Intervention de Ingénieur général de l'armement Patrick Dufour

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Ingénieur général de l'armement Patrick Dufour, directeur central du service industriel de l'aéronautique (SIAé :

Je ne me prononcerai pas sur les capacités opérationnelles qui relèvent de la responsabilité des chefs d'état-major de l'armée de l'air et du chef d'état-major de la marine. Je peux en revanche confirmer que je vois revenir un certain nombre de matériels bien fatigués, ne serait-ce qu'à cause du sable : pour les moteurs du Tigre, il faut qu'en trois ans j'augmente le volume de révision de 120 % ; et les révisions des moteurs du C130 doivent pour leur part être multipliées par 3,5 en deux ans. Nous nous y attelons même si cela coûte cher. De même, la programmation prévoyait 25 visites pour les Mirage 2000 pour l'année 2016 ; or nous en sommes à 32, chiffre qui va s'accroître encore avec un recours accru à nos sous-traitants. C'est le rôle du service, et le personnel n'a aucun état d'âme pour monter en cadence. En revanche, j'y insiste, nous avons besoin de souplesse quand je demande à anticiper en matière d'effectifs.

Le propre du SIAé est d'être un industriel qui fonctionne en compte de commerce, qui sous-traite des travaux qu'il connaît bien. Prenons l'exemple du moteur du C130 que je viens d'évoquer. J'ai une idée de ce que peut faire le commandement des opérations spéciales et je comprends que les moteurs fatiguent. Nous devons donc sous-traiter. Nous lançons des appels d'offres mondiaux et, bien entendu, tous ceux qui répondent vous expliquent qu'ils sont très compétents, même celui qui, quand vous lui rendez visite, n'a aucun moteur dans ses ateliers ! L'intérêt d'un service de l'État qui « fait » au quotidien, c'est que personne, chez nous, ne peut être ainsi leurré.

La montée en puissance consiste « simplement », de mon point de vue, à accélérer le rythme en matière de sous-traitance et de formation de personnels et à augmenter le nombre de cadres. J'ai demandé à anticiper pour 2017 des augmentations d'effectifs prévues en 2018. Il ne s'agit pas de personnels de production directe mais d'ingénieurs et de techniciens, de façon à optimiser les chaînes de production, à augmenter, je l'ai dit, les sous-traitances, à harmoniser les processus et à traiter les points bloquants.

J'en viens au TP400. Nous avons sept TP400 à Bordeaux. Il n'y a plus de problème de documentation. Le consortium peine à fournir les pièces mais c'est logique car il rencontre un certain nombre de problèmes techniques.

Nous avons avec l'A400M un excellent exemple de ce que peut apporter le service. La ligne initiale était la suivante : « Tout Airbus clé en main » et nous aurions dû être sous-traitants d'Airbus. En janvier 2012, « top départ » : le comité directeur du service m'a autorisé à autofinancer les investissements nécessaires dont un hangar gros porteurs à Clermont-Ferrand et un banc d'essais à Bordeaux. La DGA nous a passé une commande complémentaire. Lorsqu'il a été l'heure pour le premier A400M livré à l'armée de l'air de subir sa première visite, il a décollé d'Orléans pour se poser à Clermont-Ferrand. Nous étions prêts à le recevoir avec tous les agréments – c'était le 12 janvier 2015. L'arrêté d'exploitation du hangar gros porteur lancé en 2012 a été signé en juin 2015 ; nous pouvons y mettre deux A400M. Trouvez donc une opération de cette ampleur réalisée dans un tel délai !

Nous sommes les premiers et seuls titulaires d'un agrément militaire européen EMAR 145 – obtenu en mars 2015 – pour la maintenance de niveau industriel de cet avion. Il en va de même pour le moteur : le « top départ » est donné en janvier 2012. En juin 2013, nous avons un agrément civil Part 145 et, un an plus tard, en juin 2014, le banc d'essais est inauguré. Le premier moteur est arrivé, sans crier gare, si je puis dire, sur incident en juillet 2015. Nous étions prêts, avec les personnels, les bancs d'essais et les agréments et, depuis, nous continuons à intervenir. Le montage est intéressant : un incident technique survient, la DGA exerce un recours en garantie, Airbus se retourne vers le consortium motoriste qui nous passe une commande commerciale. Nous intervenons, réparons – puisque nous sommes les seuls à avoir les agréments – et nous continuons ainsi à acquérir de l'expérience sur ce moteur pour zéro euro de dépense publique.

Vous m'avez interrogé sur la plus-value que pouvait apporter le SIAé. Dans la documentation Airbus, si vous voulez changer le réducteur, pièce pesant 630 kilogrammes, vous devez normalement déposer le moteur puis le renvoyer en usine auprès du SIAé à Bordeaux. Nous avons développé des procédures qui sont approuvées par les organismes de navigabilité qui nous permettent de faire le changement au pied de l'avion à Orléans ou à Clermont-Ferrand, gagnant ainsi sur les délais d'immobilisation. Nous aidons ainsi à raccourcir les temps de cycle avec des personnels passionnés et, je le répète, pour zéro euro au titre du budget de la défense. L'enjeu technologique, concernant ce moteur, est très important. Je m'attendais que nous rencontrions des difficultés avec le réducteur pour une raison simple : dans toute l'histoire de l'aéronautique française d'après-guerre, le réducteur qui passe la plus grande puissance est celui du moteur Tyne du Transall et de l'ATL2 – il passe 5 700 chevaux –, alors que celui dont il est ici question passe 11 500 chevaux. Pour trouver une puissance équivalente il faut aller chercher du côté du Kouznetsov NK-12 du TU-95 soviétique, conçu aux normes de l'Est d'après-guerre avec une certification qui n'est pas vraiment la même que la nôtre. Chaque moteur d'A400M développe la même puissance qu'une rame de train à grande vitesse (TGV), soit 8,4 mégawatts. En outre, il accélère et décélère à la même vitesse qu'un moteur de Mirage 2000. Il est donc normal qu'il y ait des difficultés techniques au début. Nous nous efforçons, pour notre part, de minimiser les conséquences de ces difficultés techniques, de discuter avec les industriels constructeurs…

Je pense que, à l'avenir, l'A400M ne représentera qu'une toute petite flotte dans l'immense portefeuille d'Airbus. Eh bien, plutôt que de tout faire faire, « clé en main », chez Airbus, il vaut mieux s'appuyer sur un industriel de la défense, dont la priorité est de s'occuper des matériels de défense et qui sait que l'avion a beau bénéficier d'un agrément civil, l'armée de l'air va s'en servir pour des missions bien éloignées de toute exploitation commerciale et à des endroits bien peu propices au commerce. Autrement dit, faire en partie – ce qui est notre métier – permet de faire faire dans de bonnes conditions. De 75 % à 80 % des crédits d'entretien programmés des matériels vont vers le secteur privé, le reste nous revenant étant entendu que toutes les pièces principales relèvent du secteur privé. Nous ne nous substituons pas à l'industrie privée, nous la complétons.

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