Les entreprises que représente le MEDEF ne sont pas hostiles par principe ou par idéologie au prélèvement à la source. Toutefois, les conditions dans lesquelles cette réforme est engagée nous paraissent extrêmement inquiétantes et dangereuses.
D'abord, je souligne l'absence de concertation avec les entreprises. La première réunion technique avec la DGFiP aura lieu demain, à notre demande répétée.
Ensuite, il est inenvisageable pour nous de mettre en oeuvre cette réforme sans avoir auparavant simplifié l'impôt sur le revenu. Lorsque j'étais salarié en Angleterre, j'étais prélevé à la source, mais l'impôt se résumait à trois tranches, deux niches fiscales et n'était pas « familialisé ». Ce schéma est à l'opposé de l'impôt français. L'argument selon lequel tous les autres pays pratiquent le prélèvement à la source est à mon avis, pour cette raison, assez biaisé.
Enfin, il a fallu sept ans pour mettre en place la déclaration sociale nominative (DSN) – la dernière tranche devrait être achevée pour l'été 2017. La réforme du prélèvement à la source est conduite à marche forcée pour pouvoir être appliquée le 1er janvier 2018.
Un certain nombre de points nous inquiètent : en premier lieu, les coûts, qui ne sont pas complètement négligeables, contrairement à ce qu'on nous dit. Ce sont à la fois des coûts informatiques – pour la modification des logiciels de paie –, qui représentent un coût d'entrée que nous avons du mal à estimer – nous sommes curieux de voir l'étude d'impact réalisée par la DGFiP qui nous sera présentée demain –, mais aussi des coûts cachés : du temps, des équipes. Les grandes entreprises vont pouvoir organiser le prélèvement à la source – la responsable fiscale du groupe L'Oréal m'a indiqué qu'elle avait déjà prévu de mettre en place une équipe spéciale pour répondre aux salariés, équipe qui sera autonome afin de préserver le secret fiscal.
Une telle organisation est possible dans un grand groupe. Dans une entreprise de plus petite taille, c'est soit le président-directeur général, soit la direction des ressources humaines qui se trouvera face aux salariés. Le 31 janvier 2018, les salaires nets vont baisser en moyenne de 200 euros. Le calcul est simple : le salaire médian s'élève à 2 200 euros, le taux d'imposition moyen s'établit à 10 %, le montant prélevé sera donc de 200 euros. Malgré toutes les campagnes de communication de la DGFiP, il est certain que les salariés se tourneront vers leurs employeurs. Nous en avons un exemple récent : lors de la fiscalisation des heures supplémentaires ou de la participation employeur aux complémentaires santé, les salariés sont venus nous voir. La direction générale devra consacrer du temps à la mise en oeuvre de cette réforme et à son explication.
Autre sujet de préoccupation, le secret fiscal. Nos salariés vont être soumis au secret fiscal. Certes, la violation du secret fiscal doit être intentionnelle, mais la preuve en est difficile à administrer, et elle donne lieu à des sanctions pénales ainsi qu'à des amendes très significatives. Monsieur X peut vouloir se venger de madame Y en divulguant son taux de prélèvement. Tel est le type de problème auquel nous allons être confrontés : on ne peut pas laisser à l'entreprise la responsabilité de le résoudre.
La clause de non-discrimination fiscale, qui a été ajoutée par le Conseil d'État, nous paraît excessivement dangereuse. Là aussi, le fait que l'entreprise détienne une information sur les revenus d'un foyer fiscal pose un énorme problème. Je le disais en introduction : la « familialisation » de l'impôt en France rend cette réforme très complexe. On nous dit qu'on peut dissocier les taux d'imposition, mais ce choix sera minoritaire.
Il nous semble qu'il existe une autre manière de rendre l'impôt contemporain du revenu, puisque tel semble être l'objectif à la lecture de l'exposé des motifs, et de permettre au contribuable de mieux gérer sa trésorerie. C'est, sans passer par les entreprises, de rendre le prélèvement mensuel contemporain. On atteint le même but d'un point de vue psychologique et de gestion de la trésorerie pour les contribuables mais sans faire appel aux entreprises.
Deux derniers points : en Suisse, les entreprises sont rémunérées pour effectuer le prélèvement à la source, ce qui atteste de la réalité de la charge imposée aux entreprises. Il me semble que les entreprises perçoivent 2 % du prélèvement au titre des frais de gestion.
L'absence de prise en compte des crédits et réductions d'impôt constitue pour nous – et sans doute aussi pour le contribuable – un autre sujet d'inquiétude, car elle risque de se traduire par une majoration du taux de prélèvement, qui aura des effets non plus neutres sur la trésorerie, mais négatifs.