Intervention de Marc Pichard

Réunion du 21 juin 2016 à 17h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marc Pichard, responsable scientifique du programme de recherches et d'études sur le genre et les inégalités dans les normes en Europe, REGINE, professeur de droit privé à l'université Paris Ouest Nanterre :

En droit de la famille, la distinction de la maternité et de la paternité ne constitue pas la summa divisio en matière d'établissement non contentieux de la filiation : le code civil liste ainsi les différents modes d'établissement, tels que la reconnaissance et la possession d'état, ainsi que les effets de la loi, sans opérer formellement de distinction entre les hommes et les femmes. Cependant, si l'on s'intéresse à la mécanique à l'oeuvre, on constate qu'en réalité, l'établissement de la maternité ne se fait que par la mention du nom de la femme dans l'acte de naissance – élément sur lequel la femme n'a guère de prise, sauf à choisir l'accouchement sous X, qui n'est toutefois plus protégé, depuis 2009, d'une action en recherche de maternité.

Quant aux hommes, plusieurs modes d'établissement de la filiation coexistent : la présomption automatique de paternité dans le cas d'un couple marié, la reconnaissance volontaire et la possession d'état, c'est-à-dire le fait de se comporter comme le père. La reconnaissance est aujourd'hui majoritaire, car la plupart des enfants naissent hors mariage. Jusqu'en 2005, cette distinction était identique pour les hommes et pour les femmes : les femmes non mariées devaient reconnaître leur enfant. Sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui condamnait la différence de traitement entre les femmes selon qu'elles étaient mariées ou pas, leur statut a été unifié : désormais l'accouchement suffit pour établir la maternité au sein d'un couple marié et hors mariage, mais on a ainsi disjoint le sort des femmes et celui des hommes, et cette distinction est relativement récente.

Dans les deux cas, la filiation est fondée en droit français sur des éléments biologiques, qui ne sont toutefois pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes : l'accouchement pour les femmes et les gamètes pour les hommes. Or les femmes donnent aussi leurs gamètes ; l'apport génétique des femmes dans la naissance des enfants est ainsi totalement invisibilisé dans le code civil. Ce choix a été fait alors que l'on appréhendait parfaitement la distinction entre la dimension gestation et la dimension génétique. Cela pose bien sûr la question de la gestation pour autrui ; qui va être reconnue comme la mère en cas de dissociation de ces deux fonctions ? Ici, le droit a fait clairement le choix de dire que la mère est celle qui accouche, alors qu'il y avait une autre possibilité, sans porter de jugement de valeur. Cela illustre un questionnement qui a souvent guidé nos travaux : le droit, le producteur de normes a-t-il fait un choix ? Et pour y répondre, il faut déterminer s'il existait une alternative.

Le deuxième exemple que je souhaiterais évoquer concerne l'hypothèse de textes apparaissant comme totalement neutres, par exemple pour l'attribution de la prestation compensatoire en cas de divorce. Parmi les critères que le juge est invité à prendre en compte, il y a le temps consacré à l'éducation des enfants par l'un des époux, avec des conséquences sur la vie professionnelle et la pension de retraite. Ces critères sont neutres en apparence mais il faut considérer les pratiques sociales et, de fait, les créancières de la prestation compensatoire sont toujours les femmes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faudrait les supprimer, mais cela montre qu'il n'existe pas une totale neutralité des dispositions juridiques concernant ce type de dispositifs.

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