court terme, décidées avec une célérité qui mérite d'être saluée, il faut des actions structurelles pour renforcer la compétitivité de la place. Nos recommandations, élaborées dans le cadre du comité « Place de Paris 2020 », présidé par le ministre des finances Michel Sapin et piloté conjointement par la direction du trésor et par Paris Europlace, portent sur trois piliers principaux. Le premier est le financement des entreprises. Pour accompagner la reprise économique, il faut orienter davantage l'épargne vers l'investissement productif, notamment le financement du haut de bilan, le marché des actions, grâce à une réforme la fiscalité de l'épargne longue. Nous le disons souvent : il faut remettre la fiscalité de l'épargne à l'endroit. Aujourd'hui, elle favorise l'épargne courte, liquide et sans risque, plutôt que l'épargne longue et à risque. Des mesures ont été prises – le développement des placements privés Euro PP (European private placements), la création du plan d'épargne en actions petites et moyennes entreprises (PEA-PME), le lancement des new commercial papers –, elles vont dans le bon sens, mais il faut quand même une réforme de la fiscalité de l'épargne, avec des fonds de pensions et le développement de l'épargne retraite. Avec le rapport rédigé par Jacques Delmas-Marsalet, nous avons une boîte à outils prête.

Il nous semble important de faire la différence par rapport aux places concurrentes en nous engageant pour une finance responsable et durable. Au fond, la place de New York et la place de Londres sont caractéristiques d'une certaine « finance pour la finance ». À Paris, l'industrie financière française s'engage dans la lutte contre le changement climatique. L'an dernier, nous avons organisé le Climate Finance Day, à l'UNESCO, avec la Caisse des dépôts et consignations et la Banque européenne d'investissement (BEI), dans le cadre de la préparation de la COP21. Ce fut le point de départ d'une mobilisation de tous les acteurs financiers, des grandes banques, des grandes compagnies d'assurances. Quant aux green bonds évoqués tout à l'heure, ils ont représenté un montant de 50 milliards de dollars en 2015, contre moins de 40 milliards de dollars en 2014. Avec le Paris Green Financial Center, nous avons pris une initiative pour que cette dimension soit un élément de l'image de marque de la place de Paris. Je pense que l'adhésion des collectivités territoriales sera d'autant plus forte que nous saurons mettre en exergue ce caractère responsable et durable de l'industrie financière.

Troisième et dernier point, il faut faire de Paris, aussi, la place de l'innovation numérique et des fintechs, en facilitant les levées de fonds, en stimulant l'écosystème, les échanges entre les start-up et les grands comptes, en soutenant aussi le pôle de compétitivité « Finance Innovation », créé au sein de Paris Europlace en 2007, en matière de labellisation et d'accompagnement des projets de création de nouvelles entreprises financières. Les fintechs représentent une partie de l'avenir de la finance ; Paris et la France doivent donc être à la pointe.

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