Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 20 juillet 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, présidente :

Le deuxième rapport, consacré à l'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique d'État, s'inscrit dans le prolongement du colloque organisé par la Délégation le 2 mars dernier.

Avec ce colloque, nous avons voulu conjuguer deux ambitions : d'une part, évaluer la politique visant à favoriser et à accélérer la nomination de femmes dans les emplois dirigeants, mise en place par la loi du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », et le protocole d'accord du 8 mars 2013 relatif à l'égalité professionnelle dans la fonction publique ; d'autre part, offrir un moment de rencontre et de dialogue à des personnalités qui avaient créé des réseaux de femmes fonctionnaires tels que « Femmes de l'Intérieur » et « Femmes de Justice ».

Lors de l'ouverture du colloque, Mme Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes, a montré combien le Gouvernement se mobilisait en faveur de ces nominations. Il y a, là aussi, une démarche volontariste, sans laquelle les choses n'avanceraient pas. Car, chaque fois que l'on baisse la garde, le nombre de nominations baisse.

Rappelons que le dispositif a été renforcé par la loi du 4 août 2014 : l'objectif de 40 % de femmes primo-nommées dans ces emplois devra être atteint non pas le 1er janvier 2018, mais dès le 1er janvier 2017. Pour ma part, j'aimerais que l'on arrive à 50 %.

Nous constatons de gros progrès en matière de nominations des femmes dans différents domaines : dans les hôpitaux, dans la diplomatie, dans la justice, au ministère de l'intérieur, notamment chez les préfets. Les choses commencent à changer aussi au ministère des finances, où il y avait un certain retard. En revanche, il y a encore des difficultés en ce qui concerne les grandes structures culturelles.

Malgré ces progrès, des freins demeurent.

Premier frein important : le « plafond de verre », qui résiste. Les femmes qui arrivent à des postes de responsabilité restent souvent sous-directrices, « numéros deux » ou « numéros trois » ; les postes de directeurs, beaucoup moins nombreux, sont plus difficiles à atteindre pour elles et restent majoritairement occupés par des hommes. D'autant que le moment où les promotions sont les plus nombreuses se situe entre 30 et 40 ans, qui est le moment de la maternité pour les femmes. Souvent, elles pensent elles-mêmes qu'elles ne vont pas pouvoir conjuguer toutes leurs vies, toutes leurs journées. Ou, parfois, on le pense pour elles, et la censure vient alors de l'extérieur : on ne va pas proposer tel poste à très haute responsabilité à une femme parce qu'elle a trois enfants. En l'espèce, je ne vois pas de quoi on se mêle : si la personne a les compétences et les qualités requises, il faut lui offrir le poste ; à elle de savoir si elle est en mesure de s'organiser et de gérer la situation.

Deuxième frein : l'hypermobilité. Pour monter dans la hiérarchie, la mobilité est souvent un prérequis. Lorsque les deux personnes du couple travaillent, ce qui est fréquent aujourd'hui, cette mobilité devient complexe et provoque parfois des ruptures de carrière de l'un ou de l'autre, mais plus souvent de l'une que de l'autre. Selon moi, il y a une réflexion à mener, au sein des trois fonctions publiques, sur la nécessité absolue de la mobilité.

Troisième frein : l'hyperprésentéisme, qui est un mal français. J'ai participé aujourd'hui à un déjeuner organisé avec des femmes à haut potentiel, notamment une amirale – il y en a quatre en France. L'une de ces femmes a fait remarquer que, lorsque la mention « disponibilité maximale ou totale demandée » figurait sur une fiche du poste, on pourrait tout aussi bien écrire que le poste était réservé à un homme, que les femmes étaient exclues d'entrée de jeu. On m'a également cité le cas d'une réunion dont l'horaire avait été avancé à huit heures du matin : l'une des participantes habituelles a fait valoir qu'elle ne pourrait pas arriver avant huit heures quinze, car la crèche ouvrait à huit heures ; ceux qui avaient fixé cet horaire ont reconnu qu'ils n'avaient pas envisagé cette éventualité et ont accepté de décaler le début de la réunion.

D'après ce qu'on me dit, cet hyperprésentéisme français s'accentue. À l'inverse de ce qui se passe aux États-Unis ou au Canada, celui qui reste tard au bureau est mieux vu que celui qui part à cinq heures. On a tendance à considérer ce dernier comme moins motivé, même s'il a bien fait son travail. Pourtant, le fait de rester tard le soir n'est nullement une preuve d'efficacité ou de qualité du travail.

Là comme ailleurs, on constate une persistance des stéréotypes, ainsi que des orientations trop sexuées : les femmes s'orientent vers certaines carrières et moins vers d'autres. Ainsi que l'a rappelé la directrice de l'École nationale d'administration (ENA), les femmes réussissent mieux à l'université – où elles représentent près de 60 % des effectifs –, mais on ne les retrouve pas dans les postes de responsabilité au même niveau que les hommes.

Ainsi que la Délégation l'a relevé dans son rapport sur le projet de loi pour une République numérique, le nombre de femmes dans le secteur du numérique a baissé de moitié, et il n'y a plus que 11 % de femmes ingénieures dans ce secteur. On ne peut que le regretter. Il faut que nous travaillions à modifier cette vision stéréotypée et, partant, la réalité des recrutements.

Rappelons, en outre, que nous avons amélioré le dispositif de lutte contre les violences sexistes au travail et de protection des femmes victimes de harcèlement grâce à différents textes, notamment à la « loi Travail ».

Les réseaux de femmes sont d'une grande importance. Les hommes sont très forts pour fonctionner en réseau : ils se connaissent, se soutiennent, se recommandent pour tel ou tel poste. Les femmes ont moins l'habitude d'un tel fonctionnement. Or les réseaux peuvent leur permettent d'échanger leurs expériences ou de trouver des soutiens.

Dans les années 1980, il y avait ces femmes qu'on appelait les wonder women : elles devaient tout réussir – les enfants, la famille, le travail – et ne jamais dire qu'elles faiblissaient. Celles qui craquaient avaient honte : elles n'osaient pas dire qu'elles n'y arrivaient pas, alors qu'elles n'étaient pas seules dans ce cas. Dans un réseau, on peut parler des problèmes, notamment de l'articulation des temps, demander des conseils, s'entraider – plutôt que de s'enfoncer, parce que la compétition est rude et qu'il faudrait toujours être la meilleure, maquillée et souriante, comme si rien ne vous atteignait.

Ainsi que je l'ai rappelé lors du déjeuner que j'ai mentionné, l'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes est encore de 16 % dans la fonction publique d'État. Ce chiffre sidère souvent l'auditoire, mais c'est une réalité. Cela tient notamment au fait que les femmes travaillent davantage à temps partiel et que les primes ne sont pas distribuées de la même manière aux femmes et aux hommes.

Ainsi que cela a été dit à nouveau lors de ce déjeuner, lorsqu'un homme se lance dans une carrière dans la haute administration, il a une vision linéaire de sa carrière : il s'inquiète de savoir comment il deviendra sous-directeur puis directeur, ou sous-préfet puis préfet. Les femmes ont moins cette vision. Quoi qu'il en soit, les postes de direction et de responsabilité étant par nature peu nombreux, lorsqu'on nomme des femmes à ces postes, on arrête des carrières d'hommes : lorsqu'on nomme une préfète ou une rectrice, on ne nomme pas un préfet ou un recteur. On peut donc imaginer qu'un certain nombre de freins proviennent des collègues masculins, qui constatent que la parité dans les nominations signifie des postes en moins pour eux. Cela étant, ainsi que certains le font remarquer, les lois paritaires protégeront un jour les hommes. Ces lois ont vocation à protéger tout le monde : elles ne sont pas faites seulement pour les femmes.

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