Cela prouve que le sujet, controversé ou non, intéresse tous nos collègues, y compris ceux qui ne sont pas ultramarins…
L'exercice sera pour moi difficile. Certains de mes collègues, appartenant à mon groupe, connaissent ma position sur ce projet de loi. Je vais tâcher de faire la part des choses et, là où je crois déceler des carences de méthodologie, faire part de quelques-unes de mes espérances.
Effectivement, l'exposé des motifs expose une certaine philosophie de l'égalité réelle, mais, monsieur le président, bien des noms me gênent. Évoquer Condorcet, le Président de la République et le Premier ministre, qui a commandé un rapport à Victorin Lurel, n'est pas une mauvaise chose ; mais je ne comprends pas la mention d'autres noms dans un texte réputé porté par un gouvernement de gauche.
L'ancien ministre aux outre-mer, Victorin Lurel, a formulé dans son rapport de 2016 des propositions chiffrées et ambitieuses, dont la somme représente des montants considérables. Or, nous savons tous que décliner un tel document en projet de loi constitue un exercice singulièrement difficile. C'est peut-être cela qui nous vaut d'examiner un projet de loi ayant conservé le titre du rapport, mais qui, au fond, ne constitue qu'une méthode, une façon juridique de nous conduire vers l'horizon de l'égalité réelle.
Des outils sont présentés, comme les plans de convergence, et des dispositions sociales applicables à Mayotte, susceptibles d'être enrichies. Ainsi est illustré le décalage entre le rapport très ambitieux d'un ancien ministre, qui réclame de considérables engagements financiers, et sa transcription dans un projet de loi.
Aussi, le Gouvernement devra-t-il assumer ses responsabilités devant le Parlement, en reprenant les amendements tombés sous le coup de l'article 40 de la Constitution ; dans le cas contraire, il lui reviendra d'assumer ses choix. En tant que parlementaires, nous avons fait notre travail en déposant 260 amendements, dont beaucoup ont été considérés comme dépensiers. La coproduction existe, mais le Gouvernement devra répondre à l'attente qu'il a suscitée et que les députés ont exprimée par leurs amendements, ce qui est leur rôle.
J'ai relu la loi de départementalisation de 1946, dont je rappelle qu'elle est constituée de trois articles très clairs et de poids. Elle dit des choses simples : nos colonies sont transformées en départements, et tous les textes de loi promulgués sont applicables aux outre-mer. S'agissant des retraites des agriculteurs par exemple, il suffit d'appliquer cette loi qui existe !
Soixante-dix ans après sa promulgation, nous constatons que son application a été complexe, peut-être parce que le regard jeté sur les outre-mer est par trop hexagonal. Peut-être faudrait-il que ce regard soit porté à partir des outre-mer eux-mêmes, en quelque sorte de l'intérieur. À mes yeux, le réel enjeu de ce projet de loi réside peut-être précisément en cela. Quelles que soient les majorités politiques, il faudrait que la France considère ses outre-mer avec un regard totalement différent : c'est cela la réalité que nous attendons tous, et que nous souhaitons que la France entende. C'est là que réside le véritable enjeu : que l'on nous regarde à partir de chez nous, et non à partir de la Métropole. Ce n'est que sur le fondement d'un tel regard qu'il est possible de comprendre comment répondre de manière spécifique et adaptée.
Dans quelques heures, lors de l'examen du texte par la commission des lois, j'espère faire passer le message : le contrat de plan « Mayotte 2025 » a engagé la signature de l'État ; de son côté, la Guyane a souhaité un accompagnement de l'État dans sa croissance démographique ainsi que dans ses perspectives de développement. Aujourd'hui, nous attendons toujours cet engagement. Nous sommes partisans des points de convergence, mais, si pour la Guyane, d'ici la semaine prochaine aucune date n'est fixée, je vous dirai, mes chers collègues, de ne pas trop faire confiance à ces points de convergence.
Je suis désolée, monsieur le président, d'être aussi crue, mais notre liberté de parlementaires est de dire les choses. Nous appartenons à une majorité dont je suis solidaire ; mais il faut qu'elle entende lorsqu'elle ne répond pas à nos attentes ainsi qu'à celle de nos concitoyens des outre-mer.