C'est très difficile à dire aujourd'hui, la situation n'est pas totalement claire, mais nous savons que 285 000 emplois financiers à Londres sont liés directement ou indirectement aux opérations sur l'euro. Selon, par exemple, JPMorgan Chase & Co, qui a beaucoup étudié ces questions de localisation, nous pouvons imaginer que 10 % de ces emplois, au maximum, puissent se relocaliser à l'intérieur de l'Union européenne. Il y a deux questions majeures de ce point de vue, comme l'a dit M. de Courson : le passeport et la localisation des chambres de compensation en euros, sur les opérations sur titres d'une part et sur les paiements d'autre part. Cela concerne, grosso modo, 30 000 personnes, qui ne seront d'ailleurs pas forcément des impatriés pour reprendre l'affreux terme critiqué par M. de Courson. Il pourra tout simplement être mis fin aux contrats de personnes travaillant à Londres, et il y aura des embauches dans le reste de l'Union européenne. Je ne sais pas si l'on peut trier entre les bons et les mauvais emplois. Il peut y avoir des Italiens, des Espagnols, des Portugais, qui seraient embauchés par les banques – pas forcément françaises – établies en France. Les emplois dans la finance sont sources à la fois de richesses et d'emplois induits. Selon une évaluation de Paris Europlace, le rapport est de un à quatre : un emploi financier à haute valeur ajoutée, quatre emplois créés.
La question du passeport est à la fois très simple et très compliquée. Le passeport européen offre en fait la possibilité, à partir d'une seule implantation juridique dans l'Union européenne, de bénéficier de la liberté d'établissement ou de la libre prestation de services dans tout le reste de l'Union européenne. Aujourd'hui, le passeport est réservé à deux catégories d'États : les membres de l'Union européenne et les membres de l'Espace économique européen. La Suisse n'en dispose donc pas, puisqu'elle n'est pas membre de l'Espace économique européen ; en revanche, la Norvège est membre de l'Espace économique européen. Il serait quand même un comble, pour les Britanniques, de se retrouver membres de l'Espace économique européen : pour continuer à bénéficier d'un accès à l'Union européenne, ils devraient en appliquer les règles sans pouvoir les négocier. Aujourd'hui, en tant que membres de l'Union européenne, ils participent évidemment aux discussions au Conseil, ils y sont d'ailleurs extraordinairement influents, et la Commission, qui a le monopole de l'initiative législative en Europe, compte un commissaire britannique. Dans le domaine bancaire, extrêmement harmonisé, tous les textes de niveau 2 sont entre les mains de l'Autorité bancaire européenne, aujourd'hui établie à Londres, qui a d'ailleurs annoncé qu'elle devrait logiquement se relocaliser sur le territoire de l'Union européenne.
Il faut être ferme sur un point : le passeport est lié à l'exercice de ce que l'on appelle les grandes libertés du traité, parmi lesquelles figure la libre circulation des personnes. Il serait à mon avis inadmissible que le Royaume-Uni trouve le moyen de continuer à bénéficier des trois autres libertés, dont la liberté de prestation de services et la liberté d'établissement qui s'exercent via le passeport, en écartant la libre circulation des personnes. M'exprimant ainsi, je sors de ma condition de directrice générale de la Fédération bancaire française, car les banques ne sont que très marginalement concernées, mais c'est quand même le coeur de ce qui a mené au référendum. Aujourd'hui, nous plaidons contre l'instauration d'un régime ad hoc qui offrirait un passeport, notamment en matière de services financiers, à un pays qui ne respecterait pas les règles de l'Union européenne. Une clarification semble être intervenue, les Britanniques vont sortir de l'Union européenne. Reste l'Espace économique européen, mais il m'étonnerait qu'il entre dans les vues du Royaume-Uni de s'engager à appliquer toutes les règles de l'Union européenne, par exemple, en matière financière, sans participer aux discussions. La période qui s'ouvre sera très compliquée. Cela dit, l'enjeu majeur du passeport a été parfaitement identifié par le Royaume-Uni : le communiqué de presse de la City de Londres, un des premiers publiés après les résultats du vote, faisait déjà mention de cet objectif central de conserver le passeport. On voit bien pourquoi : c'est le seul véritable vecteur d'un mouvement de localisation ailleurs en Europe, dans un monde financier plus multipolaire.
Reste la question de savoir si Paris, au sens large, peut tirer son épingle du jeu.