Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 28 septembre 2016 à 15h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Présentation commune

Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances :

Monsieur le président, madame et messieurs les députés, j’ai l’honneur de revenir devant vous pour discuter du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que certains appellent « projet de loi Sapin II ».

Lors de la première lecture au sein de cette assemblée, je vous ai dit l’objectif de ce texte, que je résume ainsi : une plus grande transparence dans la vie publique et économique pour promouvoir la bonne finance et combattre la finance qui dévoie et corrompt. La création d’une agence nationale chargée de prévenir la corruption, d’un statut protecteur des lanceurs d’alerte et d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts sont quelques mesures, parmi d’autres, qui ont vocation à concrétiser cet objectif.

La première lecture à l’Assemblée nationale a été riche en débats sur ces sujets, que nos concitoyens ont pris à coeur – ils ont raison ! Notre société a besoin de plus de transparence. En effet, le monde marche vite et se complexifie ; cette accélération et cette sophistication sont la source d’incompréhensions ou, pire encore, de défiance envers les institutions publiques. Or le principe démocratique exige que chaque citoyen puisse, en pleine et sûre connaissance de cause, contrôler l’action des pouvoirs publics. Par ailleurs, une société forte et solidaire est une société qui repose sur la justice sociale. La transparence est un moyen pour parvenir à cette fin. Elle doit permettre à chaque personne intéressée d’y voir clair, d’une part sur la politique de rémunération des dirigeants dans les sociétés, d’autre part sur le paiement de leurs impôts par les grandes entreprises, celles qui ont les moyens de pratiquer à haute fréquence l’optimisation fiscale.

C’est au nom de cette justice sociale qu’avec l’accord du Gouvernement, vous avez voté en première lecture des dispositions encadrant davantage la rémunération des dirigeants ou prévoyant, dans certaines conditions, l’obligation pour les grandes entreprises de rendre publiques certaines informations relatives au paiement de l’impôt sur les bénéfices.

En ce sens, le projet de loi prend ancrage fermement dans la ligne et l’action politiques suivies par le Gouvernement et la majorité de cette assemblée. Il résonne plus particulièrement avec deux lois importantes adoptées au cours de ce quinquennat : la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a créé la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et soumis les décideurs publics à de nouvelles obligations déclaratives afin de mieux prévenir les conflits d’intérêts ; la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui a considérablement – et efficacement – renforcé la lutte contre la fraude fiscale et la corruption.

La première lecture que vous avez faite de ce projet de loi a servi généreusement ses ambitions. En revanche, le Sénat n’est pas resté sur cette ligne et a surtout amoindri la portée du texte dans le domaine de la transparence et de la lutte contre la corruption. Il a diminué les pouvoirs de l’agence nationale de prévention de la corruption, alors même que de nombreuses institutions ou organisations internationales critiquent la France pour la faiblesse de son dispositif de prévention des atteintes à la probité. De plus, le Sénat a considérablement réduit le caractère protecteur du statut des lanceurs d’alerte, en retenant une définition trop étroite de cette nouvelle catégorie juridique. En outre, il a supprimé l’unicité du répertoire des représentants d’intérêts et créé, en lieu et place, cinq répertoires tenus par des autorités différentes. Il en résulte de sérieuses complications, y compris pour les représentants d’intérêts eux-mêmes, soumis à autant de régimes déclaratifs et déontologiques.

Au terme des premières lectures parlementaires, je crois pouvoir dire que l’Assemblée nationale et le Sénat ont des vues différentes sur les rôles respectifs du citoyen, de la société et de l’État. Pour ma part, je me suis toujours rangé, depuis le début de mon action politique, du côté de la lutte contre la corruption et de la plus grande transparence, au service de nos concitoyens et de notre développement économique. Peut-être aurait-il été possible de trouver sur ces sujets, compte tenu de leur nature, un accord avec le Sénat ? La réunion de la commission mixte paritaire n’a cependant pas permis de surmonter ces divergences de positions.

Reprenant vos travaux, vous vous êtes attachés en commission à redonner au texte son élan et sa vigueur. Je remercie les trois commissions saisies, leurs rapporteurs, MM. Denaja, Colas et Potier, et leurs présidents – je salue la présence de M. Raimbourg, président de la commission des lois, saisie au fond – pour leur travail constructif et leur engagement total. Le texte auquel vous avez abouti marque clairement la différence d’opinions entre les deux chambres et peut-être aussi – nous le verrons dans le débat – entre divers mouvements politiques.

Je me félicite du travail approfondi qui a été réalisé sur les dispositions dites financières et agricoles du projet de loi – n’est-ce pas, messieurs les rapporteurs Potier et Colas ? – en lien avec les commissions compétentes du Sénat.

Les derniers développements du secteur agricole, notamment en ce qui concerne la filière lait, ont montré combien les mesures qui ont été adoptées sont particulièrement attendues par les agriculteurs, et utiles pour l’ensemble de la chaîne de production. Les échanges et concertations sur ces dispositions ont été nombreux, et il est important que le projet de loi soit adopté rapidement pour qu’elles puissent être mises en oeuvre dans les meilleurs délais, dans l’intérêt du secteur agricole. Ces dispositions sont, je le répète, très attendues par le secteur concerné.

Je souhaite que ce texte aille loin dans la transparence et la lutte contre ce que j’ai appelé « la finance des excès », car nos concitoyens attendent beaucoup de nous dans ces matières – et cette exigence, nous l’avons tous à coeur et à l’esprit.

Vous avez rétabli en commission les pouvoirs d’action de l’agence nationale de prévention de la corruption et restitué toute sa portée à l’obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption. Ce texte me paraît désormais de nature à doter la France d’un dispositif novateur et efficace en matière de lutte contre la corruption.

Par ailleurs, la commission des lois a retenu une définition large des lanceurs d’alerte permettant de couvrir les situations du type de celle d’Antoine Deltour. Telle était notre préoccupation au cours de la première lecture dans cette assemblée. Les rédactions sont toujours complexes à mettre en oeuvre, mais en l’occurrence, vous avez trouvé la bonne rédaction. Certes, Antoine Deltour n’a pas été mis en cause en France, mais au Luxembourg, et nous n’avons que peu d’influence sur les règles législatives en vigueur dans ce pays. Nous ne voulions pas, ni les uns ni les autres, qu’une situation de cette nature ne soit pas considérée, en France, comme étant celle d’un lanceur d’alerte. C’est une initiative que j’ai soutenue fortement, car il n’est pas acceptable qu’une personne qui a pris des risques personnels élevés au bénéfice de l’intérêt général soit condamnée pénalement. Il est du devoir de la société, et donc de ses représentants, de protéger les Antoine Deltour à venir.

Enfin, la commission des lois a substitué à la multitude des registres de représentants d’intérêts un répertoire unique, ce qui simplifiera de beaucoup l’activité des personnes intéressées.

Mais ce texte de loi doit être équilibré, et mon rôle est d’y veiller. Équilibré signifie tout d’abord qu’il doit respecter la Constitution. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé quelques amendements sur l’article 13 relatif au répertoire des représentants d’intérêts pour s’assurer que ce dispositif soit conforme, dans son ensemble, à la Constitution.

Équilibré rime également, dans mon esprit, avec le souci de l’efficacité économique. Tout en marquant notre différence avec la majorité sénatoriale, il ne faut pas que nous perdions de vue que les entreprises françaises ne doivent pas être placées dans une situation excessivement désavantageuse par rapport à leurs concurrentes étrangères. À ce titre, je crois que la rédaction de l’article 45 bis, relatif au rapport public pays par pays, adoptée par la commission des lois est un point d’équilibre satisfaisant, sur lequel il n’est pas souhaitable de revenir.

Monsieur le président, madame et messieurs les députés, ce n’est pas sans émotion – je le rappelais déjà en première lecture – que je conclus ce discours, car nous approchons pas à pas de la fin du parcours parlementaire de ce projet de loi – parcours que l’on trouve toujours trop long – qui prendra place à côté d’une loi éponyme, celle du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

Au vu de la première lecture ici, à l’Assemblée nationale, et des travaux qui ont eu lieu en commission la semaine dernière, je crois pouvoir dire que le projet de loi que vous vous apprêtez à adopter sera un texte au moins aussi ambitieux que son aîné et marquera de manière décisive l’histoire de notre pays dans les domaines de la transparence et de la lutte contre la corruption.

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