Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 28 septembre 2016 à 15h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, chers collègues, depuis plus de quinze ans, la France ne fait pas partie des pays au « top niveau » dans les classements des ONG reconnues pour leur expertise dans la lutte contre la corruption. Certes, si tous les classements ont leur pertinence, ils ont aussi des biais, mais c’est une réponse un peu facile : nous ne pouvons pas nous dédouaner de nos responsabilités et de nos lacunes à si peu de frais. Aux alentours de la vingt-cinquième place dans le classement de Transparency International, nous sommes au même niveau que le Chili, les Émirats Arabes Unis ou encore l’Estonie – je le rappelle avec tout le respect que j’ai pour ces pays charmants par ailleurs. Mais nous progressons lentement depuis trois ans, et seule une mauvaise foi caractérisée à l’encontre du Gouvernement pourrait faire croire que les récentes lois sur la transparence et contre la corruption n’y ont pas contribué : je pense notamment à la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique et à la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale et contre la grande délinquance économique et financière ; je pense également à la création du parquet national financier et à la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et à d’autres bonnes mesures qui se révèlent manifestement utiles. Tous ces dispositifs ont participé au renforcement de l’encadrement juridique et des outils disponibles, et loin encore d’avoir produit tous leurs effets.

Les dispositions qui nous sont aujourd’hui proposées permettront assurément de perfectionner nos dispositifs de lutte contre la corruption et les atteintes à la probité en révisant profondément notre législation en matière de prévention et de répression. Au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je tiens à confirmer la position adoptée en première lecture : nous soutenons ce projet de loi.

Cela dit, tous les députés du groupe ne sont pas unanimes pour soutenir l’ensemble des mesures proposées, et nous émettons aussi des réserves sur plusieurs sujets. Si le texte s’est amélioré au cours des différents examens en commission et en séance dans les deux chambres, il reste des insuffisances, des oublis, et nous avons encore des points de désaccord. Ainsi, les lanceurs d’alerte peuvent être nécessaires, ils ont joué un rôle utile dans plusieurs scandales récents et il faut soutenir ceux qui sont de bonne foi et préviennent des phénomènes de corruption. Mais plusieurs députés de mon groupe pensent qu’il faut aussi veiller aux dérives possibles, aux effets pervers, aux abus et aux comportements malveillants qu’une définition imprécise pourrait provoquer. Le qualificatif « de manière désintéressée », objet de débats au Sénat et en nouvelle lecture en commission à l’Assemblée, est un vrai sujet.

Dans son avis, le Conseil d’État n’était pas tendre avec le Gouvernement, dénonçant notamment – un grand classique –, le caractère déficient de l’étude d’impact. Pour ne prendre qu’un seul exemple : s’agissant de la réduction de la durée de validité des chèques d’un an à six mois, il est impossible de ne pas lui donner raison puisqu’il n’y a pas un mot dans l’étude d’impact sur les éventuels effets indésirables, alors qu’on touche à une durée bien ancrée dans les habitudes de nos concitoyens. Nous avons proposé sans succès de supprimer l’article 25 relatif à cette réduction de validité en première lecture ; le Sénat a entendu nos arguments en supprimant cet article ; mais il a été rétabli en commission. Nous tenterons donc de vous convaincre que les inconvénients de cette réduction l’emportent sur les avantages.

Concernant le reporting public, pour parler en bon français , beaucoup ici se souviennent d’une nuit de décembre 2015 qui a rencontré un petit succès sur internet et les réseaux sociaux. Sur les bancs de la majorité – comme aussi parfois sur ceux de l’opposition –, nous sommes favorables au reporting complet et public pour les multinationales.

Au fur et à mesure des lectures, le texte s’est enrichi, calquant la rédaction de l’article 45 bis sur la proposition de directive de la Commission européenne. Nous préférons la version de la directive du Parlement européen, votée à quatre reprises par des députés de toutes les familles politiques, y compris par de très nombreux députés français du groupe PPE. Les scandales s’accumulent : la dernière affaire des Panama Papers est accablante. Nous avons ici l’opportunité d’envoyer un message fort à l’Europe. Nous devons être en pointe.

Les rémunérations indécentes des grands patrons sont un autre sujet médiatique, moralement intolérable et économiquement inacceptable. Nous devons leur fixer des limites, sous la forme d’un seuil de revenu maximum. Aussi, nous demandons d’appliquer l’aphorisme : « un revenu maximal pour une décence minimale ». Nous touchons sur ce sujet aux valeurs de la décence ordinaire, la common decency de George Orwell. Si l’on suit ceux qui prétextent la loi du marché pour refuser de fixer une limite, l’on voit que rien n’interdit d’aboutir à tous les excès en France.

Pour ne prendre qu’un exemple, au Royaume-Uni, un président directeur général d’une entreprise de grande taille – non d’une multinationale géante – se vantait récemment d’avoir réussi l’année dernière à augmenter ses rémunérations de 30 millions supplémentaires par an. En un an, il passe fièrement de 60 à 90 millions d’euros par an. Pour tenter de se donner une idée de cette somme, il faut faire un petit calcul : 90 millions par an, c’est 7,5 millions d’euros par mois, c’est-à-dire plus de 6 000 SMIC par mois, et c’est plus de 40 000 euros par heure travaillée. Cela paraît délirant, mais nous y allons tout droit en France si nous ne parvenons pas à fixer une limite à l’indécence. Inévitablement, au fur et à mesure où l’on s’élève à ces niveaux de revenus stratosphériques, l’oxygène moral ne peut que se raréfier. Sur ce sujet des revenus indécents, le candidat François Hollande disait, me semble-t-il, qu’une société « a le droit, et même le devoir, de fixer une limite à l’ampleur de l’éventail des rémunérations ».

Nous comptons sur nos débats pour avancer sur ce thème et sur quelques autres. Je pense notamment à l’amélioration du fonctionnement de l’Agence française anticorruption, prévue à l’article 3, à l’appréciation du périmètre de consolidation des entreprises, évoquée à l’article 8, ou encore à la simplification du registre prévu pour les représentants d’intérêt, à l’article 13. Nous espérons pouvoir vous convaincre, chers collègues, de la pertinence de nos amendements. Mais malgré ces divergences, nous avons surtout de grandes convergences, et nous saluons l’enrichissement du texte, en particulier pour tous les sujets sur lesquels nos amendements ont été adoptés ou satisfaits.

Pour la protection des consommateurs, nous nous félicitons de l’adoption à l’unanimité en commission des finances de l’article 29 bis B relatif à la substitution de l’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers. Cet amendement figurait parmi ceux que nous avons souvent portés, car nous pensons qu’il est inacceptable que plusieurs milliards d’euros de marge indue, pris aux consommateurs, soient captés par les banques. Nous espérons que ce vote sera confirmé en séance malgré les nombreuses pressions qui s’exercent.

S’agissant de l’agriculture, on tâtonne depuis des années sur la question du prix à payer à nos paysans pour nos productions agricoles. La contractualisation, l’Observatoire des prix et des marges, la structuration des interprofessions, la correction des dérives issues de la loi de modernisation de l’économie et de la loi de modernisation de l’agriculture sont autant de bonnes mesures, des outils utiles, mais qui n’ont pas réussi à inverser la grande tendance de fond : la captation de la valeur ajoutée par la grande distribution et l’industrie agroalimentaire au détriment de nos paysans, qui souffrent de cette injustice. Le pouvoir de négociation des acteurs est trop déséquilibré, en défaveur de nos paysans.

Nous devons tenter de rétablir de l’équité dans les relations commerciales. Au cours des examens, nous avons bien progressé. Il était temps ! Il nous faudra confirmer les consensus obtenus en commission et au Sénat pour rétablir de la justice et répondre au désespoir de nos paysans.

S’agissant enfin de l’artisanat, nous constatons les blocages et nous demandons plus de fluidité et de simplicité. Mais nous voulons aussi défendre la nécessité de la qualification. C’est pourquoi nous nous félicitons de l’adoption conforme de l’article 43.

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