Intervention de Philippe Richert

Réunion du 21 septembre 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Richert, président de l'Association des régions de France, ARF :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux d'avoir l'occasion de venir vous rendre compte des positions et réflexions de l'Association des régions de France.

Chacun sait la transformation profonde que connaissent aujourd'hui les régions. D'une part, les fusions de régions ont entraîné d'importantes modifications des périmètres géographiques – ainsi l'actuelle région du Grand Est, par exemple, a-t-elle été créée par fusion des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne. D'autre part, le périmètre des compétences connaît lui aussi des évolutions notables, d'abord par le transfert des départements vers les régions de la compétence en matière de transports scolaires et interurbains, qui est une compétence importante, car elle implique de veiller à maintenir une grande proximité avec le terrain – dès qu'un bus scolaire a dix minutes de retard, les parents concernés ne manquent pas de demander des explications par téléphone ; dans ce domaine, la région ne peut plus se contenter d'être stratégique, mais elle doit également être très impliquée sur le territoire.

Les régions ont, par ailleurs, hérité d'une autre compétence, non par transfert, mais par augmentation de leurs responsabilités, en l'occurrence la compétence en matière économique. Au travers de la suppression de la clause de compétence générale, les départements ont perdu la compétence économique, attribuée aux régions. Mais comme il ne s'agit pas d'un transfert prévu par la loi, il n'y a pas non plus de transfert légal des moyens financiers dont disposaient les départements : ceux-ci perdent la compétence en matière économique sans pour autant se départir des moyens correspondants.

Enfin, comme les autres niveaux de collectivités, les régions subissent, chaque année, une réduction du reversement effectué par l'État à leur profit. Cette réduction s'est élevée à 450 millions d'euros par an, soit 1,35 milliard d'euros sur trois ans, et rien ne dit qu'elle est terminée.

Comme l'a dit M. le président, les régions sont les collectivités territoriales qui disposent de la marge de manoeuvre financière et fiscale la plus réduite : celle-ci se limite aux ressources tirées de la carte grise et, du fait de la fusion des régions qui s'opère actuellement, il est difficile de prévoir des dispositions particulières dans ce domaine.

Quelques chiffres illustreront l'évolution de la situation financière des régions. Le taux d'épargne brute était de 25 % en 2010, et de 20 % en 2015 ; l'encours de la dette s'élevait à 16 milliards d'euros en 2010, et à 24 milliards d'euros en 2015 ; la capacité de désendettement était de 3,1 années en 2010, et de 5,2 années en 2015.

Certains autres niveaux de collectivités touchés par des réductions des reversements de l'État ont pu réagir en mettant en place une compensation. Ainsi, le bloc communal a connu une augmentation de l'épargne brute de 8 % en 2015 tandis que les départements subissaient une baisse de 2,9 % et les régions de 7,8 % : cela montre bien que les régions sont le niveau de collectivité se trouvant dans la situation la plus délicate.

Je souligne au passage que, si plusieurs communes fusionnant pour créer une commune nouvelle sont exonérées de la baisse de DGF, les régions, elles, ne bénéficient pas de cette exonération. De plus, pour ce qui est du personnel, elles doivent faire application des règles de la fonction publique territoriale, en vertu desquelles il est extrêmement difficile de prévoir de réaliser des économies. Par exemple, dans le cadre de la fusion ayant abouti à la région Grand Est, appliquer en Alsace les mêmes primes que celles mises en place en Lorraine se traduirait par un coût supplémentaire de 20 millions d'euros par an. En termes d'encadrement, appliquer en Alsace les mêmes taux qu'en Lorraine – je pense par exemple aux personnels techniques, ouvriers et de service (TOS) – coûterait 30 millions d'euros supplémentaires par an : comme vous le voyez, un simple ajustement au sein de la nouvelle région se traduit par un coût total de 50 millions d'euros par an. En l'état actuel, la région Grand Est n'a pas d'autre choix que de subir la réduction de reversements de 35 millions d'euros décidée à Paris, sans remise ni compensation.

Pour ce qui est du transfert de la compétence en matière de transports scolaires et interurbains, la méthode choisie a consisté à opérer une compensation au moyen de la CVAE. Jusqu'à présent, les départements touchaient 50 % de CVAE, tandis que le bloc communal et les régions percevaient 25 % chacun ; dorénavant, les départements et le bloc communal toucheront 25 % chacun, et les régions 50 %. À l'échelon national, ce déplacement de 25 % de CVAE au profit des régions correspond effectivement à la charge de la compétence transférée. Cela dit, il s'agit d'une moyenne nationale qui ne correspond jamais à la réalité quand on examine la situation de chaque région. Il est donc prévu que les départements qui dépensaient plus que l'équivalent de 25 % de CVAE versent un complément à la région, tandis que ceux qui dépensaient moins percevront une compensation de la part de la région, l'objectif étant de parvenir à une équivalence à l'euro près, après vérification des comptes par la chambre régionale des comptes.

Je reviens à la grande question du développement économique qui, je le répète, ne correspond pas à un véritable transfert, mais à l'extinction de cette compétence au niveau du département, et à la montée en gamme concomitante au niveau de la région, qui se voit attribuer cette compétence. Cette évolution n'étant pas considérée comme un transfert, les départements conservent l'intégralité des moyens qu'ils consacraient préalablement au développement économique. Il a été procédé à une évaluation, d'où il ressort que les départements consacraient environ 1,6 milliard d'euros par an au développement économique. L'État n'a pas souhaité que cette somme soit transférée aux régions, notamment du fait de la situation très difficile dans laquelle se trouvent actuellement les départements en raison de l'envolée des dépenses sociales. Si une compensation devait être opérée, l'État devrait aux départements plus de 3 milliards d'euros ; le fait de leur avoir retiré une compétence en leur laissant les moyens correspondants permet à l'État d'affirmer, dans le cadre de la négociation avec les départements, qu'ils ont bénéficié d'une amélioration de leur situation.

Les régions, elles, ont récupéré une compétence sans se voir attribuer les moyens correspondants, ce qui, à terme, risque évidemment de poser problème pour la poursuite des actions préalablement engagées par les départements – je pense aux petites entreprises, notamment à l'artisanat. Il convient cependant de préciser deux choses : d'une part, les départements ne consacraient pas l'intégralité du montant global de 1,6 milliard d'euros à l'action destinée aux entreprises ; d'autre part, les départements vont en fait conserver une partie de leurs compétences en matière économique, notamment dans le domaine du tourisme. Compte tenu de ces deux points, la somme que les régions auraient dû récupérer s'élevait en réalité à 1 milliard d'euros environ. À l'issue d'une négociation avec l'État, cette somme a été ramenée à 600 millions d'euros. Il reste à déterminer selon quelles modalités les régions vont pouvoir récupérer cette somme ; nous devons rencontrer le Premier ministre cet après-midi afin d'évoquer la question. Si les régions ne récupéraient pas ces 600 millions d'euros, il est certain que cette perte se traduirait, sur le plan économique, par une baisse directe de l'accompagnement des entreprises – ce que nous avons évidemment tout intérêt à éviter.

Les deux principales problématiques des régions sont donc, d'une part, le montant total de leurs ressources, d'autre part, la remise en cause de leur modèle de financement en vue d'aboutir à un nouveau système qui leur permettrait de disposer de la marge de manoeuvre financière qui leur fait actuellement défaut. Sur ce dernier point, l'une des premières pistes consisterait à passer de dotations fixes vers des reversements pouvant présenter un caractère évolutif : on pourrait ainsi envisager d'adosser le financement des régions à une part de TVA, comme cela a été fait pour les Länder allemands ainsi que pour les régions italiennes.

Pour ce qui est des ressources qui nous permettraient d'accompagner le développement économique de nos territoires, plusieurs idées ont été avancées. Premièrement, on pourrait prendre une part de TICPE : si, sur les 3,5 centimes représentant l'augmentation de la TICPE récemment décidée par le Gouvernement, un centime avait été attribué aux régions, cela aurait représenté une somme de 500 millions d'euros par an. Deuxièmement, on pourrait reverser aux régions une partie de la taxe carbone, pour une centaine de millions d'euros.

Les régions s'interrogent sur leur avenir. Après la création, dans le cadre de la loi NOTRe, de régions plus vastes et plus puissantes, disposant d'un véritable pouvoir, il reste à déterminer comment elles vont pouvoir se structurer et s'organiser pour que puisse être envisagée, dans les années qui viennent, une réorganisation politique et administrative de notre pays. Ces changements structurels sont, à mon sens, essentiels si l'on veut faire en sorte que les nouvelles régions ne soient pas simplement de grands territoires, mais des entités disposant d'une réelle puissance.

Actuellement, les régions consacrent au total 600 millions d'euros par an à l'aide aux entreprises pour l'innovation, une somme qui paraît bien faible en comparaison des 10 milliards d'euros que les Länder allemands dépensent pour le même objet : dans ces conditions, il est difficile pour nos entreprises de rivaliser avec leurs concurrentes d'outre-Rhin en termes de compétitivité ! En matière d'usine du futur – le concept d'industrie 4.0 –, notre pays a pour objectif de consacrer 3 % à l'innovation, mais nous en sommes encore loin : ainsi, avant sa fusion au sein du Grand Est, la région Alsace consacrait 1,7 % de son PIB à cette action, et ce taux est tombé à 1,4 % pour la nouvelle région, alors que le Bade-Wurtemberg reverse actuellement 5,1 % de son PIB à l'innovation – ce qui représente une somme considérable en volume, compte tenu du niveau de PIB de ce Land qui, situé juste de l'autre côté de la frontière, est notre concurrent direct. J'insiste donc sur la nécessité que nous nous donnions les moyens d'être plus réactifs, afin de doter nos entreprises de la capacité de sa battre à armes égales avec leurs concurrentes.

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