Intervention de Olivier Marleix

Séance en hémicycle du 28 septembre 2016 à 15h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix :

Les dispositions prévues par le texte seront lourdes à mettre en oeuvre pour les entreprises. Or un tel seuil sera vite atteint, notamment par les PME disposant de filiales à l’étranger. Ce ne sont pourtant pas elles qui devront être la cible principale de l’agence anticorruption !

Cette question révèle, monsieur le ministre, un désaccord plus profond avec vous sur les objectifs du projet de loi : avec cette rédaction, vous ciblez de fait les entreprises de taille intermédiaire, nos trop rares – allais-je dire – ETI, alors que nous pensons que la cible de l’agence devrait être la corruption transnationale commise par de grandes entreprises multinationales.

Ce désaccord s’est manifesté la semaine dernière en commission lorsque la majorité a refusé un amendement visant à reprendre une disposition qui avait été votée en première lecture à l’initiative de Pierre Lellouche et qui aurait permis de poursuivre une entreprise étrangère pour des faits de corruption commis à l’étranger dès lors que cette entreprise exerce une partie de son activité sur le territoire national. C’est ainsi que procèdent les Américains, et nous n’avons aucune raison de ne pas nous attribuer la même compétence ; au contraire, nous nous affaiblissons en ne disposant pas des mêmes outils.

S’agissant des lanceurs d’alerte, il est incontestablement nécessaire de mieux les protéger. Mme Mazetier a cité le nom de ceux qui ont inspiré ce texte, et chacun souscrit à cet objectif. Toutefois, personne ne souhaite non plus voir émerger un monde de délateurs professionnels, fussent-ils pétris de bons sentiments. Nous devons donc faire preuve d’une grande rigueur dans ce qu’apporte ce texte et ne pas créer de confusion – dans l’intérêt même des lanceurs d’alerte.

Or, lors de l’examen en commission, la majorité a fait le choix de supprimer la disposition qui précisait qu’un lanceur d’alerte engageait sa responsabilité civile et pénale en cas de dénonciation calomnieuse, afin que la loi n’offre pas une sorte de « blanc-seing » couvrant celle-ci. Je crois que l’on gagnerait à conserver la précision apportée par le Sénat, au nom de l’intelligibilité de la loi.

De même, il est regrettable d’avoir supprimé l’alinéa, introduit par le Sénat, qui prévoyait que le respect de la procédure de signalement était un élément constitutif de la bonne foi.

Concernant le fameux article 13 relatif aux relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, qui a été l’un des points d’achoppement de la commission mixte paritaire, les travaux successifs des deux chambres ont largement mis en évidence le risque d’atteinte à la séparation des pouvoirs qui existait. Dans la version actuelle, il demeure un répertoire unique, commun aux deux assemblées et au pouvoir exécutif, sous le contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Le groupe Les Républicains s’oppose à ce qu’une autorité nommée par le Président de la République, quel qu’il soit, puisse contrôler, fût-ce de manière indirecte, le travail parlementaire : ce serait une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Le Sénat a fait des efforts rédactionnels afin de trouver une autre solution. Il me semble important, sauf si le Gouvernement souhaite encourir le risque d’une censure, que l’on progresse dans cette direction. Il s’agit de mieux préserver l’indépendance de l’Assemblée nationale et du Sénat : c’est un point sur lequel nous ne transigerons pas.

Enfin, je regrette que le Gouvernement ait repoussé tous les amendements qui visaient à introduire plus de transparence dans le pantouflage et à mieux encadrer la relation d’influence entre des hauts fonctionnaires partis dans le privé et les pouvoirs publics. Je ne voudrais pas que ce texte renforce un peu plus cette espèce de monopole de fait des anciens élèves des grandes écoles du service public – que je ne citerai pas – sur le lobbying en France. L’actualité nous fournit le cas d’un directeur d’administration centrale poursuivi… pardon, entendu pour d’éventuels faits de trafic d’influence. Ouvrons les yeux sur ce qui se passe tous les jours, monsieur le ministre – y compris dans votre administration ! Lorsqu’on discute par exemple des conditions de vente de telle ou telle grande entreprise – Les Échos nous signalaient aujourd’hui quelques sujets d’actualité –, je ne suis pas certain que l’on fasse toujours preuve de la plus grande transparence, notamment s’agissant de savoir qui contacte qui pour négocier des autorisations par rapport au décret Montebourg. Je crois que nous aurions gagné à progresser sur ce point, et je regrette ce rendez-vous manqué.

En matière de reporting public, le Sénat avait adopté une position de sagesse dont il me semble tout aussi regrettable de nous éloigner. Nous sommes totalement opposés au choix de la majorité, qui entend aller, de façon unilatérale, plus loin que la directive européenne. Surtout, la majorité fait le choix très étonnant de ne pas tenir compte de l’adoption future de cette directive, puisqu’elle prévoit une date d’entrée en vigueur par défaut, quelle que soit l’issue de la négociation. Si la France adoptait seule ce dispositif, cela fragiliserait la compétitivité de nos entreprises, qui devraient livrer unilatéralement des données stratégiques à leurs concurrentes étrangères, et cela affaiblirait, me semble-t-il, l’attractivité de notre pays pour l’implantation des sièges sociaux.

Vous proposez, en outre, un mouvement de gymnastique inédit au Conseil constitutionnel, en lui demandant un contrôle de conventionnalité de la loi par rapport à une directive future, non encore approuvée. Cela nous laisse pour le moins perplexes !

En ce qui concerne les articles examinés par la commission des affaires économiques, je tiens à saluer le travail constructif du rapporteur Dominique Potier. Catherine Vautrin l’a rappelé la semaine dernière en commission, ce ne sont pas les sujets ici concernés qui ont conduit à l’échec de la CMP. Nous sommes en effet parvenus à un consensus sur diverses dispositions, telles que les modalités d’achat de métaux précieux, le renforcement des sanctions pénales en matière de mauvais traitements exercés sur les animaux en abattoir ou les modalités d’acquisition du foncier agricole et l’intervention des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural. Ce sont autant d’avancées utiles.

Je reviendrai sur trois points en particulier. Le premier concerne l’interdiction de cession des contrats laitiers, dont la durée initiale était fixée à cinq ans. Des amendements issus de tous les groupes – et notamment du nôtre – ont porté cette durée à sept ans. Dans la crise actuelle traversée par les éleveurs, cette mesure permettra sans doute de leur donner une plus grande visibilité et concourra à stabiliser les prix et le marché.

Le deuxième point concerne les relations commerciales. Le texte renforce la contractualisation définie par la LME. C’était une démarche utile, bien que perfectible. Les critères et les modalités de prix devront ainsi faire référence, dans les contrats, à des indices publics des coûts de production. L’article que nous allons examiner n’est pas parfait, mais il constitue une avancée dans la prise en compte de ces coûts au sein du prix final.

On aurait d’ailleurs pu faire gagner du temps à nos agriculteurs si l’Assemblée avait adopté, en février dernier, notre proposition de loi qui instaurait une conférence de filière annuelle sur les prix. L’article 31 bis G reprend cette idée. La conférence n’aura pas pour objet de fixer des prix directeurs ou des objectifs de volume, mais de soumettre au débat les évolutions possibles dans chaque filière.

Parmi les autres mesures tendant à rééquilibrer le rapport de forces entre producteurs, fournisseurs et distributeurs, on peut mentionner l’interdiction faite à ces derniers d’imposer des pénalités de retard de livraison en cas de force majeure, ou encore le renforcement des sanctions à l’encontre des distributeurs en cas de pratiques commerciales abusives, avec une amende portée de 2 à 5 millions d’euros. Ce sont, là encore, des mesures satisfaisantes.

La loi Sapin II n’est pas le grand big bang tant annoncé pour refondre la LME, mais bien un texte qui la prolonge et l’améliore, s’agissant notamment des relations commerciales entre les parties.

Nous espérons sincèrement que toutes ces mesures atteindront leur objectif, mais cela fait quatre ans que les agriculteurs traversent une crise d’une gravité inédite, et l’on ne peut pas dire, pour le moment, que les différents plans mis en oeuvre par le Gouvernement aient produit des résultats.

Vous l’avez donc compris, malgré des avancées par rapport au texte initial – notamment dues au travail du Sénat –, des sujets de désaccord demeurent, qui nous semblent cruciaux : ils devraient inciter le Gouvernement à davantage d’écoute à l’occasion de cette nouvelle lecture.

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