Intervention de Marie Le Vern

Séance en hémicycle du 27 septembre 2016 à 15h00
Sécurité de l'usage des drones civils — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Le Vern, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, nous examinons, en cette première séance de la dernière session extraordinaire de notre législature, un texte relatif au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. Si le sujet peut paraître un peu exotique ou divertissant aux yeux de certains, il est en réalité plein d’enjeux fondamentaux, qui touchent à notre sécurité, mais aussi à notre avenir commun.

Les drones se sont développés, à l’origine, dans un but militaire. Ils ont commencé à faire l’objet d’usages civils à partir de la fin des années 1980 et, depuis les années 2000, ils sont devenus des objets de loisir de grande consommation. Oui, les drones sont entrés dans notre quotidien. Ils font partie de la famille des objets connectés qui pénètrent nos foyers et modifient nos habitudes de vie. Chaque utilisateur peut y trouver un usage innovant, que ce soit à des fins professionnelles, dans l’agriculture et le secteur du bâtiment et des travaux publics par exemple, dans l’assistance aux personnes en danger et pour faire face aux situations d’urgence – en mer, en altitude ou lors d’incendies – ou tout simplement dans un but récréatif.

En 2015, ce sont environ 300 000 drones qui ont été vendus en France. Le secteur représente 5 000 emplois dans le pays, majoritairement des emplois d’ingénierie et de développement, mais aussi de commerce. C’est une filière innovante, constituée majoritairement de start-up – principalement des opérateurs –, mais qui compte aussi un poids lourd français, numéro 2 de la construction sur le marché mondial. Si la miniaturisation croissante des composants dynamise toujours davantage ce secteur en permettant de créer des drones de plus en plus légers et de plus en plus abordables, les risques pour la sécurité se développent aussi.

Aux risques pour la sécurité aérienne, qui sont les plus immédiats et les plus fréquents, s’ajoutent des risques pour la sûreté nationale et, disons-le clairement, des risques liés à la menace terroriste. L’origine même de ce texte est à rechercher dans la série de survols de sites sensibles qui ont eu lieu en 2014 et 2015. Ces épisodes ont ému l’opinion, et le contexte de menace que nous connaissons justifie que des mesures nouvelles soient prises.

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale a remis à la fin de l’année 2015 un rapport qui complète cette cartographie des risques liés aux drones. Y sont définis : le risque de l’accidentologie et de la collision ; celui de la captation indue d’informations sur la vie privée d’individus ou sur des sites d’intérêts stratégiques et sensibles ; celui de l’utilisation du drone comme arme par destination, par impact direct ou pour transporter des charges létales explosives, radiologiques, bactériologiques ou chimiques – ce qui est déjà le cas sur certains théâtres de guerre dans le monde ; le risque, enfin, de la décrédibilisation de l’action de l’État ou de certains opérateurs lorsque les drones survolent des sites sensibles.

Les sénateurs Xavier Pintat, Jacques Gautier et Alain Fouché ont travaillé, à partir de ce rapport, à une proposition de loi qui a été adoptée par le Sénat au mois de mai. Cette proposition de loi repose sur quatre piliers : l’obligation d’informer les acheteurs de drones, au moyen d’une notice relative aux règles applicables à leur utilisation, présente dans les emballages ; une obligation de formation pour les télépilotes de drones susceptibles de représenter un risque réel ; l’installation de dispositifs de sécurité permettant, d’une part, la discrimination entre les drones coopératifs et les drones malveillants – c’est tout l’enjeu du signalement lumineux et électronique ou numérique – et, d’autre part, la limitation des capacités de l’appareil, non pour le brider, mais pour s’assurer qu’il évolue dans des conditions conformes à la réglementation aérienne à laquelle il reste évidemment soumis.

Le quatrième pilier, enfin, est celui de la mise en oeuvre d’un système d’enregistrement, qui servira de support à la formation et au signalement des aéronefs. Ce système, qui permettra par exemple de signaler aux télépilotes enregistrés que leur drone survole une zone interdite, de manière à ce qu’ils modifient sa trajectoire, sera mis en oeuvre à partir de 2018.

Cet ensemble de mesures représentera une contrainte très légère pour les utilisateurs, mais une aide précieuse pour les autorités chargées de la sûreté et de la sécurité, qui devront néanmoins développer et perfectionner des moyens capacitaires adaptés pour répondre aux menaces venues des drones, dont la neutralisation est encore mal maîtrisée.

Cette proposition de loi a aussi une dimension pédagogique, puisqu’elle entend rappeler à tous les utilisateurs de drones, et notamment à ceux qui en font un loisir et ne pratiquent pas régulièrement l’aéromodélisme que le drone n’est pas un jouet comme les autres. L’application de la loi sera en effet garantie par la mise en place de sanctions à l’article 5, lequel introduit une gradation entre l’acte de négligence et l’acte volontaire et malveillant. Il permettra, le cas échéant, la confiscation du drone incriminé.

Malgré ses qualités, il m’a semblé que cette proposition de loi souffrait d’un défaut majeur, en ce qu’elle était une loi « normande » – même si cela n’est pas un défaut en soi, madame la présidente ! J’entends par là qu’elle ne tranchait pas réellement, puisque les éléments les plus structurants, notamment la question des seuils de masse, étaient renvoyés au pouvoir réglementaire. Il faut certes faire preuve d’une certaine souplesse, compte tenu des évolutions rapides de ces technologies, mais pas au prix d’un manque de clarté et de lisibilité pour les acteurs.

Ce renvoi systématique au pouvoir réglementaire pose la question du rôle du Parlement. Pour ma part, j’ai considéré que la loi devait tracer un chemin qui permette de visualiser dès aujourd’hui les effets de la proposition de loi. C’est pourquoi j’ai souhaité que le travail en commission pose des principes lisibles : tous les télépilotes doivent être informés des bonnes pratiques et des règles de base par une notice fournie avec le drone, et tous sont responsables de leur appareil, y compris pénalement.

Pour les télépilotes de drones pesant plus de 800 grammes – soit à peu près 10 % du parc – une obligation d’enregistrement en ligne, de formation élémentaire et d’équipement du drone de dispositifs de signalement et de limitation de capacité devra être observée.

Pour les drones de plus de 25 cinq kilos, une obligation d’immatriculation s’applique. Le seuil de 800 grammes pourra être abaissé par décret, si cela est rendu nécessaire par les évolutions technologiques et les progrès de la miniaturisation. Je considère qu’un seuil unique pour toute la loi est un gage de lisibilité. Des exceptions sont aménagées pour respecter certains usages spécifiques : l’expérimentation, les usages professionnels complexes, ou encore l’aéromodélisme. Durant les travaux de la commission, nous avons pu débattre de l’opportunité de fixer dans la loi un seuil évolutif de masse pour le déclenchement des différentes obligations du texte. Le débat est légitime et nous aurons l’occasion de le poursuivre tout à l’heure. Je considère, quant à moi, que cela permet de tracer une ligne claire pour les acteurs concernés.

Nos travaux ont également porté sur l’adaptation du parc de drones en circulation aux nouvelles obligations nées de la proposition de loi. Il est évident qu’un retour en usine généralisé serait parfaitement irréalisable. Je tiens à rassurer l’ensemble de mes collègues : ce n’est pas le scénario que nous envisageons. Là encore, je serai heureuse de répondre à ces interrogations lors du débat sur les amendements. Malgré ces quelques points de discussion, je veux saluer l’esprit constructif dans lequel se sont déroulés les travaux de notre commission, et l’adoption du texte à l’unanimité.

Je terminerai mon propos en vous présentant succinctement les amendements que je souhaite soumettre au débat. Ils visent essentiellement à asseoir le principe des dérogations pour les pratiquants de l’aéromodélisme traditionnel : en reconnaissant notamment leurs formations par équivalence ; en explicitant les mesures dérogatoires à leur avantage lorsqu’ils pratiquent dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet ; en réservant l’obligation d’équipement d’un dispositif de signalement sonore en cas de perte de contrôle uniquement aux aéronefs mis en circulation à partir de juillet 2018 – sans obligation de retrofit, par conséquent. Je proposerai également d’introduire la notion de signalement numérique. La question avait été posée en commission. Elle était pertinente et nous avions choisi de nous laisser le temps de vérifier son applicabilité. Ce sera chose faite.

Encore un mot pour vous dire que ce texte positionne la France parmi les pionniers de la législation sur les drones civils de loisir en Europe. Nous pouvons en être fiers mais surtout en profiter pour avoir un rôle proactif dans l’élaboration de la réglementation que l’Union européenne va prochainement mettre en place. Les questions que nous nous posons aujourd’hui et les réponses que nous apporterons seront écoutées.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, le rôle que vous aurez à remplir en rédigeant les textes d’application réglementaires sera particulièrement important. De nombreux acteurs sont suspendus à ces précisions par décret. Ils ont besoin de signaux bienveillants et de visibilité.

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