S'agissant des transports scolaires et interurbains, vous n'imaginez pas les différences de situation d'un territoire à l'autre. Certains départements n'avaient pas organisé de transport interurbain, d'autres avaient mis en place la gratuité pour les transports scolaires. Quel que soit le modèle choisi, et à moins de prévoir que le département reverse à la région le montant qu'il consacrait à cette compétence, des ajustements seront nécessaires.
Le choix fait par le Parlement – auquel je suis étranger puisque, vous le savez, j'ai démissionné du Parlement pour me consacrer à la présidence du conseil régional – d'affecter 25 % de CVAE supplémentaires aux régions – ce qui correspond bien à la totalité des dépenses qui seraient à reverser – est plutôt pertinent. Puisque la compétence économique relève désormais de la région, il est logique que la CVAE, qui est indexée sur le développement économique, lui revienne. En revanche, c'est compliqué. Il faut faire le décompte des dépenses département par département.
Les choses se compliquent encore lorsque des départements mettent en place le transport scolaire payant dans l'intention de récupérer la TVA, alors que, trois mois plus tard, ils abandonneront cette compétence aux régions. Trois départements de ma région ont fait ce choix afin de soutenir les finances de la collectivité. On a le droit de douter de l'efficacité de cette mesure, mais c'est une réalité qui oblige à des contorsions pour savoir quelles dépenses seront prises en compte. La loi prévoit que le calcul porte sur les trois dernières années. Or cette mesure ne s'appliquera que pendant trois mois. J'essaie de trouver des solutions acceptables pour les départements et pour la région, mais certaines situations vont exiger des vérifications de la chambre régionale des comptes pour établir le décompte réel. Au terme de ce processus, c'est soit le département, soit la région qui reversera sur la base du constat de ce qui a été dépensé à l'euro près ou à peu près.
Je reviens sur la compétence économique qu'on a supprimée pour les départements, tout en leur conservant le tourisme. Nous avons évalué à 1,6 milliard d'euros les dépenses des départements en faveur du développement économique. Après vérification par la direction générale des collectivités locales, il apparaît que le montant versé par les départements aux entreprises est bien supérieur aux 600 millions d'euros qui nous sont offerts – et dont certains nous incitent à nous satisfaire – et se situe plutôt entre 800 millions et 1 milliard d'euros. Même si elles bénéficient demain, le cas échéant, de 600 millions d'euros, les régions devront réduire leur contribution au développement économique de quelque 30 %, ce qui n'est pas rien. S'il fallait aller plus loin, cela signifierait que, demain, nous ne pourrions plus assumer l'accompagnement de nombreuses entreprises. L'accompagnement ne se résume pas aux zones d'activités, mais concerne l'innovation et la capacité à exporter, autant de domaines dans lesquels nous sommes aujourd'hui un peu faibles et où la compétitivité de notre pays est en jeu. Si les régions ne sont pas au rendez-vous, la croissance en pâtira. Les régions ne dépensent pas pour le plaisir de dépenser.
J'ai été président de région pendant six ans. Lorsque j'ai pris mes fonctions en 2010, la marge brute s'élevait à 20 % ; en 2016, elle est de 22 %. Malgré les baisses des ressources que nous avons subies, j'ai réussi à faire en sorte de continuer à investir. Entre 2010 et 2016, le personnel hors TOS a diminué de 3 à 4 %. Cela ne se décrète pas du jour au lendemain. Nous devons être au rendez-vous des économies. Mais le niveau exigé est tel que c'est très complexe ; l'investissement va inévitablement en pâtir. Les régions investissent d'abord pour leur compte propre – dans les lycées –, mais elles investissent aussi dans l'accompagnement de projets, notamment dans le contrat de plan État-région : 60 % des 80 millions d'euros d'investissements dans l'université de Reims sont payés par la région, alors que l'université n'est pas la compétence première de la région. Au nom de la continuité républicaine, j'honore la signature du président qui m'a précédé, mais si, demain, nous n'avons pas les moyens de continuer à investir, nous assisterons à une rupture territoriale.
Les transports ferroviaires sont un autre grand sujet. En tant que président de région, je dépense plus pour les cheminots que pour mes propres services : 430 millions d'euros dans le cadre du partenariat avec la SNCF, qui financent essentiellement le personnel, y compris la réforme des retraites, contre 300 millions pour le personnel de la région. Lorsque le ministre des transports décide que le président de la SNCF doit arrêter de négocier et conserver l'ancien système, ce sont les régions qui règlent l'addition sans avoir eu voix au chapitre. Le Gouvernement décide et les régions paient, sans avoir leur mot à dire, la contribution pour le personnel roulant, le statut et la retraite. 25 % des recettes sont payées par les usagers, 75 % par la contribution de la région. Cela signifie que le déficit sur les lignes est de 75 %. Ce chiffre est très variable d'une région à l'autre. En Alsace, 36 % des recettes provenaient des billets, 64 % de la fiscalité que l'État reverse aux régions ; en Lorraine, la proportion est de 25 % et 75 %, en Champagne-Ardenne, de 13 % contre 87 %. Nous allons essayer de redynamiser cela, mais le coût est phénoménal.
Autre « bonne nouvelle » : maintenant que nous avons acheté les nouveaux trains, la SNCF annonce qu'elle n'entretiendra plus les lignes classées de six à neuf en tonnage fréquenté. Autrement dit, la recharge en ballast ne sera plus effectuée. Cela représente 800 kilomètres dans ma région : sachant que la recharge de ballast coûte 400 000 à 500 000 euros le kilomètre, la région devra donc trouver 400 à 500 millions d'euros. Sans le début du commencement de ressources supplémentaires, je ne vais plus pouvoir continuer à accompagner la SNCF et l'État pour ce qui relève théoriquement de leur compétence.
Arrêtons de croire que les régions sont un tiroir-caisse. J'ai réussi à tenir les deux bouts pendant six ans. Mais la dotation de l'État baisse de 35 millions d'euros par an. Si j'applique la loi qui prévoit les conditions de l'harmonisation pour le personnel – je suis obligé de m'en tenir à la loi, ce n'est pas moi qui décide –, vous comprenez que la dépense est excessivement difficile à assumer. Nous essayons de gérer au mieux en termes de personnel, et je ne vais pas crier sur les toits que nous ne remplacerons qu'un employé sur deux. Mais, croyez-le, c'est exactement ce que nous faisons. Depuis le début de l'année, soixante à soixante-dix personnes ont quitté les services en raison de sureffectifs dans certains territoires. Nous allons agir pour résorber les inégalités et instaurer une équité territoriale entre les différentes parties de la région, mais la tâche n'est pas facile. Un attaché reçoit en primes 400 euros de plus en Lorraine qu'en Alsace : cela pose problème. Ces chiffres sont sur la place publique grâce au travail de la chambre régionale des comptes. Les personnels ne sont pas en cause, les difficultés sont le fruit d'une gestion qui s'est enkystée. Nous avons besoin de remettre tout cela à plat.
Il n'en reste pas moins qu'il nous faut au moins 50 millions d'euros supplémentaires pour intervenir dans le domaine économique en lieu et place des départements. Or je ne les ai pas. Si on les ajoute au 1,35 milliard que j'ai déjà évoqué, les régions ne peuvent plus suivre, ce qui risque d'accroître le delta avec les autres pays. Dans les discussions avec l'État, parce que nous comprenons la nécessité de réduire les dépenses, nous n'avons pas demandé 1,6 milliard, mais nous avons accepté 600 millions. La question est maintenant de savoir comment les payer. Ce ne sont pas les régions qui déterminent les taxes qui devaient être mises en place. Nous souhaitons qu'une partie des ressources qui existent nous soit reversée. La loi prévoit que le transfert de compétence doit s'accompagner d'un transfert de moyens : nous avons reçu la compétence, mais nous attendons les moyens. Nous avons suggéré qu'une partie de la taxe carbone nous soit reversée mais M. Eckert m'a répondu qu'elle était déjà affectée. Ensuite, nous avons évoqué la possibilité de prendre une part de TICPE mais l'augmentation qui nous a été refusée a été décidée deux mois plus tard au seul bénéfice des caisses de l'État. Les 3,5 centimes de hausse pour le diesel et les 2,5 centimes pour l'essence rapportent à l'État 1,8 milliard d'euros supplémentaires par an. Il me semble que cette taxe liée aux transports pourrait légitimement revenir en partie aux régions au profit du développement économique. Voilà où nous en sommes. Je rencontre cet après-midi le Premier ministre ; celui-ci est conscient de la difficulté, le Président de la République également. Il ne m'appartient pas d'inventer une nouvelle taxe pour résoudre le problème, mais il incombe au Gouvernement de trouver une solution.
Quant aux conférences territoriales de l'action publique (CTAP), elles fonctionnent plutôt bien. Dans ma région, cette conférence réunit 200 personnes. Comment voulez-vous être efficace avec 200 personnes autour de la table ? Dans la réalité, on travaille en amont, en bilatéral, avec les départements d'un côté, les agglomérations de l'autre, les intercommunalités, les grandes villes, etc. Lorsqu'on s'est mis d'accord, on organise une grande cérémonie qu'on appelle une CTAP pour entériner ce qui a été décidé. Cette solution n'est pas idéale.
Peut-on faire des économies ? Il est toujours difficile de transposer, mais, dans ma région, j'essaie. En matière de personnel par exemple, si je prenais le même taux d'encadrement en personnels techniques, ouvriers et de service (TOS) en Lorraine et en Alsace, il faudrait recruter 1 000 TOS supplémentaires. Mais la Lorraine et l'Alsace sont très différentes. C'est un travail sur la durée : tous ces personnels sont des fonctionnaires, et je ne peux donc pas décider du jour au lendemain de réduire leur nombre. Si le cuisinier d'un lycée part à la retraite, je suis bien obligé de le remplacer. Dans un établissement qui compte 750 élèves, si l'un des 33 TOS part, il n'est pas automatiquement remplacé. Il faut regarder dans le détail comment faire pour être plus efficace.
Les régions doivent investir, car elles jouent un rôle structurant sur le territoire au travers du très haut débit, du ferroviaire ou des grandes infrastructures par le biais du contrat de plan. Elles ne peuvent pas se contenter de dépenses localisées, mais elles doivent définir une stratégie. Si les investissements ne sont pas organisés, certains territoires vont prendre de plus en plus de retard.
La réforme territoriale que vous qualifiez de ratée, monsieur Chrétien, aurait pu être préparée un peu mieux. Je l'ai dit et je continue à le dire, cette réforme a été menée de manière « abracadabrantesque ». Mais, je le reconnais aussi, le résultat n'est pas aussi catastrophique que ce que les débats laissaient craindre. Il faut regarder comment les choses vont s'organiser dans le futur. Je ne dis pas qu'il faut supprimer les départements. Je ne pense pas que le problème soit là. Il tient plutôt aux compétences que les départements conservent. Certains s'arc-boutent pour conserver les agences de développement économique ou le transport scolaire et interurbain. Pourtant, il est logique que les transports relèvent de la même entité, tant la coordination entre les différents modes est nécessaire.
Il faut mener à leur terme les simplifications. Le rôle social des départements est primordial. Il faut également être conscient que les nouvelles agglomérations n'ont plus rien à voir avec les anciennes. Je prends souvent l'exemple de Reims : l'agglomération va réunir 140 communes, dont 100 comptent moins de 1 000 habitants. Elle devient un grand ensemble rural, avec en son centre, la ville de Reims, dans lequel la compétence urbaine sera exercée par la ville, y compris dans les territoires ruraux. Ce n'est plus une agglomération de villes. Cela aura pour conséquence des relations nouvelles avec les départements. C'est l'occasion de redéfinir dans les années à venir les relations entre les différents niveaux, à condition que les compétences soient effectivement transférées et accompagnées de moyens.
S'agissant de la lisibilité des aides économiques, l'élaboration du schéma régional de développement économique ne se résume pas à des conseillers régionaux enfermés dans un hémicycle. Elle est l'occasion d'aller sur le terrain et de consulter mille entreprises afin de déterminer comment utiliser efficacement l'argent public pour accompagner l'entreprise. Il est possible d'imaginer de nouvelles ressources, en faisant une plus grande place aux interventions dans les fonds propres, et moins aux subventions. J'ai mis cette politique en place en Alsace : je disposais de 100 millions d'euros pour apporter des fonds propres à une entreprise quand elle en avait besoin ; quand elle allait mieux, elle me les rendait. On ne parle pas seulement d'avance remboursable, mais d'un partenariat avec l'entreprise pour augmenter ses fonds propres, ce qui permet ensuite de faciliter l'implication des banques.
Monsieur Fauré, les autocars « Macron » sont, pour certains, en train d'affaiblir la rentabilité des trains, puisque le trafic se reporte du rail sur la route. Je l'ai expliqué à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), qui n'a rien trouvé à redire. Il faut repenser cette question.
Madame Sas, le financement des contrats de plan est très compliqué, mais nous faisons le nécessaire. Quant à l'idée de récupérer une part de l'augmentation de la TICPE sur le diesel, j'essaie de la défendre.
Monsieur Gagnaire, les dépenses de fonctionnement ne concernent pas seulement le personnel. Dans ma région, sur 2,9 milliards d'euros, les dépenses de personnel représentent 300 millions : pour l'essentiel, ce sont les TOS dans les lycées, le personnel du siège représente une faible part des dépenses. Il faut néanmoins faire des efforts.
Le couple région-intercommunalité est indispensable pour l'avenir.
Monsieur Alauzet, l'harmonisation ne peut pas toujours se faire par le haut, j'en conviens. Dans le projet de budget pour 2017 de ma région, les dépenses de personnel seront inférieures de 1 million aux dépenses précédentes. Je peux vous garantir que ce n'est qu'un début. Les dépenses de communication, d'une année à l'autre, diminuent de 6 millions d'euros, car le passage de trois régions à une permet de faire des économies.
Monsieur de Courson, nous allons dans un premier temps nous inscrire dans la continuité des choix des départements ; dans un ou deux ans, nous verrons quelles évolutions envisager. Sachez que le transfert du transport interurbain doit intervenir le 1er janvier, tandis que celui du transport scolaire doit avoir lieu au mois de septembre. Ce n'est pas tenable. Il faut faire coïncider les transferts et fixer la date au 1er janvier pour tout le monde, car, très souvent, le transport interurbain sert aussi au transport scolaire.
Monsieur Gorges, on essaie tous les jours de donner un peu de sérénité, mais c'est compliqué.