La séance est ouverte à seize heures vingt.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'examen du rapport d'information sur la place des femmes en politique, suite au colloque organisé le mercredi 9 mars 2016, présenté par la présidente Catherine Coutelle.
Cette dernière réunion de la session a pour objet l'examen de deux rapports d'information, établis à la suite de colloques organisés par la Délégation à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes.
Le premier rapport d'information que nous examinons, consacré à la place des femmes en politique, comprend les actes du colloque que nous avons organisé sur ce sujet le 9 mars 2016, au cours duquel sont intervenus Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre, et trois collègues : M. Sébastien Denaja, membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), Mme Nicole Ameline, ancienne ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, membre du Comité des Nations unies pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes (CEDEFCEDAW), et Mme Véronique Massonneau, députée écologiste.
Le rapport contient également le compte rendu de l'audition de Mme Régine Saint-Criq, fondatrice de l'association Parité, et de Mme Réjane Sénac, chercheuse au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) et présidente de la commission « Parité » du HCEfh.
L'égalité entre les femmes et les hommes en politique demeure toujours un combat, mais nous constatons des progrès : il y a eu des avancées législatives très favorables en la matière, conformément au principe de parité inscrit dans la Constitution – « La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Chaque fois que nous avons pu, nous avons appliqué ce principe aux différentes élections : départementales, régionales, européennes. Par ailleurs, les prochaines élections législatives auront lieu en juin 2017, et des dispositions ont été introduites par la loi du 4 août 2014 en vue de promouvoir la parité.
C'est aux élections départementales que le plus grand pas a été franchi : le nombre de femmes élues dans les conseils départementaux est passé de 13 à 50 %. On m'a dit, aujourd'hui encore, combien cela avait changé non seulement la composition desdits conseils, mais aussi l'atmosphère en leur sein. La loi peut donc permettre de forcer le pas, d'accélérer les choses : si nous en étions restés au rythme « naturel » des élections, nous aurions probablement mis une centaine d'années pour arriver à ce résultat.
Malgré ces avancées, nous avons encore des progrès à accomplir, notamment dans deux domaines.
Premièrement, il reste un dernier bastion : le Parlement, avec 26 % de femmes à l'Assemblée nationale et 25 % de femmes au Sénat. Même s'il y a eu des progrès, notre pays pourrait faire mieux par rapport à d'autres pays, sachant que les deux modes de scrutin législatifs ne permettent guère d'atteindre rapidement la parité.
En ce qui concerne le Sénat, dans les départements où l'élection se fait au scrutin proportionnel, les listes doivent être paritaires, avec une alternance entre les hommes et les femmes. Cependant, nous avons assisté à des stratégies de contournement, avec la présentation de plusieurs listes de la même tendance dans certains départements. Dans ce cas, seules les têtes de listes, généralement des hommes, sont élues, ces sénateurs se rattachant ensuite au même groupe politique.
Pour ce qui est de l'Assemblée nationale, le scrutin étant uninominal à deux tours, chaque candidat doit l'emporter dans la circonscription où il se présente. Par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous avons fortement renforcé le dispositif de pénalités financières existant : la retenue pour non-respect de la parité sur le financement accordé aux partis politiques – ce montant étant calculé au prorata du nombre de voix obtenues au premier tour des législatives et du nombre de candidats élus –doublera en 2017. Précisons que nous ne pouvons pas accéder à la demande exprimée notamment par des associations, de supprimer totalement le financement aux partis qui ne respectent pas la parité entre les candidates et les candidats, pour des motifs de constitutionnalité.
En tout cas, ce doublement de la pénalité financière pourrait faire mal aux partis politiques qui ne feraient pas d'effort supplémentaire. Rappelons néanmoins que les candidates ne sont pas assurées d'être élues, d'autant que les partis, quelle que soit leur couleur, demandent rarement aux hommes élus dans des circonscriptions considérées comme faciles à gagner, de laisser leur place à une femme et ont tendance à présenter des femmes dans les circonscriptions considérées comme difficiles à gagner, où il faut s'opposer au député sortant. Or on entend parfois des réflexions telles que « les femmes ne nous font pas gagner les élections » ou « on ne trouve pas de candidates ». Dans la mesure où on0 leur demande de franchir un obstacle plus difficile, ce n'est évidemment pas très attractif.
Deuxièmement, il reste des progrès à faire en matière de parité « qualitative » et d'accès des femmes aux postes de responsabilité. La plupart des maires étant des hommes, les assemblées des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et, plus encore, leurs exécutifs restent essentiellement masculins. D'autre part, les délégations ou les postes d'adjoint que l'on propose aux femmes élues ou vers lesquelles elles s'orientent elles-mêmes concernent beaucoup plus souvent des domaines considérés comme plus « féminins » tels que les affaires scolaires, les affaires sociales, la petite enfance ou le handicap, plutôt que des secteurs tels que les finances, les transports ou la voirie, pourtant tout aussi passionnants et intéressants pour nos concitoyens.
D'une manière générale, le vivier de femmes qui souhaitent se présenter aux élections existe : on trouve des femmes lorsqu'on en cherche.
S'agissant des solutions, il est souhaitable et sans doute nécessaire que l'on propose aux femmes une formation, d'abord pour les rassurer – elles ont parfois besoin de l'être –, ensuite pour faciliter leur prise de parole en public – prendre la parole en public n'est pas naturel lorsqu'on n'en a pas eu l'occasion ou qu'on n'a pas reçu de formation en ce sens –, enfin pour leur donner une connaissance des rouages. Les femmes ont souvent tendance à se sous-estimer et, partant, à hésiter à prendre des responsabilités lorsqu'elles ne sont pas armées. Il faut donc leur donner les outils qui leur permettront de ne pas se laisser faire dans une assemblée.
Je confirme que l'on trouve des femmes lorsqu'on en cherche. Je me souviens des débats lorsque nous avons introduit les binômes paritaires aux élections départementales : certains ont dit que nous n'arriverions pas à trouver des femmes qui souhaitent s'engager. Or on les a finalement trouvées. Aujourd'hui, la parité est complète au sein des conseils départementaux, alors que les conseils généraux sortants ne comptaient en moyenne que 13 % de femmes et que certains d'entre eux n'en comptaient aucune.
Il y a quinze ou vingt ans, je n'étais pas nécessairement convaincue que la loi permettrait d'avancer, pensant naïvement que, avec le temps, l'envie, la motivation et les objectifs que chacun pourrait se fixer, nous pourrions atteindre la parité. Avec le recul, je me rends compte que la loi a été à chaque fois nécessaire pour faire bouger les lignes en la matière ; sans la loi, on n'avance pas.
Je vous rejoins, madame la présidente : il faut absolument identifier les freins et travailler sur ceux-ci. Vous en avez cité quelques-uns : la question de la confiance en soi, celle des compétences, l'envie de prendre des responsabilités ou non. Il faut permettre aux femmes de prendre la parole et veiller à appliquer la parité lorsque nous répartissons les prises de paroles. Car, visiblement, cela ne va pas de soi, ainsi que nous pouvons nous en rendre compte au sein des groupes politiques ou sur certains sujets : lors de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence et lors du débat sur le « Brexit », toutes les prises de paroles ont ainsi été le fait de nos collègues masculins.
L'un des freins que j'ai identifiés au cours de mon parcours politique, personnel et professionnel est la question très importante de l'équilibre entre la vie personnelle et familiale et la vie professionnelle ou politique. Tant que nous garderons le mode de travail et d'organisation actuel, qui implique, en substance, de faire un choix entre l'engagement politique et la famille et les proches, de nombreuses femmes, en tout cas une certaine génération de femmes, mais aussi certains hommes refuseront de s'engager en politique. Il est loin d'être évident de concilier une vie personnelle et familiale avec une vie politique, qui exige un engagement quasi total, presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre – hier soir, par exemple, nous avons siégé jusqu'à cinq heures du matin.
Je tiens enfin à saluer le travail de la Délégation aux droits des femmes, en particulier votre travail et votre engagement, madame la présidente.
C'est tout à fait juste : l'articulation entre vie personnelle et vie professionnelle ou engagement politique est l'un des points clés. Cela soulève, en particulier, la question de l'organisation de la vie politique : les horaires ou la durée de certaines réunions ne se justifient pas – on le constate aussi dans les collectivités territoriales. En faisant preuve d'une attention un peu plus grande, on pourrait rendre la vie politique compatible avec une vie personnelle.
D'autre part, quand une femme a des enfants, il y a un père – les mères ne font pas les enfants seules ! – et l'on en revient très souvent à la question du partage des tâches domestiques et des responsabilités, avec des difficultés accrues dans les familles monoparentales. Si l'on veut que les femmes s'engagent, il faut aussi que les hommes prennent leur part des tâches domestiques. On me dit toujours qu'il y a de « nouveaux pères » ; j'espère qu'ils vont finir par apparaître en grand nombre !
J'en connais moi aussi quelques-uns, mais les statistiques sont malheureusement un peu cruelles : en vingt ans, les femmes n'ont gagné que quelques minutes de travail domestique en moins. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de publier une étude montrant que, s'il y a effectivement un rééquilibrage entre les femmes et les hommes de ce point de vue, c'est davantage en raison du temps gagné grâce à l'utilisation des machines et au recours à des aides extérieures que du fait du partage des tâches, lequel progresse certes dans les discours, mais un peu moins dans la réalité.
D'une manière générale, la vision de la société reste très stéréotypée : on a tendance à penser que c'est l'homme qui exerce des responsabilités politiques. Dès lors, la situation des hommes conjoints de femmes élues, députées ou maire, peut être difficile à vivre, compte tenu de l'image que la société leur renvoie. Elle est un peu analogue à celles des jeunes cadres ou salariés qui prennent leur congé parental et à qui l'on dit que ce n'est pas leur rôle de s'occuper du bébé et des couches. De fait, le monde politique reste un monde fait par les hommes et pour les hommes.
Cela ne fait que soixante-dix ans que les femmes ont le droit de vote en France. D'immense progrès ont été accomplis, ainsi que le montre ce rapport d'information. J'étais contre les quotas, mais je suis pour la parité. Nous constatons en effet que seule la loi fait avancer les choses avec une certaine rapidité. Si l'on comptait sur la bonne volonté des uns et des autres, on attendrait indéfiniment.
La Délégation aux droits des femmes a fait oeuvre utile en organisant ce colloque et en présentant ce rapport, qui évoque aussi la question compliquée du statut de l'élu, sur laquelle je ne reviens pas. Précisons que le HCEfh nous a apporté son appui en réfléchissant aux moyens d'améliorer la parité en politique, y compris dans nos instances.
La Délégation adopte le rapport d'information.
Elle examine ensuite le rapport d'information sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique d'État, suite au colloque organisé par la Délégation le mercredi 2 mars 2016, présenté par la présidente Catherine Coutelle.
Le deuxième rapport, consacré à l'égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique d'État, s'inscrit dans le prolongement du colloque organisé par la Délégation le 2 mars dernier.
Avec ce colloque, nous avons voulu conjuguer deux ambitions : d'une part, évaluer la politique visant à favoriser et à accélérer la nomination de femmes dans les emplois dirigeants, mise en place par la loi du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », et le protocole d'accord du 8 mars 2013 relatif à l'égalité professionnelle dans la fonction publique ; d'autre part, offrir un moment de rencontre et de dialogue à des personnalités qui avaient créé des réseaux de femmes fonctionnaires tels que « Femmes de l'Intérieur » et « Femmes de Justice ».
Lors de l'ouverture du colloque, Mme Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes, a montré combien le Gouvernement se mobilisait en faveur de ces nominations. Il y a, là aussi, une démarche volontariste, sans laquelle les choses n'avanceraient pas. Car, chaque fois que l'on baisse la garde, le nombre de nominations baisse.
Rappelons que le dispositif a été renforcé par la loi du 4 août 2014 : l'objectif de 40 % de femmes primo-nommées dans ces emplois devra être atteint non pas le 1er janvier 2018, mais dès le 1er janvier 2017. Pour ma part, j'aimerais que l'on arrive à 50 %.
Nous constatons de gros progrès en matière de nominations des femmes dans différents domaines : dans les hôpitaux, dans la diplomatie, dans la justice, au ministère de l'intérieur, notamment chez les préfets. Les choses commencent à changer aussi au ministère des finances, où il y avait un certain retard. En revanche, il y a encore des difficultés en ce qui concerne les grandes structures culturelles.
Malgré ces progrès, des freins demeurent.
Premier frein important : le « plafond de verre », qui résiste. Les femmes qui arrivent à des postes de responsabilité restent souvent sous-directrices, « numéros deux » ou « numéros trois » ; les postes de directeurs, beaucoup moins nombreux, sont plus difficiles à atteindre pour elles et restent majoritairement occupés par des hommes. D'autant que le moment où les promotions sont les plus nombreuses se situe entre 30 et 40 ans, qui est le moment de la maternité pour les femmes. Souvent, elles pensent elles-mêmes qu'elles ne vont pas pouvoir conjuguer toutes leurs vies, toutes leurs journées. Ou, parfois, on le pense pour elles, et la censure vient alors de l'extérieur : on ne va pas proposer tel poste à très haute responsabilité à une femme parce qu'elle a trois enfants. En l'espèce, je ne vois pas de quoi on se mêle : si la personne a les compétences et les qualités requises, il faut lui offrir le poste ; à elle de savoir si elle est en mesure de s'organiser et de gérer la situation.
Deuxième frein : l'hypermobilité. Pour monter dans la hiérarchie, la mobilité est souvent un prérequis. Lorsque les deux personnes du couple travaillent, ce qui est fréquent aujourd'hui, cette mobilité devient complexe et provoque parfois des ruptures de carrière de l'un ou de l'autre, mais plus souvent de l'une que de l'autre. Selon moi, il y a une réflexion à mener, au sein des trois fonctions publiques, sur la nécessité absolue de la mobilité.
Troisième frein : l'hyperprésentéisme, qui est un mal français. J'ai participé aujourd'hui à un déjeuner organisé avec des femmes à haut potentiel, notamment une amirale – il y en a quatre en France. L'une de ces femmes a fait remarquer que, lorsque la mention « disponibilité maximale ou totale demandée » figurait sur une fiche du poste, on pourrait tout aussi bien écrire que le poste était réservé à un homme, que les femmes étaient exclues d'entrée de jeu. On m'a également cité le cas d'une réunion dont l'horaire avait été avancé à huit heures du matin : l'une des participantes habituelles a fait valoir qu'elle ne pourrait pas arriver avant huit heures quinze, car la crèche ouvrait à huit heures ; ceux qui avaient fixé cet horaire ont reconnu qu'ils n'avaient pas envisagé cette éventualité et ont accepté de décaler le début de la réunion.
D'après ce qu'on me dit, cet hyperprésentéisme français s'accentue. À l'inverse de ce qui se passe aux États-Unis ou au Canada, celui qui reste tard au bureau est mieux vu que celui qui part à cinq heures. On a tendance à considérer ce dernier comme moins motivé, même s'il a bien fait son travail. Pourtant, le fait de rester tard le soir n'est nullement une preuve d'efficacité ou de qualité du travail.
Là comme ailleurs, on constate une persistance des stéréotypes, ainsi que des orientations trop sexuées : les femmes s'orientent vers certaines carrières et moins vers d'autres. Ainsi que l'a rappelé la directrice de l'École nationale d'administration (ENA), les femmes réussissent mieux à l'université – où elles représentent près de 60 % des effectifs –, mais on ne les retrouve pas dans les postes de responsabilité au même niveau que les hommes.
Ainsi que la Délégation l'a relevé dans son rapport sur le projet de loi pour une République numérique, le nombre de femmes dans le secteur du numérique a baissé de moitié, et il n'y a plus que 11 % de femmes ingénieures dans ce secteur. On ne peut que le regretter. Il faut que nous travaillions à modifier cette vision stéréotypée et, partant, la réalité des recrutements.
Rappelons, en outre, que nous avons amélioré le dispositif de lutte contre les violences sexistes au travail et de protection des femmes victimes de harcèlement grâce à différents textes, notamment à la « loi Travail ».
Les réseaux de femmes sont d'une grande importance. Les hommes sont très forts pour fonctionner en réseau : ils se connaissent, se soutiennent, se recommandent pour tel ou tel poste. Les femmes ont moins l'habitude d'un tel fonctionnement. Or les réseaux peuvent leur permettent d'échanger leurs expériences ou de trouver des soutiens.
Dans les années 1980, il y avait ces femmes qu'on appelait les wonder women : elles devaient tout réussir – les enfants, la famille, le travail – et ne jamais dire qu'elles faiblissaient. Celles qui craquaient avaient honte : elles n'osaient pas dire qu'elles n'y arrivaient pas, alors qu'elles n'étaient pas seules dans ce cas. Dans un réseau, on peut parler des problèmes, notamment de l'articulation des temps, demander des conseils, s'entraider – plutôt que de s'enfoncer, parce que la compétition est rude et qu'il faudrait toujours être la meilleure, maquillée et souriante, comme si rien ne vous atteignait.
Ainsi que je l'ai rappelé lors du déjeuner que j'ai mentionné, l'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes est encore de 16 % dans la fonction publique d'État. Ce chiffre sidère souvent l'auditoire, mais c'est une réalité. Cela tient notamment au fait que les femmes travaillent davantage à temps partiel et que les primes ne sont pas distribuées de la même manière aux femmes et aux hommes.
Ainsi que cela a été dit à nouveau lors de ce déjeuner, lorsqu'un homme se lance dans une carrière dans la haute administration, il a une vision linéaire de sa carrière : il s'inquiète de savoir comment il deviendra sous-directeur puis directeur, ou sous-préfet puis préfet. Les femmes ont moins cette vision. Quoi qu'il en soit, les postes de direction et de responsabilité étant par nature peu nombreux, lorsqu'on nomme des femmes à ces postes, on arrête des carrières d'hommes : lorsqu'on nomme une préfète ou une rectrice, on ne nomme pas un préfet ou un recteur. On peut donc imaginer qu'un certain nombre de freins proviennent des collègues masculins, qui constatent que la parité dans les nominations signifie des postes en moins pour eux. Cela étant, ainsi que certains le font remarquer, les lois paritaires protégeront un jour les hommes. Ces lois ont vocation à protéger tout le monde : elles ne sont pas faites seulement pour les femmes.
En fin de compte, nous identifions les mêmes freins et les mêmes stéréotypes en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qu'en ce qui concerne la place des femmes en politique. Quant au déficit de femmes à la tête des grandes structures culturelles, il est en effet assez flagrant : on y trouve essentiellement des hommes. On a du mal à faire évoluer cette situation, même si certains acteurs et actrices concernés y sont très attentifs et se mobilisent. On pourrait penser que le milieu culturel est plus ouvert, mais on y retrouve finalement les mêmes mécanismes et les mêmes fonctionnements.
En matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il y a, selon moi, deux sujets sur lesquels il conviendrait de travailler tant au sein des entreprises privées que dans la fonction publique d'État et dans la fonction publique territoriale. Il s'agit, premièrement, d'accompagner les femmes, en leur proposant des modules de formation ou de coaching adaptés, notamment sur les questions que nous avons évoquées : le manque de confiance en soi, la difficulté à valoriser les compétences ou à prendre des responsabilités.
Deuxièmement, les entreprises et les administrations doivent identifier les freins et les stéréotypes, puis intégrer ces dimensions dans leur politique de ressources humaines, que ce soit en termes de management, de recrutement, de rémunération ou de mobilité. Certaines entreprises privées travaillent sur ces questions, notamment sur l'organisation du travail. Pour ce qui est de l'hyperprésentéisme et de l'exigence de disponibilité totale, il existe, dans certaines entreprises, des chartes qui prévoient, par exemple, qu'il n'y a pas de réunion avant neuf heures ou après dix-huit heures, ou qu'il n'y a pas de réunion importante le mercredi. Je pense que l'on peut s'inspirer de ces pratiques.
Vous avez souligné à juste titre, madame la présidente, que les hommes savent animer un réseau, ce que ne savent pas nécessairement faire les femmes. Cela étant, je pense que nous pouvons aller plus loin : les femmes qui réussissent ou qui veulent réussir ne devraient pas être obligées de reproduire le modèle dominant, en mettant en oeuvre les mêmes pratiques en matière de management, d'organisation ou de pilotage. Il ne faudrait pas qu'elles abandonnent leur idéal et se disent que, pour réussir, elles doivent s'organiser et fonctionner de la manière prévue par ce modèle ou, à défaut, se mettre en retrait. Nous pourrions accompagner celles et ceux qui ont envie de travailler sur ces questions, tant dans les administrations publiques que dans les entreprises privées, et promouvoir un autre modèle d'organisation et de management, de nouvelles pratiques en matière de ressources humaines, qui ne reposent pas uniquement sur la valorisation de l'hyperprésentéisme.
En effet, on n'a pas à reproduire le modèle dominant. De même que le monde politique, la haute administration a été pensée par les hommes et pour les hommes.
Selon moi, on est beaucoup plus performant lorsque chacun trouve sa place avec un rythme qui lui convient. Le secteur privé en a sans doute mieux pris conscience que l'administration. Lorsque les entreprises offrent des services à leurs salariés – ce que l'on appelle des « conciergeries » – ou qu'elles aménagent des horaires un peu plus souples, les salariés travaillent tout aussi bien et sont largement aussi rentables. Certaines rigidités sont inefficaces.
Rappelons que chaque ministère doit désormais établir un rapport de situation comparée, faisant notamment le point sur les évolutions de carrière, les promotions et les salaires des femmes et des hommes. S'ils ne sont pas exemplaires en matière de nomination des femmes dans les emplois dirigeants, ils devront reverser une somme en fonction du nombre d'unités manquantes. Les entreprises privées de plus de cinquante salariés sont également tenues de présenter un rapport de situation comparée et des pénalités financières en cas de non-respect de leurs obligations en matière d'égalité professionnelle.
Les entreprises ont compris qu'elles avaient intérêt à travailler non seulement sur la motivation des salariés, mais aussi sur leurs préoccupations au sein de l'organisation, car celles-ci les empêchent de se concentrer sur leur travail. Elles sont conscientes que cela permettra à leur personnel de mieux s'engager, d'être plus disponible et plus efficace, à condition d'intégrer le fait que l'efficacité se mesure non pas en volume horaire de présence, mais plutôt en termes d'optimisation de l'organisation et de prise en compte des préoccupations qui empêchent d'avancer. Il faut continuer à travailler sur cette question importante.
La « loi travail » a prévu un droit à la déconnexion pour les salariés, qui entrera en vigueur en 2017. Il y a actuellement une forme d'abus : on s'attend à ce que les cadres des entreprises ou de l'administration soient toujours connectés et répondent en continu. Les évolutions récentes – internet, le téléphone portable – ont créé de la porosité entre le temps du travail et le temps du repos ou le temps personnel. Il convient de rétablir des ruptures entre ces temps, notamment en adoptant des chartes sur ce point.
La Délégation adopte le rapport d'information.
Ces deux rapports d'information seront ainsi publiés, et envoyés aux ministres compétents ainsi qu'aux personnes qui ont participé à nos travaux. Je rappelle que nous avons également publié à la fin du mois de juin le rapport annuel d'activité de la Délégation.
La séance est levée à dix-sept heures dix.