La séance est ouverte à dix-sept heures.
Je suis heureuse d'accueillir M. l'ingénieur général de l'armement Patrick Dufour, directeur central du service industriel de l'aéronautique (SIAé). Le sujet de l'entretien des matériels nous préoccupe, si bien que différents collègues y ont longuement travaillé ; je pense en particulier à Alain Marty et Marie Récalde qui ont remis en décembre dernier un rapport sur les conséquences du rythme des opérations extérieures (OPEX) sur le maintien en condition opérationnelle (MCO).
Vous-même êtes régulièrement entendu par des rapporteurs d'information ou par nos rapporteurs pour avis budgétaires mais, jusqu'à présent, vous ne l'avez jamais été par cette commission dans son ensemble. Compte tenu du fait que de nombreuses décisions ont été prises, notamment après le vote de la loi de programmation militaire (LPM) et son actualisation, vous allez pouvoir nous indiquer où en sont vos services et quelles sont les évolutions en cours.
Je suis très honoré d'être le premier directeur central du SIAé à être reçu par votre commission.
Je vais commencer par tenter de vous expliquer quels sont les mécanismes qui gouvernent ce service et qui sous-tendent son action.
Il faut tout d'abord savoir que le SIAé n'est pas le dernier arsenal qu'un Parisien distrait aurait oublié de privatiser.
Les arsenaux historiques concevaient, fabriquaient puis entretenaient les matériels qu'ils avaient produits. Les avions militaires sur lesquels nous intervenons ont tous été produits par de grands constructeurs aujourd'hui tous privés, voire transnationaux comme Airbus. Ces mêmes industriels en assurent le soutien à l'exportation.
Dès lors, pourquoi un SIAé ?
L'action constante de l'État, depuis la Libération, est de se doter d'une défense indépendante reposant sur une industrie de défense forte, composée de champions nationaux qui conservent la maîtrise des produits, les droits de propriété intellectuelle et souvent de larges responsabilités – pensez à l'émergence de la navigabilité. L'État est donc tributaire de ces mêmes champions, de facto en situation de monopole dès lors qu'il s'agit de soutenir les matériels aéronautiques de défense.
Le dilemme classique de l'action publique est de faire ou de faire faire. Or le SIAé est le moyen de ne pas être obligé de tout faire faire. L'État est mieux armé pour faire faire dans de bonnes conditions – tant il est vrai que faire faire à n'importe quel prix est facile – lorsqu'il sait faire lui-même et fait lui-même en partie.
Cette situation n'est pas un archaïsme français : ce modèle existe aux États-Unis pour les mêmes raisons. Le Pentagone est également confronté à un dialogue pas toujours facile avec un petit nombre de géants industriels quasiment en situation de monopole. Il assure donc une partie du soutien de ses matériels dans des ateliers industriels analogues aux nôtres, aux effets de taille près. Vous retrouverez la même approche dans le secteur privé : Air France Industrie fait partie intégrante d'Air France.
La finalité première du SIAé est donc de créer un équilibre plus favorable à l'État dans sa relation avec l'industrie de défense pour le soutien de ses aéronefs militaires. À ce titre, il est par essence public et fait partie intégrante de l'appareil de défense.
À cette mission fondamentale au profit de la défense s'ajoute une opportunité pour le pays. Sur certains matériels, le SIAé peut en effet accompagner les succès à l'exportation.
Prenons le cas du Rafale : l'État et l'industrie privée ont consenti des investissements considérables pour ce programme. Le SIAé assure aujourd'hui la majeure partie des réparations de niveau industriel du moteur M88 de cet avion. En 2010, il a été convenu avec SNECMA (société nationale d'étude et de construction de moteurs d'aviation) qu'en cas d'exportation du Rafale, le SIAé interviendrait sur le soutien des matériels des moteurs à l'exportation dans les mêmes conditions que pour les moteurs utilisés en France, ce qui évitait de dupliquer les investissements et permettait de rationaliser l'outil industriel. L'autre terme de l'alternative est que cette activité export soit réalisée en partie à l'étranger.
Le SIAé dispose des moyens industriels, des compétences et des agréments de navigabilité nécessaires et sa performance industrielle est reconnue par SNECMA. Maintenant que l'export Rafale a débouché, le conseil de surveillance du service m'a autorisé à négocier et à contractualiser avec SAFRAN Aircraft Engines la mise en pratique de ce partenariat. Cette démarche est vertueuse à plusieurs titres. D'abord, elle permet au SIAé de faire supporter à d'autres clients que la défense une partie de ses frais de structure et des investissements du service ; elle permet également de rentabiliser les investissements faits pour la France et procure des effets d'échelle. Ensuite, pour mes équipes, accompagner un grand industriel privé à l'export constitue à la fois une ouverture et une vigoureuse incitation au progrès. Enfin, cette démarche pérennise une activité industrielle sur le sol national ; elle ne lèse aucun industriel français et si les industriels privés décident de recourir au SIAé, c'est parce qu'ils y trouvent un intérêt économique objectif et que leurs positions s'en trouvent confortées. Cela ne représente aujourd'hui, restons modestes, que 1 % de notre activité. L'objectif est d'augmenter cette proportion. Le conseil m'a autorisé un plafond de 5 % d'ici à 2019. Or si nous parvenons à 3 %, ce sera bien.
Pour cela, il faut être crédible. Sur les commandes de la défense, l'action du SIAé prive de facto les industriels privés d'une partie du chiffre d'affaires qu'ils pourraient espérer réaliser. La performance du SIAé doit alors être suffisamment élevée pour que ceux-ci admettent que son intervention constitue bien une alternative légitime pour l'État et non simplement l'attribution d'une rente de situation à un « ayant droit » étatique – ce qui ne tiendrait pas très longtemps.
À l'exportation, cette performance doit être suffisamment élevée pour que le SIAé constitue un partenaire crédible sur lequel les constructeurs concernés aient un intérêt économique objectif à s'appuyer.
Pour être reconnu à ce niveau par les industriels privés, il faut s'inscrire dans des logiques industrielles incompatibles avec une régie budgétaire. La force du SIAé est d'être en compte de commerce, donc hors de la zone budgétaire, avec un bilan, un compte d'exploitation, et de couvrir toutes ses charges avec les recettes qu'il tire de ses commandes. Les investissements doivent être autofinancés et non sollicités. Cette année encore vous voterez l'interdiction de découvert et c'est une très bonne chose. Le compte de commerce est un moyen perfectible mais efficace pour mener une gestion industrielle et après avoir passé vingt ans à conduire des programmes en zone budgétaire, je puis vous affirmer que la perspective s'en trouve changée.
La difficulté est d'inscrire l'action industrielle dans la durée – nous sommes sur des cycles très longs –, ce qui est antinomique avec une gestion des effectifs et des investissements soumise aux aléas de l'annualité budgétaire.
Où en est l'outil SIAé et où va-t-il ?
L'outil est bien connu par certains d'entre vous : cinq ateliers industriels de l'aéronautique (AIA), une direction centrale, 4 553 équivalents temps plein fin 2015 dont 1 160 militaires, 635 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2015 toujours. Le SIAé est labellisé au meilleur niveau de la profession. Il a été constitué en 2008 à partir de trois AIA historiques de la direction générale de l'armement (DGA) et de l'atelier de réparation de l'armée de l'air d'Ambérieu puis, en 2011, la marine nous a transféré les ateliers NTI2 (niveau technique d'intervention) de ses bases d'aéronautique navale, donnant lieu à la création de l'AIA de Bretagne.
La précédente loi de programmation militaire nous a imposé une déflation forcée, indépendante de la charge tandis que la réforme des soutiens rendait de plus en plus difficile un fonctionnement industriel. Pire, le service était essentiellement positionné sur les vieux matériels, qui diminuent. Non seulement les nouveaux matériels sont moins nombreux mais le SIAé était peu ou pas présent sur ceux-ci. Quant au renouvellement des personnels de production, il n'était pas assuré.
Des mesures de fond ont été prises. Le ministre a décidé de donner au SIAé une autonomie de gestion la plus proche possible d'un établissement public industriel et commercial – tout en restant dans le cadre du statut actuel. Un décret a été pris en ce sens en 2014. Je ne remercierai jamais assez les parlementaires qui ont introduit dans la LPM des dispositions permettant au SIAé de recruter pour soutenir les forces et accompagner l'exportation – ou tout au moins des dispositions empêchant d'interdire un tel recrutement. Le service a commencé à intervenir sur le Tigre en 2012, le NH90 en 2013 et l'A400M en 2015. Le 25 novembre dernier, j'ai présenté au conseil de surveillance du service un plan d'entreprise qui fixe une trajectoire jusqu'en 2019, et définit des décisions stratégiques.
Dans l'aéronautique, l'activité moteurs est stratégique. Sur les moteurs d'avions de combat il n'y a pas de réparateur-tiers comme il peut y en avoir dans d'autres domaines. À ce titre, c'est la priorité du plan d'entreprise du service. Nous sommes autorisés à mettre en pratique l'accord de partenariat avec SAFRAN dont je vous ai parlé. Au titre de ce partenariat nous intervenons aussi sur le moteur de l'A400M, pour lequel nous sommes aujourd'hui le seul industriel agréé. Notre intervention rend service aux constructeurs, qui peuvent avoir quelques soucis, et nous permet d'accumuler de l'expérience sans coût pour l'État. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit précédemment sur l'acheteur public qui est plus compétent quand il fait un peu lui-même.
La deuxième décision stratégique consiste à reprendre le soutien des avions de transport Cl30 à partir de juillet 2018, en même temps que nous réaliserons les chantiers lourds de rénovation de cet appareil en partenariat avec l'industriel retenu par la DGA. Le soutien de ces avions, essentiels pour l'armée de l'air et le commandement des opérations spéciales, revient donc sur le sol métropolitain – intérêt du SIAé. Plus généralement, le conseil a décidé de conforter le service sur le segment des avions de transport. Nous réalisons déjà de petites visites sur l'A400M. Cette activité doit être développée et pérennisée.
Enfin je citerai la décision de faire prendre une compétence au SIAé sur les radars sols de génération intermédiaire, TRS 2215, 22XX.
Si je ne vous ai pas encore parlé des flottes anciennes ne croyez pas un instant que je les néglige.
Lorsque le SIAé prend une compétence sur un matériel, il la conserve et la met au service des forces jusqu'à la fin de vie des matériels, fin de vie qui est toujours beaucoup plus tardive que prévu, bien plus tardive que dans l'aviation civile et qui ne s'inscrit dans aucune logique commerciale. À titre d'exemple, certains équipements de l'avion de patrouille maritime Atlantique 2 (ATL2) sont communs avec ceux de son prédécesseur l'Atlantic 1 et ont déjà quarante ans voire plus de cinquante ans – le premier vol de série du premier avion datant de 1965 – et le SIAé s'est engagé à les maintenir en service jusqu'en 2032 au moins.
En effet… Et donc, nous les maintiendrons jusqu'au bout.
Plus généralement, la maîtrise des coûts de soutien impose de ne pas se limiter à la simple application des plans recommandés d'entretien des constructeurs. À la différence des maîtres d'oeuvre industriels, le SIAé n'a aucun intérêt économique à vendre du neuf. Il cherche par conséquent continûment à réparer plutôt qu'à remplacer et à optimiser les opérations de maintenance pour réduire les coûts. Sur les moteurs dont le prix des pièces était très élevé, les dépenses que chaque année le SIAé permet ainsi d'éviter sont de l'ordre d'une douzaine de millions d'euros par an. Et, chaque année, nous mettons de nouvelles idées sur la table. Il est pour cela nécessaire de disposer de bureaux d'études solides pour pouvoir discuter avec l'autorité technique de la DGA mais aussi avec les industriels constructeurs, qu'il faut convaincre que l'on peut réparer plutôt que remplacer. Il y faut une certaine détermination.
Au SIAé, ce souci de réduire les coûts de soutien relève d'une culture d'entreprise profondément ancrée dans l'esprit des personnels. Cela est particulièrement sensible lorsque les matériels atteignent la seconde moitié de leur cycle de vie, qu'ils commencent à vieillir, d'autant qu'ils ont souvent été utilisés en opération – donc ils vieillissent un peu plus vite. Il peut même arriver que certains produits vieillissants cessent d'intéresser réellement les constructeurs – pensez à la vénérable Alouette III.
Je terminerai en évoquant les valeurs du service. Nous sommes par essence un acteur public et un élément de l'appareil de défense au service de la défense. À l'exception de l'Alpha-Jet, tous les aéronefs sur lesquels nous intervenons sont projetés en opérations. Nous sommes industriels avec tout ce que cela comporte de valeurs : planification, méthode, coûts, pointages. Interrogez les personnels dans les ateliers ou dans les bureaux d'études, ils ne vous parleront jamais de budget, mais vous expliqueront toujours, chacun à leur manière, qu'ils réparent pour moins cher et permettent la prolongation des matériels dans de meilleures conditions que ne le ferait l'industrie privée. Au sein de notre appareil de défense, nous sommes atypiques. Nous avons tous conscience que notre survie comme industriel au service de l'État réside dans notre performance industrielle et dans l'obtention des moyens de cette performance.
Cette survie, ce n'est pas celle d'une entité qui chercherait à exister pour elle-même. C'est celle d'un outil d'autonomie de l'État. Voilà quels sont les mécanismes qui gouvernent l'activité du service.
Je souhaite vous interroger, Monsieur le directeur, sur la situation des avions Atlantique 2 – nous l'avons déjà évoquée tous les deux et c'est un sujet sur lequel nous revenons très régulièrement au sein de la présente commission. Je vous avoue que plus les mois passent et plus je suis préoccupé. Le ministère de la Défense se mobilise, diverses entités semblent se soucier de la question mais, pour être franc, je n'en vois pas les résultats. Si nous voulons que la France conserve une patrouille maritime de long terme digne de ce nom – et ce n'est pas l'actualité qui va en démentir l'utilité – il convient de tenir compte de trois critères : la révision en cours, la rénovation et la définition, après 2032, de la nouvelle forme de patrouille maritime (PATMAR).
Pour ce qui concerne les visites, pouvez-vous nous expliquer où nous en sommes précisément ? Ensuite, vous savez que les personnels sont inquiets – vous les avez rencontrés hier encore. Si mes informations sont exactes et si je comprends bien, pour les visites de troisième niveau, vous envisagez de mobiliser l'AIA Bretagne dont la base d'aéronautique navale de Lann-Bihoué, aux côtés des personnels de l'AIA de Cuers-Pierrefeu. Les visites de deuxième niveau, quant à elles, toujours si j'ai bien compris, habituellement dévolues aux bases aéronavales en particulier de Bretagne, se trouvent, après discussions, externalisées. Au bout du compte, ce qui nous intéresse est le résultat : dans quelle mesure allons-nous y arriver ?
Je me permets de tirer la sonnette d'alarme parce que les mois passent sans que, je le répète, je ne voie beaucoup de résultats. Or, pour parcourir, avec mes collègues, les théâtres d'opération, le moins que l'on puisse dire est que nous avons besoin d'une patrouille maritime dont le taux de disponibilité soit nettement supérieur au taux actuel.
La disponibilité de l'ATL2 n'est pas bonne, tout le ministère le sait, et le service a une part de responsabilité mais c'est un dossier complexe et je souhaite séparer les différentes causes de cette situation.
Que fait le SIAé sur cet avion ? Il entretient la cellule et les équipements pour ce qui n'est plus réalisé dans les flottilles, ce qui représente environ un tiers des crédits d'entretien consacrés à cet aéronef. C'est là que réside l'essentiel de nos difficultés et j'y reviendrai.
Vous avez évoqué la rénovation, Monsieur le député. Ces avions font continûment l'objet de modifications pour répondre à divers besoins opérationnels et c'est nous qui, le plus souvent, réalisons les travaux. Bien entendu, cela contribue à l'immobilisation de ces appareils. En ce moment, ce sont les modifications dites OACI (Organisation de l'aviation civile internationale), c'est-à-dire les règles de l'aéronautique civile. Demain ce sera la rénovation du système de combat de cet avion pour lequel le SIAé développe le sous-système de visualisation tactique et réalisera les chantiers à partir de 2020. Deux ATL2 se trouvent ainsi l'un chez Dassault, le M25, et l'autre, le M2, partagé entre DGA-EV (direction générale de l'armement-essais en vol) et le centre d'expérimentation pratique de la marine qui sert de banc d'essai pour le radar. Ce projet a connu un dérapage initial évoqué devant vous par Laurent Collet-Billon. Le SIAé a engagé des moyens supplémentaires et, depuis mars 2015, le calendrier n'a plus bougé d'un pouce. La première console est chez nous à l'état final de vérification documentaire et partira chez Dassault le 20 ou le 21 juillet prochain. Je considère par conséquent que pour ce qui concerne le volet rénovation, nous sommes sur le trait. Le point dur, c'est l'entretien. Cet avion a été réalisé par un consortium d'industriels qui, à l'exception de Dassault, ne lui porte plus grand intérêt. Du coup, il souffre de problèmes de rechanges qui à leur tour contribuent à désorganiser la réalisation des visites. Nous avons choisi de privilégier le temps court et la réponse aux besoins de la force de l'aéronautique navale (ALAVIA). Aussi, et c'est un choix que j'assume, les difficultés ont-elles été concentrées sur les visites lourdes réalisées par l'AIA de Cuers-Pierrefeu. Je ne distingue par conséquent plus les visites NTI2 et les visites NTI3. Soit on est au soutien opérationnel dans les flottilles, soit on est au soutien industriel au SIAé. Je dispose de deux sites et j'essaie de capitaliser sur l'ensemble de nos moyens. Les petites visites réalisées par l'AIA de Bretagne se déroulent très bien, justifiant ainsi une nouvelle fois le choix de la marine de s'adosser au SIAé en 2011. Nous réduisons progressivement le temps de visite. Pour ces visites nous constatons un pic de charge pour les cinq prochaines années et la marine a fait le choix d'en confier une partie au secteur privé.
La difficulté porte sur les visites lourdes réalisées à Cuers-Pierrefeu au sujet desquelles nous avons lancé plan d'action de grande ampleur touchant les commandes de rechange – pour lesquelles nous changeons les équilibres et pour lesquelles j'ai pris la décision d'autofinancer un certain nombre d'éléments –, mais aussi l'organisation de la production et enfin l'encadrement. Notre objectif est, d'ici à la fin de l'année, de voir les durées d'immobilisation de ces avions décroître.
En résumé, nous avons des difficultés sur les visites lourdes mais ce ne sont pas les seules causes de la mauvaise disponibilité de ces avions et pour les causes qui nous incombent, nous ne prenons pas de demi-mesures mais engageons bien des actions de fond. Je dois être tous les quinze jours ou toutes les trois semaines à Cuers afin de mobiliser le plus de ressources possible.
En ce qui concerne certains matériels, je rencontre les industriels concernés, quand c'est le SIAé qui achète les pièces. J'ai ainsi rencontré deux fois le président de SAGEM en six mois. Reste qu'il faut bien admettre que nous travaillons sur une vieille flotte et que certains matériels n'ont plus été commandés depuis très longtemps. Dans le même temps nous avons également à faire face à un changement du plan d'entretien de cet avion. Selon les uns, il s'agit de gagner en maintenance ; selon les autres, il s'agit de répondre aux exigences de navigabilité.
Peu importe, nous devons sortir ces avions malgré ces difficultés.
Mon point de vue, en tant qu'industriel, est que, compte tenu de la situation qui j'ai décrite, j'entends me donner des marges de manoeuvre industrielles et je mobiliserai à cette fin l'ensemble des moyens d'action du service. Je vise en effet – et je le proposerai aux autorités le moment venu – à investir pour utiliser l'ensemble des deux sites : pour les visites légères celui de Bretagne, où l'infrastructure reste assez limitée et date, et, pour les visites très lourdes associées à de gros chantiers, celui de Cuers. Le SIAé étant en compte de commerce, je ne demande pas de subventions mais, le moment venu, je demanderai à autofinancer et j'amortirai sur le prix des visites.
Le sujet est certes difficile, mais une équipe a été reconstituée pour répondre à l'ampleur de la tâche, illustrée par le nom que ses membres ont choisi : Atlas.
L'ATL2 est une flotte critique et figure parmi les priorités du chef d'état-major des armées. Les grandes visites de l'ATL2 représentent 15 % du chiffre d'affaires de l'AIA de Cuers et 3 % du chiffre d'affaires du SIAé. Il ne faut pas perdre de vue, en outre, que pour huit ATL2 qui se trouvent chez nous à Cuers et qui représentent une belle difficulté, quelque 200 avions sortent chaque année du SIAé.
Nous sommes très heureux, Mon général, de vous accueillir aujourd'hui. Nous avons pris cette initiative, Mme la présidente et moi-même, après que, sans nous concerter, elle est allée visiter l'AIA de sa région et moi celui de Cuers-Pierrefeu puisque je souhaitais faire le point sur le sujet que vous venez de traiter à l'instant. Vous êtes en effet revenu sur les problèmes – un vrai boulet – liés aux pièces de rechange des ATL2, et aux difficultés qu'ont les industriels à les fournir alors qu'elles sont hors du temps.
Je souhaite vous interroger sur les ressources humaines. Vous avez évoqué cette nécessaire culture d'entreprise. Or il apparaît, sur le terrain, que les filières de recrutement ne sont pas homogènes ; certains personnels étant embauchés en externe, il est parfois difficile d'intégrer cette culture d'entreprise. Ceux qui passent par la voie « primaire » de l'apprentissage, par la formation in situ, sont en revanche bien plus facilement intégrés et apportent donc une plus forte valeur ajoutée à l'action collective. Quel est votre politique en matière de ressources humaines, au moment, d'ailleurs, où l'on se rend compte que la valeur ajoutée par l'apprentissage ne concerne pas uniquement l'aviation ?
Quelles sont les certitudes et les incertitudes quant à l'avenir du SIAé ?
Par ailleurs, vous vous occupez à la fois de matériels très anciens et de matériels très modernes : comment parvenez-vous à concilier des technologies aussi différentes ?
Environ un tiers de personnels militaires et deux tiers de personnels civils travaillent pour le SIAé. Comment ces deux catégories s'articulent-elles ? Ce ratio vous semble-t-il équilibré, efficace ?
Enfin, il me semble avoir lu que le ministre de la Défense voulait vous confier les visites des C130 ; or, pour ce faire, il vous faudrait du personnel supplémentaire – quelque 160 personnes dans l'année qui vient, si mes renseignements sont exacts – et qui seraient également des ouvriers de l'État. Avons-nous ce potentiel ?
Je commencerai par répondre à la question sur les ressources humaines. Une nouvelle fois, je remercie les parlementaires qui ont inscrit, en deux étapes, dans la loi de programmation militaire, que le SIAé n'était pas condamné à la déflation de personnels. Depuis ma nomination en juillet 2011 jusqu'au 31 décembre 2015, ma ligne était la suivante : 4 582 ETPE et pas plus, quelle que soit la charge de travail et l'effectif a même baissé un peu plus, tendance qui s'est inversée puisque nous entamons une légère croissance des effectifs.
Je voudrais parler de deux grands groupes de personnels : l'encadrement et les ouvriers.
La position du ministre de la Défense est claire et le modeste employeur que je suis n'entrera pas dans le débat sur les ouvriers de l'État. En revanche, je sais dire quels sont mes besoins et ce que nous faisons : comme les autres industriels de l'aéronautique – et l'on constate une tension considérable sur le marché de l'aéronautique civil –, j'ai besoin d'ouvriers hautement qualifiés avec une trajectoire de rémunérations qui nous mette à l'abri de l'appel du secteur privé. Aujourd'hui, le SIAé ne recrute des ouvriers de l'État que sur un segment de compétence très étroit, une « lame de couteau » de trois professions : mécanicien d'aéronautique, électromécanicien d'aéronautique et agent d'essais, entre autres pour les essais de réacteurs.
La politique du service est simple : nous recrutons exclusivement des titulaires d'un baccalauréat professionnel aéronautique de préférence issus de l'apprentissage, et à l'issue d'une épreuve pratique. En effet, un chaudronnier aéronautique s'apprécie quand on le met sur un équipement et quand on lui met des outils dans les mains. Nous avons toujours privilégié l'apprentissage, indépendamment des difficultés auxquelles nous pouvons être confrontés. Quand on recrute un jeune qui se destine au baccalauréat professionnel, il est en général en classe de première, mineur, et la réglementation du travail des mineurs est particulièrement contraignante. Simplement, j'ai toujours souhaité qu'un jeune dont nous payons la formation – étant en compte de commerce, nous devons couvrir la totalité des dépenses – ait un poste à l'arrivée au cas où il fait l'affaire, après, bien sûr, avoir passé son baccalauréat et subi les épreuves pratiques. Il prendra éventuellement une année de plus pour être plus qualifié. Nous avons à ce jour 75 apprentis, ce qui n'est possible que parce que, d'une part, le service a été réorienté sur une trajectoire positive et, d'autre part, parce que le ministre a obtenu la levée du blocage sur le recrutement des ouvriers de l'État. Nous allons donc en recruter 160 en 2016 pour une augmentation d'effectifs nette qui n'atteindra même pas cinquante personnes du fait de départs à la retraite – entre 120 et 140 par an. La planification de ces recrutements est un vrai enjeu : le service a besoin de pouvoir anticiper et avec la flexibilité nécessaire.
Vous citiez le cas du C130 sur lequel j'ai eu à me justifier à maintes reprises. Nous prendrons la maintenance de ces avions le 1er juillet 2018. L'ouvrier qui interviendra sur un C130 en août 2018, à Clermont-Ferrand, sera un jeune fraîchement issu de l'apprentissage que j'aurai donc recruté en classe de première en 2016. Je devais pour cela exprimer avant mai 2015, mon besoin auprès de la direction des ressources humaines du ministère pour qu'elle puisse ensuite le traduire en termes de planification budgétaire – trois ans d'anticipation ! Cela a été fait. Je n'ai aucun problème, aujourd'hui, dans les régions, pour trouver des formations d'apprenti : Aérocampus en Aquitaine fonctionne de façon remarquable, de même que les structures similaires en Auvergne ; les élèves du lycée professionnel de Morlaix ont un peu tendance à aller à Nantes chez Airbus mais nous continuerons à les solliciter. Il faut savoir que les 160 jeunes ouvriers recrutés en 2016 l'auront été sur l'ensemble du territoire national car les jeunes sont mobiles à la première embauche. Seulement, il faut à la fois une vision à long terme et maîtriser les leviers de commandes. C'est pourquoi je considère qu'une activité d'industriel est un peu contradictoire avec le principe de l'annualité budgétaire.
Les jeunes que nous recrutons à l'issue de leur apprentissage sont remarquables. Les quatre ou cinq apprentis de Cuers viennent d'obtenir leur baccalauréat professionnel avec mention. J'ai eu le meilleur apprenti de France. J'ai régulièrement, dans les régions, le meilleur apprenti. Et les jeunes viennent chez nous parce que c'est infiniment plus passionnant que le travail de chaîne dans l'aéronautique civile – beaucoup plus cadencé, normé ; or ils voient chez nous des choses qu'ils ne voient pas ailleurs : pour un jeune, intervenir sur un hélicoptère Tigre qui rentre d'Afrique ne revient pas au même qu'intervenir sur des avions de ligne strictement identiques.
Après les années de disette 2011-2015, nous avons repris le recrutement ouvrier. Aujourd'hui, mon premier souci est de recruter des cadres. Les cadres issus des corps de fonctionnaires sont peu nombreux. Un outil a été conçu pour les entités en compte de commerce appelé « les ingénieurs et cadres technico-commerciaux et techniciens », qui permet de recruter des gens dans des secteurs de métiers que n'emploie pas l'administration : je fais tourner des usines, des bureaux d'études… L'idéal serait de pouvoir recruter dans ces différentes catégories mais avec la souplesse qui convient car, malgré tout, malgré les mesures prises par le ministre pour nous donner une certaine liberté, nous devons suivre le rythme des recrutements du ministère.
Pour ce qui est des perspectives, en bon industriel, je commencerai par vous demander quelles perspectives de commandes je peux espérer, quelle est la part que nous aurons dans l'entretien des matériels et je vous dirai ensuite comment je m'organiserai. Si, demain, au cours de la prochaine législature, on décidait de revenir sur les mesures obtenues par Jean-Yves Le Drian, évidemment cela changera la donne.
Je suis ravie de vous retrouver, Monsieur le directeur. Vous savez qu'à l'occasion d'un déplacement effectué avec notre excellent collègue Alain Marty, nous avons visité l'AIA de Bordeaux en particulier et nous avons pu constater à quel point les personnels s'impliquent – vous l'avez souligné – mais aussi mesurer leur haut degré de compétence, de qualification, enfin leur capacité à intervenir rapidement sur les théâtres d'OPEX.
Nous n'en avons pas moins repéré quelques menus problèmes relatifs à certains matériels en maintenance. Pouvez-vous nous éclairer en particulier sur l'état du moteur TP400 ? Le cas de l'A400M est en effet évoqué de façon récurrente et nous aimerions bien savoir où nous en sommes, notamment en ce qui concerne le problème de documentation qui, je l'espère, est résolu depuis.
Quid, par ailleurs, du moteur du Tigre ? Cet appareil évolue en effet sur des théâtres de nature à accélérer l'usure des matériels.
Enfin, vous êtes revenu, dans votre exposé liminaire, sur le fonctionnement de la SIAé en compte de commerce et semblez craindre pour ce statut. Pouvez-vous nous en dire davantage : qu'en est-il de la concurrence avec le secteur privé, quelle plus-value pouvez-vous apporter par rapport à ce dernier ? Quel équilibre trouver entre les industriels privés et le SIAé ?
Je souhaite connaître votre avis sur l'état actuel des capacités opérationnelles de l'aéronavale et de l'armée de l'air déjà fortement sollicitées dans le cadre de l'opération Chammal. Pensez-vous que nos capacités maximales de projection sont aujourd'hui atteintes ? Sinon, dans quelle mesure pourrions-nous intensifier notre lutte contre l'État islamique ?
Je ne me prononcerai pas sur les capacités opérationnelles qui relèvent de la responsabilité des chefs d'état-major de l'armée de l'air et du chef d'état-major de la marine. Je peux en revanche confirmer que je vois revenir un certain nombre de matériels bien fatigués, ne serait-ce qu'à cause du sable : pour les moteurs du Tigre, il faut qu'en trois ans j'augmente le volume de révision de 120 % ; et les révisions des moteurs du C130 doivent pour leur part être multipliées par 3,5 en deux ans. Nous nous y attelons même si cela coûte cher. De même, la programmation prévoyait 25 visites pour les Mirage 2000 pour l'année 2016 ; or nous en sommes à 32, chiffre qui va s'accroître encore avec un recours accru à nos sous-traitants. C'est le rôle du service, et le personnel n'a aucun état d'âme pour monter en cadence. En revanche, j'y insiste, nous avons besoin de souplesse quand je demande à anticiper en matière d'effectifs.
Le propre du SIAé est d'être un industriel qui fonctionne en compte de commerce, qui sous-traite des travaux qu'il connaît bien. Prenons l'exemple du moteur du C130 que je viens d'évoquer. J'ai une idée de ce que peut faire le commandement des opérations spéciales et je comprends que les moteurs fatiguent. Nous devons donc sous-traiter. Nous lançons des appels d'offres mondiaux et, bien entendu, tous ceux qui répondent vous expliquent qu'ils sont très compétents, même celui qui, quand vous lui rendez visite, n'a aucun moteur dans ses ateliers ! L'intérêt d'un service de l'État qui « fait » au quotidien, c'est que personne, chez nous, ne peut être ainsi leurré.
La montée en puissance consiste « simplement », de mon point de vue, à accélérer le rythme en matière de sous-traitance et de formation de personnels et à augmenter le nombre de cadres. J'ai demandé à anticiper pour 2017 des augmentations d'effectifs prévues en 2018. Il ne s'agit pas de personnels de production directe mais d'ingénieurs et de techniciens, de façon à optimiser les chaînes de production, à augmenter, je l'ai dit, les sous-traitances, à harmoniser les processus et à traiter les points bloquants.
J'en viens au TP400. Nous avons sept TP400 à Bordeaux. Il n'y a plus de problème de documentation. Le consortium peine à fournir les pièces mais c'est logique car il rencontre un certain nombre de problèmes techniques.
Nous avons avec l'A400M un excellent exemple de ce que peut apporter le service. La ligne initiale était la suivante : « Tout Airbus clé en main » et nous aurions dû être sous-traitants d'Airbus. En janvier 2012, « top départ » : le comité directeur du service m'a autorisé à autofinancer les investissements nécessaires dont un hangar gros porteurs à Clermont-Ferrand et un banc d'essais à Bordeaux. La DGA nous a passé une commande complémentaire. Lorsqu'il a été l'heure pour le premier A400M livré à l'armée de l'air de subir sa première visite, il a décollé d'Orléans pour se poser à Clermont-Ferrand. Nous étions prêts à le recevoir avec tous les agréments – c'était le 12 janvier 2015. L'arrêté d'exploitation du hangar gros porteur lancé en 2012 a été signé en juin 2015 ; nous pouvons y mettre deux A400M. Trouvez donc une opération de cette ampleur réalisée dans un tel délai !
Nous sommes les premiers et seuls titulaires d'un agrément militaire européen EMAR 145 – obtenu en mars 2015 – pour la maintenance de niveau industriel de cet avion. Il en va de même pour le moteur : le « top départ » est donné en janvier 2012. En juin 2013, nous avons un agrément civil Part 145 et, un an plus tard, en juin 2014, le banc d'essais est inauguré. Le premier moteur est arrivé, sans crier gare, si je puis dire, sur incident en juillet 2015. Nous étions prêts, avec les personnels, les bancs d'essais et les agréments et, depuis, nous continuons à intervenir. Le montage est intéressant : un incident technique survient, la DGA exerce un recours en garantie, Airbus se retourne vers le consortium motoriste qui nous passe une commande commerciale. Nous intervenons, réparons – puisque nous sommes les seuls à avoir les agréments – et nous continuons ainsi à acquérir de l'expérience sur ce moteur pour zéro euro de dépense publique.
Vous m'avez interrogé sur la plus-value que pouvait apporter le SIAé. Dans la documentation Airbus, si vous voulez changer le réducteur, pièce pesant 630 kilogrammes, vous devez normalement déposer le moteur puis le renvoyer en usine auprès du SIAé à Bordeaux. Nous avons développé des procédures qui sont approuvées par les organismes de navigabilité qui nous permettent de faire le changement au pied de l'avion à Orléans ou à Clermont-Ferrand, gagnant ainsi sur les délais d'immobilisation. Nous aidons ainsi à raccourcir les temps de cycle avec des personnels passionnés et, je le répète, pour zéro euro au titre du budget de la défense. L'enjeu technologique, concernant ce moteur, est très important. Je m'attendais que nous rencontrions des difficultés avec le réducteur pour une raison simple : dans toute l'histoire de l'aéronautique française d'après-guerre, le réducteur qui passe la plus grande puissance est celui du moteur Tyne du Transall et de l'ATL2 – il passe 5 700 chevaux –, alors que celui dont il est ici question passe 11 500 chevaux. Pour trouver une puissance équivalente il faut aller chercher du côté du Kouznetsov NK-12 du TU-95 soviétique, conçu aux normes de l'Est d'après-guerre avec une certification qui n'est pas vraiment la même que la nôtre. Chaque moteur d'A400M développe la même puissance qu'une rame de train à grande vitesse (TGV), soit 8,4 mégawatts. En outre, il accélère et décélère à la même vitesse qu'un moteur de Mirage 2000. Il est donc normal qu'il y ait des difficultés techniques au début. Nous nous efforçons, pour notre part, de minimiser les conséquences de ces difficultés techniques, de discuter avec les industriels constructeurs…
Je pense que, à l'avenir, l'A400M ne représentera qu'une toute petite flotte dans l'immense portefeuille d'Airbus. Eh bien, plutôt que de tout faire faire, « clé en main », chez Airbus, il vaut mieux s'appuyer sur un industriel de la défense, dont la priorité est de s'occuper des matériels de défense et qui sait que l'avion a beau bénéficier d'un agrément civil, l'armée de l'air va s'en servir pour des missions bien éloignées de toute exploitation commerciale et à des endroits bien peu propices au commerce. Autrement dit, faire en partie – ce qui est notre métier – permet de faire faire dans de bonnes conditions. De 75 % à 80 % des crédits d'entretien programmés des matériels vont vers le secteur privé, le reste nous revenant étant entendu que toutes les pièces principales relèvent du secteur privé. Nous ne nous substituons pas à l'industrie privée, nous la complétons.
Je reviens également sur l'A400M et sur les nombreux problèmes quant aux boîtiers de transmission et au moteur. La France et l'Allemagne ont été pénalisées et il nous a fallu, en urgence, en catastrophe même, acheter des Hercules C130 américains. Mon général, les représentants de l'État qui siègent au conseil d'administration du groupe Airbus ont dû poser des questions sur ces défaillances. Le responsable de la branche militaire du groupe, M. Domingo Ureña Raso, aurait même été licencié. Je m'interroge sur le rôle de la DGA qui est co-concepteur. Selon vous, y a-t-il eu vraiment défaillance ? Et, dans l'affirmative, qu'ont fait les autorités responsables pour y remédier ?
Je vous laisserai poser la question à Laurent Collet-Billon et au chef d'état-major de l'armée de l'air. J'ai pour ma part quitté le monde des programmes où j'ai passé vingt ans. Reste que cet avion est là, que ses performances sont tout à fait intéressantes : il apporte une capacité logistique phénoménale. Puisque l'expérience a été réalisée sur le parking de notre site de Clermont-Ferrand, je puis vous confirmer qu'un véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) rentre dans un A400M – on peut donc clore ainsi un débat programmatique qui a duré une petite dizaine d'années : nous savons transporter un VBCI en Afrique par nos propres moyens.
L'enjeu est désormais d'en maîtriser le coût de soutien. Face à un avionneur dont l'A400M représente une petite portion d'activité, au motoriste qui est un consortium un peu étrange, mon rôle consiste à proposer mes services aux autorités, expliquant que des gens qui font de l'industrie et qui n'ont aucun intérêt économique à vendre de la pièce, aucun intérêt économique à vendre du détachement de spécialistes ou à mettre du neuf, peuvent aider à maîtriser le coût de ce matériel. De plus, savoir ce qu'est un avion de transport tactique qui rentre d'Afrique, c'est clairement dans les gènes de nos personnels, y compris, désormais, des plus jeunes. Ainsi, nos opérateurs auvergnats qui interviennent sur l'hélicoptère Tigre savent faire la différence entre du sable malien et du sable afghan et savent la manière dont chaque type de sable va affecter la machine.
Encore une fois, les nations sont face à Airbus comme le Pentagone est face à Lockheed Martin. L'équilibre que je prône est de ne pas tout faire faire clé en main au prix de l'assurance tous risques, mais de faire un peu pour être plus avisé sur ce que l'on fait faire. Voilà quel est le rôle du SIAé en tant qu'industriel. Pour cela, le service doit pouvoir continuer à vivre en tant qu'industriel.
Je terminerai par le fonctionnement en compte de commerce. Il n'y a pas de miracle. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes s'interroge sur la conformité du compte de commerce avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le directeur du budget a écrit pour préconiser un retour en régime budgétaire, ce qui n'est pas la ligne suivie par le ministère de la Défense. Mon avis est que le retour en régime budgétaire vaudrait condamnation du SIAé.
Le personnel du SIAé vous fera la même réponse.
S'il faut évoluer vers un autre cadre, réfléchissons-y sereinement.
Il est deux extrêmes auxquels je ne crois pas : d'un côté, revenir en régime budgétaire – or nous n'aurions, sous un tel régime, jamais pu faire ce que nous avons fait avec l'A400M – ; de l'autre, devenir une société de droit privé – en effet, nous ne sommes pas propriétaires des droits ; quand vous avez une société de droit privé, l'État traite avec elle par mise en concurrence aux termes du code des marchés publics. À la différence de DCNS qui a tous les droits de propriété intellectuelle, à la différence du groupe Nexter qui a également tous les droits de propriété intellectuelle, nous intervenons sur des matériels fabriqués par d'autres. Nous exploitons les droits acquis par l'État sur les programmes parce que nous sommes partie de l'appareil de défense.
Le compte de commerce est un équilibre instable – « précaire » selon la Cour des comptes –, soit. Reste que je ne crois pas aux deux extrêmes que je viens d'évoquer.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.