Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 21 septembre 2016 à 16h00
Commission des affaires économiques

Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales :

Je remercie les députés présents de m'accueillir alors que le Parlement n'a pas encore repris ses travaux : je suis sensible à votre sollicitude.

J'ai intitulé le texte : « Projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne ». Il est extraordinaire d'abord parce que la précédente loi relative à la montagne a été votée il y a plus de trente ans. Dans une autre vie gouvernementale, quand j'étais ministre délégué au tourisme, à l'occasion de la discussion d'un texte touchant largement aux questions relatives à la montagne, les unités touristiques nouvelles (UTN) avaient été longuement examinées. J'en avais bloqué la création pendant cinq ans, me faisant alors « engueuler » par tout le monde. Or le hasard fait que je retrouve aujourd'hui un certain nombre d'acteurs de l'époque qui me remercient de les avoir un peu brusqués car ils reconnaissent que ce projet était vraiment mal parti et qu'ils ont ainsi pu réfléchir et repartir du bon pied.

Ce texte est également extraordinaire dans la mesure où nous l'avons co-construit de manière transpartisane – je vais y revenir –, la main dans la main avec l'ANEM, si bien que nous avons deux rapporteures, l'une du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), l'autre du groupe Les Républicains (LR) : c'est suffisamment exceptionnel pour être souligné. Mais il fallait qu'il en soit ainsi si nous voulions mener ce projet à bien – et à temps – car, outre que cette manière de travailler me convient bien – surtout sur des sujets qui, comme celui-ci, doivent être le plus consensuels possible –, la fin du quinquennat approche avec les conséquences que nous savons sur le travail parlementaire.

L'audition de cet après-midi est la première d'une série de réunions que tiendra votre commission dès la semaine prochaine.

Le texte a été adopté par le conseil des ministres mercredi dernier. Il a donné lieu à un petit débat, du reste positif, notamment avec Mme Myriam El Khomri dont vous savez qu'elle a pris des mesures utiles concernant la pluriactivité. Et même si certains d'entre vous le connaissent déjà bien, je souhaite revenir sur le processus qui a présidé à son élaboration.

Je pourrais remonter à la loi du 9 janvier 1985, dont l'article 1er prévoit que la montagne « constitue une entité géographique économique et sociale dont le relief, le climat, le patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la mise en oeuvre d'une politique spécifique de développement, d'aménagement et de protection ». Il est de coutume de qualifier ce texte de fondateur et il l'est car il définit les zones de montagne, met en place plusieurs instances représentatives comme le Conseil national de la montagne (CNM) ou les comités de massif. Parmi les autres grandes avancées figurent des dispositifs de maîtrise de l'urbanisme ou la création des UTN. Au-delà, ce texte recherche un équilibre entre les enjeux relatifs au développement de ces territoires et l'impératif de protection d'un environnement, certes majestueux, mais fragile.

Or force est cependant de constater que si les grandes orientations de cette loi demeurent d'actualité, le contexte économique, social ou environnemental a évolué, depuis 1985, tout comme le cadre institutionnel. Des progrès technologiques dont on n'aurait jamais rêvé à l'époque ont été accomplis : téléphonie mobile, numérique... En outre, se pose désormais avec beaucoup plus d'acuité la question de la présence des services publics.

Une actualisation du pacte entre l'État et les territoires de montagne était donc indispensable.

Aussi le Conseil national de la montagne, réuni le 25 septembre 2015 à Chamonix Mont-Blanc, sous un soleil merveilleux, a-t-il permis de fixer la feuille de route du Gouvernement. Celle-ci s'inspire largement des propositions du rapport que le Premier ministre avait demandé aux députées Bernadette Laclais et Annie Genevard, et que ces dernières ont remis le 3 septembre 2015. Le CNM a constitué le début non pas de la concertation mais d'une véritable co-construction du projet de loi. Depuis ma prise de fonctions, j'ai poursuivi ce travail et je tiens à souligner la qualité des échanges avec les parlementaires et avec les élus de l'ANEM, mais aussi avec les autres acteurs publics ou privés qui font vivre nos montagnes.

Le présent texte est le fruit de ce travail que j'ai voulu transpartisan et, si je puis dire, transmassif, puisqu'associant particulièrement les élus de tous bords et des différents massifs. Je souhaite que cet esprit de partenariat et de recherche du consensus perdure tout au long des débats, dans le respect, évidemment, des prérogatives des assemblées et de leur droit d'amendement. J'entends donc être à votre écoute pour que nous puissions, le cas échéant, enrichir le projet de loi. J'appelle néanmoins votre attention sur la nécessité impérative d'en maintenir les grands équilibres.

Un mot enfin du calendrier législatif qui, bien que contraint, doit permettre au Parlement d'examiner ce texte avant la fin de l'année 2016, cela pour adopter une mesure très attendue des communes touristiques concernant la compétence « office de tourisme », j'y reviendrai également. Enfin, et pour répondre aux interrogations sur les délais d'entrée en vigueur de ce texte, j'ai demandé à mes services d'entamer la préparation des décrets et circulaires d'application, afin de permettre leur publication rapide.

Je dirai quelques mots concernant les avis du Conseil d'État et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), avis évoqués dans la presse.

Le CESE a regretté que le projet de loi ne reprenne pas certaines propositions du rapport Genevard-Laclais. Je rappelle que nombre d'entre elles, de l'aveu même de leurs auteurs, n'ont pas de dimension législative mais trouvent leur place dans la feuille de route du Gouvernement. En ce qui concerne la gestion de l'eau, les conclusions du rapport confié à M. Joël Giraud – que je salue avec amitié – ont fait l'objet d'un plan d'action mis en oeuvre, pour l'essentiel, par la voie réglementaire. Enfin, l'urgence même de l'élaboration du texte dans un calendrier politique contraint nous a conduits, avec le groupe de travail d'élus de l'ANEM, à délimiter un périmètre législatif réaliste compte tenu de l'objectif fixé.

Pour ce qui est du Conseil d'État, s'il est dans son rôle de « gardien de la lettre du droit » lorsqu'il propose des réorganisations du texte et des simplifications de présentation, je reste dans le mien en entendant respecter les accords équilibrés auxquels nous sommes parvenus à l'occasion de la préparation du projet de loi, cela dans les délais exigeants imposés par le calendrier électoral. Il n'est pas possible, alors que, depuis des mois, nous travaillons ensemble toutes obédiences confondues, si je puis m'exprimer ainsi, que le Conseil d'État décide de modifier largement le texte et sur la forme et sur le fond – il voulait par exemple « remonter » les dispositions relatives au numérique à l'article 1er. J'ai par conséquent considéré qu'il n'était pas souhaitable de suivre son avis – ce qui n'a apparemment pas eu l'heur de lui plaire.

Sur le fond, je note qu'une seule mesure est véritablement remise en cause pour des motifs sérieux de droit : le droit de priorité que nous envisagions d'instaurer en cas de vente d'un lot dans une résidence de tourisme vieillissante au bénéfice des propriétaires de lots contigus, afin de permettre la restructuration de logements. Il était en effet souhaité que lorsqu'un studio-cabine ou un petit appartement était à vendre, le propriétaire voisin ait un droit de préemption pour peu qu'il s'engage à réunir les deux lots. Nous retravaillerons donc cette disposition en tenant compte des observations du Conseil d'État afin de la réintroduire par amendement si nous parvenons à une disposition juridiquement sécurisée.

J'en viens plus précisément aux dispositions du texte. Je n'évoquerai pas l'intégralité des vingt-cinq articles qui le composent mais reviendrai sur les quatre grands axes qui font, chacun, l'objet d'un titre distinct.

Le titre Ier englobe les dispositions permettant la prise en compte des spécificités des zones de montagne et celles pouvant exister dans chaque massif. Par rapport à la loi de 1985, le présent texte réaffirme que les adaptations peuvent prendre la forme d'expérimentations.

Le CNM se voit renforcé dans ses missions et dans sa représentation avec la désignation d'un vice-président, par ailleurs président de la commission permanente, qui assurera un fonctionnement plus régulier de cette instance. Elle pourra désormais saisir directement le Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN).

Cette partie aborde également la réforme des institutions de la montagne. Les nombreuses réformes entrées en vigueur depuis les années 1980, notamment l'adoption des grands textes de décentralisation, ont rendu des adaptations nécessaires. Un rôle accru sera ainsi donné à chaque comité de massif, dans la délimitation du massif. Les attributions et la composition de ces organismes seront également revues. Je rappelle que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit déjà qu'ils seront associés à l'élaboration des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SDREII), et peuvent l'être pour celle des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).

Par ailleurs, afin de mieux coordonner l'action de l'État et des conseils régionaux, le contenu des schémas de massif est précisé pour prendre en compte les schémas régionaux que j'évoquais ou la stratégie de cohérence régionale d'aménagement numérique (SCORAN).

C'est l'objet du titre II : la question du numérique et de l'accès à la téléphonie mobile se pose avec plus d'acuité encore dans les zones de montagne. Elle est un des leviers du dynamisme et de l'attractivité des territoires. Il est donc légitime que le premier chapitre du titre II lui soit consacré, cela afin de permettre l'adaptation des investissements publics aux fortes contraintes du relief, par exemple en facilitant l'expérimentation de technologies alternatives à la fibre. Je pense aux connexions radio ou satellitaires qui ont connu des innovations notables, ces dernières années. Le directeur adjoint de mon cabinet a déjà reçu, sur le sujet, les grands opérateurs de téléphonie mobile et numérique et recevra bientôt ceux qui proposent des solutions alternatives. J'en profite pour rappeler, sortant du cadre du texte, qu'avec le programme de résorption des zones blanches, l'État prend en charge l'intégralité du coût de construction des pylônes permettant aux opérateurs de relier les centres-bourgs au réseau mobile, au minimum en 3G, d'ici à la mi-2017. En dehors des centres-bourgs, 1 300 sites seront également équipés en 3G, puis en 4G, d'ici à 2019. L'État participe au financement des pylônes à hauteur de 75 % pour ceux situés en zone de montagne, soit 42,5 millions d'euros de subventions.

Le deuxième chapitre du titre II sur lequel j'entends m'attarder concerne le travail saisonnier et la pluriactivité. La partition de l'année entre période estivale et saison hivernale n'est pas propre aux zones de montagne, même si elle les caractérise davantage. Plusieurs mesures inscrites aux articles 10 à 13 visent à une meilleure prise en compte de ce caractère saisonnier, que ce soit dans la formation professionnelle ou dans l'accès aux services de ces salariés. L'article 12 prévoit l'expérimentation d'un dispositif d'activité partielle pour les agents contractuels saisonniers de régie ; elle vise à leur offrir une plus grande sécurisation des parcours professionnels et répond à une demande des régies dans les stations de sports d'hiver.

Les saisonniers rencontrent, par ailleurs, des difficultés considérables dans l'accès au logement. Trop fréquemment, chaque hiver, de dramatiques faits divers viennent nous le rappeler. Plusieurs actions seront encouragées : la mobilisation de logements vacants par les bailleurs sociaux pour les attribuer en « intermédiation » locative, ou la mise en place de plans d'action concertés entre les communes et les acteurs locaux du logement.

Favoriser le développement économique des massifs implique aussi d'encourager deux secteurs vitaux : l'agriculture et le tourisme. Parmi les dispositions prévues, je citerai la dérogation au transfert de compétence « promotion du tourisme » pour les communes classées « station de tourisme » ou en cours de classement. La loi NOTRe prévoit de confier cette compétence aux communautés de communes au plus tard au 1er janvier 2017. Cette disposition a suscité quelque émoi dans certaines communes attachées à leur notoriété, à la puissance de leur marque, à leur identité propre. Le Premier ministre les a entendues, je les ai donc, par principe, entendues. (Sourires.) L'article 19 apporte une souplesse permettant aux communes « stations classées de tourisme », ou en cours de classement, de conserver cette compétence, sous réserve d'une délibération adoptée par le conseil municipal avant le 1er janvier 2017. Celles qui n'obtiendraient pas le label perdront le bénéfice de la mesure. Il est donc impératif que le texte puisse être adopté avant la fin de l'année.

Toujours dans le secteur touristique, j'en viens au titre III, le texte aborde la question cruciale de la réhabilitation de l'immobilier de loisir. La situation, en la matière, est contrastée en fonction des massifs et des stations. Cependant, ces dernières années – et même ces dernières décennies –, le phénomène dit des « lits froids », c'est-à-dire, durablement inoccupés, s'est développé. Pour lutter contre ce phénomène, le texte vise à assouplir le dispositif des opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL), afin d'ouvrir le bénéfice des aides des collectivités aux propriétaires qui s'engagent à louer par eux-mêmes leur logement. Toujours afin d'encourager la réhabilitation, le projet de loi de finances pour 2017 prévoira une réorientation du dispositif fiscal dit « Censi-Bouvard ». Ces deux dispositions devraient avoir un impact concret pour les propriétaires de résidences en montagne et favoriser ainsi la rénovation de l'existant plutôt que d'encourager sans discernement les constructions neuves.

Le projet de loi modifie également la procédure des UTN. Initialement prévue dans le cadre d'une ordonnance, telle que l'habilitait l'article 106 de la loi d'août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, cette réforme est finalement inscrite dans le présent texte. La concertation menée avec l'ANEM, l'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) et les représentants des professionnels du secteur – en particulier Domaines skiables de France –, a permis de faire évoluer le projet initial qui avait suscité de fortes réserves. Il est désormais prévu de créer deux catégories d'UTN : les UTN « structurantes », les plus importantes, devront être prévues dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ; quant aux UTN plus modestes, dites « locales », elles ne relèveront plus des SCOT mais auront vocation à être planifiées dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et, dans un futur proche, dans les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI). Une procédure dérogatoire d'autorisation est maintenue pour les projets envisagés dans les communes non couvertes par un SCOT approuvé.

La rédaction finalement retenue paraît concilier sécurisation juridique, souplesse et protection de l'environnement.

Cette dernière dimension – objet du titre IV – prend une importance particulière en montagne, dans des territoires qui subissent, plus que d'autres, les effets du réchauffement climatique. Il faut donc renforcer les politiques environnementales à travers l'intervention des parcs naturels régionaux (PNR). Ces derniers occupant une place centrale dans les massifs, le projet de loi vise à renforcer le rôle des syndicats mixtes qui en assurent l'aménagement et la gestion, dans la mise en cohérence des politiques publiques, notamment afin d'améliorer la protection de la biodiversité. Sans imposer une réglementation supplémentaire – complexifier n'est pas dans mon tempérament –, les PNR, à l'instar des parcs nationaux, pourront mettre en place des « zones de tranquillité » n'ayant pas vocation à recevoir certains aménagements et afin de ne pas perturber les espèces animales et végétales qui s'y trouvent.

Pour conclure, vous constatez qu'à travers le panorama que je viens de dresser, on perçoit le caractère transversal du texte qui ambitionne d'embrasser toutes les dimensions de la vie en montagne. Il entend répondre aux principales préoccupations exprimées par les habitants, les acteurs économiques et les élus. Il n'aborde cependant pas, certes, tous les volets de la politique du Gouvernement en direction des zones de montagnes. Ces dernières sont, par exemple, concernées par les mesures des comités interministériels aux ruralités. Pour ce qui est de la santé, nous sommes en train de déployer des maisons de santé pluriprofessionnelles dans les territoires de montagne : 156 sont déjà ouvertes, 35 sont en construction et 35 autres en projet.

Quant aux services publics, dont on regrette, depuis tant d'années, la disparition dans les zones rurales, dans les zones enclavées et dans certaines zones de montagne, nous avons trouvé, avec les maisons de services au public (MSAP), une réponse adaptée, si bien que les services publics sont réimplantés dans ces mêmes zones, sous une forme différente – on ne trouve plus un fonctionnaire derrière chaque guichet – ; en effet, fondés sur le numérique et pour peu que la formation des agents ait été bien faite, ils fonctionnent remarquablement bien. Je constate du reste que c'est dans les zones de montagne que l'on trouve les MSAP les plus élaborées : j'en ai visité une derrière le tunnel du Chambon où se trouvaient tout de même 31 services publics, à la satisfaction générale. Près de 200 structures sont opérationnelles en montagne.

Vous constatez donc, avec le présent texte, que nous prenons mieux en considération les spécificités des zones de montagne, la solidarité nationale devant jouer pour rétablir les équilibres. Il s'agit de soutenir le potentiel d'innovation et de développement de ces zones par la mise en place d'actions concrètes, valorisant leurs atouts et améliorant durablement la qualité de vie de leurs dix millions d'habitants.

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