Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, il y a quelques années encore, le drone était un outil technologique réservé aux professionnels. Puis, ces « aéronefs circulant sans personne à bord » ont connu un essor fulgurant. Le drone est devenu un cadeau de Noël comme un autre. Cet essor des drones de loisirs, nous devons nous en réjouir car, d’une part, les technologies se démocratisent de plus en plus rapidement et, d’autre part, un constructeur français fait partie des leaders du marché.
Plus largement, la France compte aujourd’hui environ 200 000 drones de loisir, ainsi que 2 300 opérateurs professionnels de services, qui utilisent 4 200 drones. Cette filière occupe la première place en Europe. J’insiste sur cette situation : nous devons à tout prix, dans toute réglementation, faire en sorte de ne pas entraver le développement d’un secteur. Il ne suffit pas de vanter les louanges de la French tech et du made in France, si c’est pour ensuite plomber les industriels français en leur imposant toujours plus de contraintes. Je sais que cela part d’une bonne intention, mais veillons aux conséquences de la loi et des normes réglementaires.
Les possibilités offertes par les drones sont multiples et sources d’innovations. Demain, peut-être, les drones livreront nos articles achetés sur Internet, notre courrier et nos pizzas, dans des lieux difficilement accessibles notamment. Des radars-drones ont même été expérimentés par la gendarmerie. Mais n’oublions jamais que les drones sont des smartphones volants et qu’ils peuvent poser des problèmes de sécurité. Parmi ces nouveaux risques figurent celui de l’accident par collision avec d’autres aéronefs ou de chute du drone, de la captation indue d’informations, de l’utilisation du drone comme une arme ou à d’autres fins délictuelles ou criminelles.
Ce sont notamment les survols de centrales nucléaires qui nous ont conduits à demander un rapport au Gouvernement dans la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, issue d’une proposition de loi défendue par notre collègue Claude de Ganay. Notons que, pour une fois, ce rapport a été remis, et presque dans les temps ! Il a été rédigé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. La quasi-totalité des propositions qui y sont faites se retrouvent dans la proposition de loi initiale, d’origine sénatoriale, que nous examinons aujourd’hui.
Jusqu’à présent, la réglementation passait avant tout par des textes réglementaires. La France était ainsi en avance sur l’encadrement des drones professionnels : deux arrêtés pris en 2012 et revus en décembre 2015 encadraient ce secteur de manière stricte et précise. Pour les drones civils, une loi était certes nécessaire, mais j’appelle votre attention sur ce qui a fait la force des interdictions et obligations dans le domaine professionnel : être en avance, ou du moins pas trop en retard, sur les usages ; s’appuyer sur des textes réglementaires, facilement modifiables, et vecteurs de souplesse, car la technologie évolue bien plus vite que la loi.
Le texte initial avait, je crois, cette force. Comme nous l’avons dit en commission, renvoyer à des décrets donne une latitude et laisse des marges de manoeuvre indispensables qui, en plus de l’adaptation aux évolutions technologiques, doivent aussi permettre de ne pas brider des usages, qui sont déjà encadrés dans le domaine du loisir. Je pense notamment à l’aéromodélisme, auquel le texte pourrait s’appliquer. Pourtant, l’exercice de cette passion a des spécificités qui diffèrent des drones de loisirs classiques – pilotage exclusivement à vue, techniques de pilotage plus poussées, etc. La distinction entre les utilisateurs de drones et les personnes qui pratiquent l’aéromodélisme, qui est une véritable pratique sportive, encadrée par une fédération nationale, sur laquelle ne peuvent pas peser les mêmes contraintes, est nécessaire. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Cette proposition de loi a le mérite d’insérer dans la législation les dispositions juridiques nécessaires au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. Ces dispositions sont souvent de bon sens, comme l’insertion d’une notice standardisée, l’instauration d’une formation en ligne ou l’immatriculation, qui est même déjà en vigueur mais très peu appliquée, et mérite donc d’être remplacée par un enregistrement en ligne. Tout l’enjeu de ce texte est d’offrir un cadre solide, sans pour autant freiner le développement d’un secteur économique particulièrement dynamique en France. J’insiste sur ce point car c’est vraiment indispensable. Le risque est, comme dans la version initiale du projet de loi pour une République numérique, d’oublier que nous légiférons dans un cadre franco-français et que les obligations s’appliqueront avant tout aux constructeurs français. C’est pourquoi il faut que les règles de fabrication des drones fassent l’objet d’une harmonisation, a minima au niveau européen. Un règlement est en cours de préparation et la présidence slovaque a manifesté son intention de faire avancer le dossier rapidement.
J’ai malheureusement l’impression que certaines mesures introduites en commission l’ont été de façon totalement déconnectée de ce que pourrait être la réglementation européenne – je pense notamment aux seuils ou au signalement sonore. La loi n’est pas un tract ou un message envoyé à Bruxelles. Si la France a des positions à défendre, elle doit le faire au niveau européen. Ici, au Parlement français, il n’est pas raisonnable, par exemple, de vouloir imposer des mesures applicables au 1er janvier 2019, si un règlement européen applicable au 1er juillet 2018 en prévoit d’autres, moins strictes, ou tout simplement différentes.
Le rapport du SGDSN insiste fortement sur ce point en indiquant que « le travail mené doit l’être en concertation avec nos partenaires et les instances internationales dont la France est membre ». Cela concerne non seulement la Commission européenne et le Parlement européen, mais aussi l’Organisation de l’aviation civile internationale ou l’Agence européenne de sécurité aérienne. Monsieur le secrétaire d’État, la rédaction de la proposition de loi issue des travaux en commission tient-elle compte de cette préconisation ?
En plus d’émettre une réserve sur l’insuffisante souplesse du texte actuel, qui fixe des seuils dans la loi – ce à quoi je m’oppose –, et sur la prise en compte de l’aéromodélisme, notre groupe s’étonne de la disposition de l’article 4 prévoyant que certaines obligations s’appliquent de façon rétroactive au parc d’aéronefs déjà sur le marché, ce qui impliquerait concrètement de rappeler à l’usine 40 000 drones – environ 20 % du parc existant –, afin que le constructeur puisse les adapter à la nouvelle réglementation. Nous ne sommes pas certains que l’impact de cette mesure sur les utilisateurs et les constructeurs, en termes de coût notamment, ait été suffisamment évalué. Mieux aurait-il valu appliquer cette mesure uniquement aux nouveaux drones.
Notre dernière réserve concerne le besoin d’exempter de certaines obligations réglementaires et administratives les drones dédiés au secours de personnes, notamment en mer et en haute montagne, qui devraient pouvoir disposer d’un statut particulier. C’est l’objet d’un amendement de notre collègue Martial Saddier, cosigné par Virginie Duby-Muller et moi-même. De façon générale, il nous semble nécessaire de ne pas se contenter de poser des règles mais également de sensibiliser tant les usagers que les forces de l’ordre à l’utilisation des drones. La réglementation que nous mettons en place ne peut être envisagée que comme une démarche préventive, dans la mesure où les moyens de détection, d’identification et de neutralisation des drones malveillants sont limités ou encore en phase expérimentale.
Je me permets, enfin, d’appeler votre attention sur un point qui me tient à coeur : le respect de la vie privée. La Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – s’intéresse depuis plusieurs années aux drones. Comme je l’ai dit, ce sont des smartphones volants, avec tout ce que cela implique : la prise de vue dans les lieux privés est rendue beaucoup plus facile. Cet aspect n’est pas présent dans la proposition de loi. Je ne dis pas ce que c’est un tort, mais je voudrais simplement m’assurer que les textes existants – article 226-1 du code pénal et article 9 du code civil – sont suffisants et applicables aux drones.
Pour résumer, le groupe Les Républicains salue le travail constructif du Sénat sur ce texte. Les ajouts faits en commission ne nous paraissent pas tous pertinents et nous font préférer la version du Sénat. Sous réserve des remarques que j’ai énumérées, et de la recherche d’un bon équilibre entre encadrement et développement économique, nous soutiendrons cette proposition de loi.