Intervention de Ingénieur général de l'armement Patrick Dufour

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Ingénieur général de l'armement Patrick Dufour, directeur central du service industriel de l'aéronautique (SIAé :

Je suis très honoré d'être le premier directeur central du SIAé à être reçu par votre commission.

Je vais commencer par tenter de vous expliquer quels sont les mécanismes qui gouvernent ce service et qui sous-tendent son action.

Il faut tout d'abord savoir que le SIAé n'est pas le dernier arsenal qu'un Parisien distrait aurait oublié de privatiser.

Les arsenaux historiques concevaient, fabriquaient puis entretenaient les matériels qu'ils avaient produits. Les avions militaires sur lesquels nous intervenons ont tous été produits par de grands constructeurs aujourd'hui tous privés, voire transnationaux comme Airbus. Ces mêmes industriels en assurent le soutien à l'exportation.

Dès lors, pourquoi un SIAé ?

L'action constante de l'État, depuis la Libération, est de se doter d'une défense indépendante reposant sur une industrie de défense forte, composée de champions nationaux qui conservent la maîtrise des produits, les droits de propriété intellectuelle et souvent de larges responsabilités – pensez à l'émergence de la navigabilité. L'État est donc tributaire de ces mêmes champions, de facto en situation de monopole dès lors qu'il s'agit de soutenir les matériels aéronautiques de défense.

Le dilemme classique de l'action publique est de faire ou de faire faire. Or le SIAé est le moyen de ne pas être obligé de tout faire faire. L'État est mieux armé pour faire faire dans de bonnes conditions – tant il est vrai que faire faire à n'importe quel prix est facile – lorsqu'il sait faire lui-même et fait lui-même en partie.

Cette situation n'est pas un archaïsme français : ce modèle existe aux États-Unis pour les mêmes raisons. Le Pentagone est également confronté à un dialogue pas toujours facile avec un petit nombre de géants industriels quasiment en situation de monopole. Il assure donc une partie du soutien de ses matériels dans des ateliers industriels analogues aux nôtres, aux effets de taille près. Vous retrouverez la même approche dans le secteur privé : Air France Industrie fait partie intégrante d'Air France.

La finalité première du SIAé est donc de créer un équilibre plus favorable à l'État dans sa relation avec l'industrie de défense pour le soutien de ses aéronefs militaires. À ce titre, il est par essence public et fait partie intégrante de l'appareil de défense.

À cette mission fondamentale au profit de la défense s'ajoute une opportunité pour le pays. Sur certains matériels, le SIAé peut en effet accompagner les succès à l'exportation.

Prenons le cas du Rafale : l'État et l'industrie privée ont consenti des investissements considérables pour ce programme. Le SIAé assure aujourd'hui la majeure partie des réparations de niveau industriel du moteur M88 de cet avion. En 2010, il a été convenu avec SNECMA (société nationale d'étude et de construction de moteurs d'aviation) qu'en cas d'exportation du Rafale, le SIAé interviendrait sur le soutien des matériels des moteurs à l'exportation dans les mêmes conditions que pour les moteurs utilisés en France, ce qui évitait de dupliquer les investissements et permettait de rationaliser l'outil industriel. L'autre terme de l'alternative est que cette activité export soit réalisée en partie à l'étranger.

Le SIAé dispose des moyens industriels, des compétences et des agréments de navigabilité nécessaires et sa performance industrielle est reconnue par SNECMA. Maintenant que l'export Rafale a débouché, le conseil de surveillance du service m'a autorisé à négocier et à contractualiser avec SAFRAN Aircraft Engines la mise en pratique de ce partenariat. Cette démarche est vertueuse à plusieurs titres. D'abord, elle permet au SIAé de faire supporter à d'autres clients que la défense une partie de ses frais de structure et des investissements du service ; elle permet également de rentabiliser les investissements faits pour la France et procure des effets d'échelle. Ensuite, pour mes équipes, accompagner un grand industriel privé à l'export constitue à la fois une ouverture et une vigoureuse incitation au progrès. Enfin, cette démarche pérennise une activité industrielle sur le sol national ; elle ne lèse aucun industriel français et si les industriels privés décident de recourir au SIAé, c'est parce qu'ils y trouvent un intérêt économique objectif et que leurs positions s'en trouvent confortées. Cela ne représente aujourd'hui, restons modestes, que 1 % de notre activité. L'objectif est d'augmenter cette proportion. Le conseil m'a autorisé un plafond de 5 % d'ici à 2019. Or si nous parvenons à 3 %, ce sera bien.

Pour cela, il faut être crédible. Sur les commandes de la défense, l'action du SIAé prive de facto les industriels privés d'une partie du chiffre d'affaires qu'ils pourraient espérer réaliser. La performance du SIAé doit alors être suffisamment élevée pour que ceux-ci admettent que son intervention constitue bien une alternative légitime pour l'État et non simplement l'attribution d'une rente de situation à un « ayant droit » étatique – ce qui ne tiendrait pas très longtemps.

À l'exportation, cette performance doit être suffisamment élevée pour que le SIAé constitue un partenaire crédible sur lequel les constructeurs concernés aient un intérêt économique objectif à s'appuyer.

Pour être reconnu à ce niveau par les industriels privés, il faut s'inscrire dans des logiques industrielles incompatibles avec une régie budgétaire. La force du SIAé est d'être en compte de commerce, donc hors de la zone budgétaire, avec un bilan, un compte d'exploitation, et de couvrir toutes ses charges avec les recettes qu'il tire de ses commandes. Les investissements doivent être autofinancés et non sollicités. Cette année encore vous voterez l'interdiction de découvert et c'est une très bonne chose. Le compte de commerce est un moyen perfectible mais efficace pour mener une gestion industrielle et après avoir passé vingt ans à conduire des programmes en zone budgétaire, je puis vous affirmer que la perspective s'en trouve changée.

La difficulté est d'inscrire l'action industrielle dans la durée – nous sommes sur des cycles très longs –, ce qui est antinomique avec une gestion des effectifs et des investissements soumise aux aléas de l'annualité budgétaire.

Où en est l'outil SIAé et où va-t-il ?

L'outil est bien connu par certains d'entre vous : cinq ateliers industriels de l'aéronautique (AIA), une direction centrale, 4 553 équivalents temps plein fin 2015 dont 1 160 militaires, 635 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2015 toujours. Le SIAé est labellisé au meilleur niveau de la profession. Il a été constitué en 2008 à partir de trois AIA historiques de la direction générale de l'armement (DGA) et de l'atelier de réparation de l'armée de l'air d'Ambérieu puis, en 2011, la marine nous a transféré les ateliers NTI2 (niveau technique d'intervention) de ses bases d'aéronautique navale, donnant lieu à la création de l'AIA de Bretagne.

La précédente loi de programmation militaire nous a imposé une déflation forcée, indépendante de la charge tandis que la réforme des soutiens rendait de plus en plus difficile un fonctionnement industriel. Pire, le service était essentiellement positionné sur les vieux matériels, qui diminuent. Non seulement les nouveaux matériels sont moins nombreux mais le SIAé était peu ou pas présent sur ceux-ci. Quant au renouvellement des personnels de production, il n'était pas assuré.

Des mesures de fond ont été prises. Le ministre a décidé de donner au SIAé une autonomie de gestion la plus proche possible d'un établissement public industriel et commercial – tout en restant dans le cadre du statut actuel. Un décret a été pris en ce sens en 2014. Je ne remercierai jamais assez les parlementaires qui ont introduit dans la LPM des dispositions permettant au SIAé de recruter pour soutenir les forces et accompagner l'exportation – ou tout au moins des dispositions empêchant d'interdire un tel recrutement. Le service a commencé à intervenir sur le Tigre en 2012, le NH90 en 2013 et l'A400M en 2015. Le 25 novembre dernier, j'ai présenté au conseil de surveillance du service un plan d'entreprise qui fixe une trajectoire jusqu'en 2019, et définit des décisions stratégiques.

Dans l'aéronautique, l'activité moteurs est stratégique. Sur les moteurs d'avions de combat il n'y a pas de réparateur-tiers comme il peut y en avoir dans d'autres domaines. À ce titre, c'est la priorité du plan d'entreprise du service. Nous sommes autorisés à mettre en pratique l'accord de partenariat avec SAFRAN dont je vous ai parlé. Au titre de ce partenariat nous intervenons aussi sur le moteur de l'A400M, pour lequel nous sommes aujourd'hui le seul industriel agréé. Notre intervention rend service aux constructeurs, qui peuvent avoir quelques soucis, et nous permet d'accumuler de l'expérience sans coût pour l'État. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit précédemment sur l'acheteur public qui est plus compétent quand il fait un peu lui-même.

La deuxième décision stratégique consiste à reprendre le soutien des avions de transport Cl30 à partir de juillet 2018, en même temps que nous réaliserons les chantiers lourds de rénovation de cet appareil en partenariat avec l'industriel retenu par la DGA. Le soutien de ces avions, essentiels pour l'armée de l'air et le commandement des opérations spéciales, revient donc sur le sol métropolitain – intérêt du SIAé. Plus généralement, le conseil a décidé de conforter le service sur le segment des avions de transport. Nous réalisons déjà de petites visites sur l'A400M. Cette activité doit être développée et pérennisée.

Enfin je citerai la décision de faire prendre une compétence au SIAé sur les radars sols de génération intermédiaire, TRS 2215, 22XX.

Si je ne vous ai pas encore parlé des flottes anciennes ne croyez pas un instant que je les néglige.

Lorsque le SIAé prend une compétence sur un matériel, il la conserve et la met au service des forces jusqu'à la fin de vie des matériels, fin de vie qui est toujours beaucoup plus tardive que prévu, bien plus tardive que dans l'aviation civile et qui ne s'inscrit dans aucune logique commerciale. À titre d'exemple, certains équipements de l'avion de patrouille maritime Atlantique 2 (ATL2) sont communs avec ceux de son prédécesseur l'Atlantic 1 et ont déjà quarante ans voire plus de cinquante ans – le premier vol de série du premier avion datant de 1965 – et le SIAé s'est engagé à les maintenir en service jusqu'en 2032 au moins.

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