La séance est ouverte à 17 heures 10.
Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.
Échange de vues sur le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer (n° 4000).
Mes chers collègues, je vous remercie pour votre présence. Cette réunion se situe au milieu de la procédure qui devrait conduire à l'adoption d'un projet de loi sur l'égalité réelle, enrichi, à l'invitation expresse de la ministre, par les propositions de plusieurs d'entre nous, et notamment, des trois rapporteurs, le rapporteur général et les deux rapporteurs pour avis des commissions des affaires sociales et des affaires économiques.
La saisine de trois commissions et la désignation de collègues engagés de longue date pour la promotion de nos outre-mer garantit que tous les thèmes que l'on peut évoquer aujourd'hui au nom de l'égalité réelle seront abordés et soumis au débat public.
En conséquence, l'intervention directe de la Délégation aux outre-mer sous la forme, désormais traditionnelle, de nos propositions, ne s'imposait pas dans la procédure. Cependant, j'ai eu le sentiment que nous ne pouvions pas rester à l'écart de la réflexion suscitée par ce projet de loi. Ce sentiment a encore été renforcé par ma participation à l'audition de la ministre des outre-mer par la commission des lois, et par les propos que celle-ci a tenus à cette occasion.
Je voudrais souligner que ma présence ès qualités à cette audition est la conséquence d'une invitation que le président de la commission des lois a pris l'initiative de m'adresser en invoquant expressément l'expertise propre de la Délégation aux outre-mer. De toute évidence, à ses yeux, cette expertise ne portait pas principalement sur les détails des mesures contenues dans le projet de loi, sur lesquelles M. le rapporteur Victorin Lurel permettrait à l'évidence de faire toute la clarté désirable. Mon intervention devant la commission des lois prenait tout son sens dans le cadre d'une mise en perspective de ces mesures, dans la problématique de long et moyen termes de l'égalité réelle, et plus largement, du développement intégral de nos outre-mer.
Ce souci de mise en perspective, qui a inspiré en grande partie les deux premiers titres du projet de loi, a été repris par la ministre des outre-mer dans son intervention initiale et dans la réponse qu'elle a faite au rapporteur et à moi-même. Il me semble justifier pleinement les travaux de notre Délégation, seule instance qui porte en permanence, dans l'organisation de l'Assemblée nationale, le souci des outre-mer.
Il nous revient de veiller en permanence à la prise en compte des réalités ultramarines, au-delà des péripéties d'une discussion parlementaire particulière. C'est pourquoi j'ai voulu provoquer cette réunion, pour nous permettre d'échanger, au-delà des débats juridiques et techniques sur telle ou telle disposition du projet de loi, sur les conditions générales de réalisation de cette égalité réelle, comme sur la réception de l'idée dans nos territoires. Nous pourrions ainsi déterminer quelques thèmes généraux qui mériteraient à nos yeux une attention particulière, tout en prenant bien sûr en considération le travail que nous avons accompli ensemble depuis le début de la législature.
Au-delà de l'utilisation que nous pourrons en faire dans les quelques mois à venir, cette réflexion peut-être une manière d'affirmer la continuité et la nécessité de la Délégation au moment de passer le relais à nos successeurs. Ce passage de relais serait d'ailleurs grandement facilité si, comme je l'ai proposé par amendement, la base juridique de notre Délégation était consolidée, sur le modèle de la Délégation aux droits des femmes. Je remercie d'ailleurs vivement celles et ceux qui, en cosignant cet amendement, m'ont exprimé leur soutien.
Avant d'ouvrir le débat, je tiens à rappeler où nous en sommes de la procédure.
L'audition de la ministre a eu lieu le mardi 20 septembre. Le lundi 26 septembre, se sont réunis les deux commissions saisies pour avis : la commission des affaires sociales avec, comme rapporteure, Mme Monique Orphé ; et la commission des affaires économiques avec, comme rapporteur, M. Serge Letchimy. Elles ont adopté respectivement 19 et 16 amendements, qui ont été transmis à la commission des lois.
Après l'échange de vue de la Délégation des outre-mer aujourd'hui, se réunira à vingt-et-une heures ce soir, et demain matin à dix heures, la commission des lois saisie au fond avec, comme rapporteur, M. Victorin Lurel. A ma connaissance, 262 amendements ont été déposés. Et je précise que l'examen du projet de loi commencera par les titres III et IV.
Enfin, l'examen du texte en séance publique est prévu la semaine prochaine, les mardi 4, mercredi 5 et jeudi 6 octobre.
Monsieur le président, les membres de la Délégation sont invités à un échange de vue d'ordre général sur ce projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Pour notre part, et je m'exprime en tant que responsable du groupe socialiste, nous nous inscrivons résolument dans la volonté, partagée avec le Gouvernement, d'enrichir ce texte.
Comme vous l'avez précisé, la commission des affaires économiques et celle des affaires sociales ont travaillé en ce sens. De mon côté, je me contenterai de souligner les quelques points qui me paraissent indispensables pour donner à la fois de la force et de la cohérence au texte.
Nous considérons que ce texte est une étape extrêmement importante pour le développement de l'ensemble de nos outre-mer, quel que soit leur statut juridique. Mais il doit être à la hauteur des attentes de nos compatriotes des outre-mer. En effet, depuis les évènements de 2009, ceux-ci traversent des moments difficiles. Le ressenti varie d'un territoire à un autre, en fonction des réalités et des aspirations des populations, mais cette nouvelle étape est nécessaire.
D'abord, nous devons donner de la force à ce texte.
Cela signifie que les dispositions que nous allons adopter devront permettre de mobiliser les acteurs qui seront amenés à s'engager dans ce processus, ce qui suppose que ceux-ci aient confiance dans les dispositifs que nous mettrons entre leurs mains. Pour y parvenir, plusieurs points devront être acquis.
Premièrement, à l'issue des débats, il faudra que nous y voyions clair sur les différents moyens à mettre en place. Il est question d'inviter les uns et les autres à élaborer des plans de convergence. Or ces plans de convergence doivent pouvoir s'appuyer sur des moyens, notamment de développement économique, et faire appel à l'innovation et à l'imagination. Voilà pourquoi, si nous voulons que ces plans de convergence soient innovants, nous devrons nous-mêmes, en amont, faire preuve d'innovation et d'imagination pour déterminer les moyens dont pourront disposer les acteurs pour élaborer ces plans de convergence.
Deuxièmement, les plans de convergence que nous allons mettre en place auront une durée de dix à vingt ans – selon les territoires. C'est évidemment incompatible avec des plans de développement économique qui seraient remis en cause ou modifiés tous les deux ou trois ans, avec une incertitude qui pèserait sur les outils économiques. D'une manière ou d'une autre, nous devrons faire en sorte que, lorsque ces plans de convergence auront été établis et signés, on dispose d'une certaine visibilité. Celle-ci passe par la permanence des outils qui seront appelés à venir à l'appui de ce processus de long terme. Autrement, le long terme du dispositif sera difficile à établir.
Troisièmement, il faudra obtenir l'adhésion des populations. Cela suppose que nous soyons clairs sur cet objectif d'égalité réelle, qui a suscité un très grand espoir dans nos collectivités des outre-mer. Et cela suppose qu'un certain nombre de questions soient tranchées dans les différentes catégories de collectivités.
Dans les quatre anciens départements d'outre-mer, au terme de ce processus, il faudra que nous y voyions clair sur la stratégie d'achèvement de l'égalité sociale à suivre. Car visiblement, l'égalité sociale n'y est pas achevée.
Dans le dernier département d'outre-mer, qui a été créé en 2011, c'est-à-dire Mayotte, l'objectif d'égalité réelle se construira en parallèle de l'objectif d'égalité sociale décrit dans « Mayotte 2025 ». Quelques mesures figurent dans le titre III. Au terme de notre exercice, la stratégie gouvernementale – notre stratégie, puisque c'est nous qui délibérons – pour mettre en place de l'égalité réelle dans ce territoire devra être claire.
Les autres collectivités de l'article 74 sont invitées à rentrer dans ce processus. De la même façon, il faudra que nous ayons une vision claire de la manière dont ces collectivités pourront s'y inscrire. Il faudra renforcer tout particulièrement les dispositifs afférents à ces collectivités pour que cette question de l'égalité réelle puisse s'exprimer pleinement, à leur façon et selon leurs attentes.
Ce sont là des préalables qu'il me semblait indispensable de rappeler, dans le cadre du débat général auquel notre président nous invite. Mais ce débat général ne devra pas tourner à la cacophonie. Et j'en viens à la deuxième exigence : il faut donner de la cohérence au texte.
Nous sommes invités à mettre en place des plans de convergence. J'ai dit tout à l'heure que nous devions faire preuve d'innovation et d'imagination. Mais imagination ne veut pas dire foisonnement. Nous devrons préciser clairement, à travers les dispositions que nous mettrons dans le texte, le contenu de ces plans de convergence. De la même manière, les différents dispositifs expérimentaux qui ont été évoqués n'excluent pas une certaine cohérence.
J'en viens au dispositif de suivi et de pilotage.
Le dispositif de pilotage vers lequel nous nous dirigeons passerait par le renforcement de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM). Un amendement a été déposé en ce sens pour étoffer le dispositif de pilotage de cette Commission.
Le dispositif de suivi de la CNEPEOM est annuel. Peut-être faudra-t-il réfléchir à un dispositif d'évaluation quinquennal, un peu plus musclé, pour que l'on puisse distinguer les travaux de suivi annuel des travaux de bilan qui seraient réalisés à des moments déterminés.
Enfin, au-delà de ces dispositifs de suivi, ces plans de convergence d'un genre nouveau poseront forcément la question du pilotage. En effet, autant le suivi peut être national, au sein d'une commission unique qui ferait un suivi global, autant le pilotage doit s'effectuer territoire par territoire, sur la base de contrats qui peuvent être signés par l'État, les collectivités et les établissements publics intéressés, et donc dans des formats extrêmement souples. Voilà pourquoi, à un moment ou à un autre, il faudra réexaminer le dispositif de pilotage – à moins de considérer que celui-ci sera un des éléments fondamentaux du contenu même des plans de convergence.
Tels sont les points généraux que je tenais à évoquer. J'ajoute que 262 amendements ont effectivement été déposés. Mais il n'échappe à personne que beaucoup d'entre eux ne passeront pas le barrage de l'article 40. Je pense donc qu'il serait nécessaire d'enrichir ce texte au-delà du périmètre sur lequel nous pouvons opérer en tant que parlementaires, sous couvert de l'article 40.
J'interviens sur le travail que j'ai mené en tant que rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Le temps dont je disposais était contraint puisque je n'ai eu que quinze jours pour faire des auditions, rassembler des éléments et faire des propositions. Je me suis également appuyée sur les différents travaux que j'avais menés précédemment, par exemple sur la santé ou le droit du travail en outre-mer.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Aboubacar, notamment sur les plans de convergence. Néanmoins, j'estime, monsieur le président, qu'il nous faudra un signal fort, en particulier sur l'achèvement de l'égalité sociale. Les amendements sur lesquels j'ai travaillé ont malheureusement été déclarés irrecevables parce qu'ils créaient une charge. Néanmoins, un travail a été mené avec la ministre des outre-mer pour voir comment les faire aboutir.
Certains de ces amendements visent à régler le problème des petites retraites en outre-mer. Jusqu'en 1993, les salariés ne touchaient pas un gros salaire, il n'y avait pas non plus de caisses de retraite complémentaire et le travail au noir était fréquent. Des retraités ne touchaient que le minimum contributif – 629 euros quand ils n'avaient pas un taux plein, et 688 euros avec un taux plein.
D'autres amendements concernent l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) versée à des travailleurs pauvres, mais aussi à des personnes qui n'ont pas travaillé. On demande aux héritiers de rembourser l'ASPA ; ce recours sur succession freine l'accès à cette allocation. Plusieurs amendements ont été déposés pour voir comment lever ces freins, soit en relevant le seuil de ce recours, qui est aujourd'hui fixé à 39 000 euros, soit en le supprimant, pendant un certain temps, dans les outre-mer – mais apparemment, ce n'est pas constitutionnel. Ce sont des propositions. Mais là encore, elles ont été déclarées irrecevables en application de l'article 40.
Se pose ensuite le problème du complément familial, qui est versé à partir du premier enfant, jusqu'à cinq ans. Là encore, un travail a été mené en concertation avec la ministre, et nous espérons faire évoluer l'attribution du complément familial. De la même façon, je crois que le Gouvernement s'est penché sur le régime social des indépendants (RSI). Enfin, le dernier amendement qui a été écarté par l'article 40 porte sur l'application de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) aux territoires ultramarins.
Les amendements adoptés concernent surtout la santé en outre-mer : le financement des hôpitaux en outre-mer et les problèmes de santé publique comme le diabète et l'alcoolisme. J'ai notamment déposé un amendement qui, je l'espère, sera repris ce soir, et qui porte sur les publicités pour l'alcool près des établissements scolaires. J'ai aussi demandé un rapport sur la taxation du rhum, dont le prix est extrêmement bas en outre-mer.
Je me suis également intéressée aux rapatriements sanitaires des enfants d'outre-mer. Par exemple, en cas de décès, la sécurité sociale ne prend pas en compte ces rapatriements. J'en ai parlé à la ministre, et j'espère que l'on arrivera à résoudre ce problème. Symboliquement, j'aimerais que l'on aboutisse.
Des amendements ont été également adoptés sur la formation, par exemple pour s'attaquer au problème de l'illettrisme en outre-mer. L'un d'eux vise à créer un chapitre spécialement consacré à la lutte contre ce fléau. Un débat s'est développé autour de cette question, et l'on a dit qu'elle relevait de la responsabilité de l'État. J'essaierai peut-être, en séance, d'enrichir ce chapitre.
Sur l'égalité hommes-femmes, j'ai attiré l'attention sur la nécessité de développer des observatoires, notamment sur la problématique des violences faites aux femmes et aux hommes. J'ai également déposé l'amendement visant à généraliser l'enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) à tous les départements d'outre-mer.
Je terminerai sur un point que j'aurais dû aborder plus tôt : la possibilité d'étendre la CMUC à Mayotte, pour favoriser le développement de la médecine ambulatoire. En effet, comme vous le savez, tout tourne autour de l'hôpital. Peut-être l'extension de la CMUC pourrait-elle convaincre les médecins de venir s'y installer.
Tels sont, monsieur le président, les amendements qui ont été déposés et discutés hier par la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, il me semble – et ce n'est pas parce que je siège de ce côté-ci de la salle – que notre Délégation a maintenant la responsabilité de dire que ce texte n'a pas suffisamment d'ambition.
Notre collègue vient de s'interroger, à juste titre, sur le pilotage du dispositif. Mais quelle majorité va le piloter ? C'est maintenant que l'on s'occupe des outre-mer, alors que nous sommes en fin de mandature, et que des élections présidentielle et législatives vont bientôt avoir lieu.
Les trois premiers articles sont extrêmement généraux. Ils ne sont pas normatifs. Et il n'y a à peu près rien en matière économique. Nous devons saisir l'occasion de dire que nous souhaitons pour les outre-mer autre chose qu'un amalgame de mesures, de mesures certes importantes, mais qui ne sont pas à la hauteur des attentes.
L'autre jour, notre collègue, ancien ministre, M. Victorin Lurel, a déclaré qu'il souhaitait que ce texte soit le fruit d'une une coproduction. Sauf qu'une partie des amendements qui ont été déposés, aussi bien de votre côté que du nôtre, se heurtent aux dispositions de l'article 40, et sont donc irrecevables. Si le Gouvernement veut coproduire, c'est très simple : soit il lève le gage, et les amendements deviennent par conséquent recevables ; soit il en reprend certains et les dépose en son nom.
Vous pourriez estimer que mon propos vient des bancs de l'opposition. Tel n'est pas le cas. Je crois seulement que nous devons adopter une posture et dire que les outre-mer attendent autre chose. Ce projet manque d'une vision globale. On a agi dans la précipitation. Mme la rapporteure pour avis vient d'ailleurs de déplorer de n'avoir eu que quinze jours pour faire des auditions. Ce n'est pas du travail !
Pour servir une ambition, pour combler les attentes, il faut prendre le temps. Mais, évidemment, on a l'impression – et cette fois, je vais être partisan – que l'on a mis l'ouvrage sur le métier juste avant des élections. Certaines mesures sont peut-être sont utiles, mais enfin…
Peut-être ne ferez-vous pas ce que je vous ai demandé en commençant, monsieur le président. Je ne vous en blâmerai pas, parce que je suis ancien en politique, et que je sais comment se passent les jeux de majorité avec le Gouvernement. Pourtant, ce serait bien de le faire parce que chacun partage probablement, sans le dire, autour de cette table, la même opinion : ce projet est très en deçà de ce que l'on pouvait souhaiter. Il est même très en deçà des trente-cinq propositions du rapport de Victorin Lurel qui, selon moi, aurait mérité d'être complété.
Je pense donc que cela pourrait être dit de manière unanime. Après tout, c'est dans le rôle de la Délégation.
Merci, monsieur Houillon, pour votre intervention. Je vous répondrai d'abord que vous avez démontré, au sein de votre Délégation, votre souci de travailler sans prendre de positions trop partisanes. Évidemment, on peut regretter que ce ne soit pas le cas ailleurs, mais c'est votre affaire. Quoi qu'il en soit, vous êtes un membre à part entière de la délégation, et personne ici ne vous empêchera d'exposer votre opinion. D'ailleurs, il n'a jamais été dit que tout le monde devait toujours avoir le même point de vue – fût-ce entre les membres d'un même groupe.
Ensuite, ne croyez pas que le président de la Délégation soit resté inactif et qu'il va le rester pendant les jours qui restent. Il est exact que par un concours de circonstances, le temps imparti est court. Je le reconnais et le regrette, mais pour autant, on ne peut pas dire que rien n'ait été fait pour les outre-mer. Permettez-moi de vous rappeler qu'ici même, en Délégation, nous avons voté des propositions, des rapports ont été repris partiellement, voire assez largement. Je pense à la recommandation qui figurait dans un de nos rapports, visant à augmenter le taux du CICE à 9 % dans les outre-mer, ce qui est aujourd'hui en vigueur.
On ne peut donc pas reprocher au Président de la République d'avoir négligé les outre-mer au cours de son mandat. Bien sûr, on peut toujours espérer faire plus. On verra cela à l'ouvrage… Cela étant dit, je le répète, je ne serai pas inactif. Vous avez exposé les moyens dont dispose le Gouvernement au moment de l'examen du texte. Selon moi, on peut s'attendre à ce que certaines choses évoluent à cette occasion.
Si on nous donnait le RSI comme en métropole, ce serait déjà une belle victoire ! Depuis 2008, je le réclame. Après moi, d'autres l'ont fait. Avant moi, un sénateur martiniquais l'avait réclamé pour les travailleurs indépendants, qui ne peuvent pas percevoir les allocations familiales s'ils ne paient pas les cotisations. Et cela, c'est d'une injustice flagrante !
Il est vrai que l'on peut tout mettre dans « l'égalité réelle ». Mais si l'on obtenait au moins cela, ce serait une bonne chose.
La bonne chose pour moi, c'est la retraite des agriculteurs. Par exemple, à La Réunion, les agriculteurs perçoivent une retraite de 200-300 euros, contre 75 % du SMIC en France hexagonale. L'égalité, c'est aussi cela. Et c'est aussi la retraite pour les petits pêcheurs.
Ce texte, sur lequel on va travailler et voter, doit vraiment inspirer les mesures que l'on va prendre. Car c'est un texte hybride, qui a un double caractère, déclaratif et normatif. Il faudra veiller à ne pas créer des désillusions chez les peuples d'outre-mer, qui en attendent beaucoup. C'est ce que je crains.
Certes, les bonnes intentions dont là. Mais il y a tellement d'inégalités ! En 1946, il y a eu un grand texte. Certains – comme Adrien Barré, de La Réunion, un universitaire membre du Conseil de la République – s'étaient alors battus pour que les lois de l'hexagone s'appliquent outre-mer. Mais on sait le temps que cela a pris ! Et c'est un combat que nous devons encore mener aujourd'hui. Encore une fois, j'ai peur des désillusions.
Monsieur le président, en entendant mes collègues de l'outre-mer et M. Houillon, je me dis que ce texte ne correspond peut-être pas aux attentes d'égalité – notez que je ne parle pas d'« égalité réelle », mais d'égalité. Donnons donc l'égalité aux outre-mer, comme en métropole.
Mais même si ce texte n'est pas à la hauteur des attentes, je me dis qu'il va favoriser le travail des parlementaires. On peut considérer, comme a dit M. Houillon, que le Gouvernement n'a peut-être pas été assez ambitieux. Pour ma part, je considère qu'il laisse aux parlementaires le soin de construire un texte qui correspond aux territoires, et qui servira leurs aspirations.
Ce texte constitue une base, certes un peu faible, mais les parlementaires vont avoir la chance de pouvoir l'enrichir pour atteindre l'égalité. Si je ne sais pas très bien ce qu'est l'égalité réelle, je sais ce qu'est l'égalité : pour les agriculteurs, c'est avoir la même retraite, qu'ils habitent à La Réunion ou en Bretagne ; pour les citoyens, c'est de pouvoir toucher l'ASPA ou le complément familial, qu'ils soient de Rennes, de Paris ou de Mayotte.
Je pense donc que la Délégation doit se saisir de ce texte et participer aux débats pour le faire progresser.
Dans ce projet, il est question d'« égalité réelle ». Aujourd'hui, quand on discute avec les citoyens, on constate que c'est ce qu'ils attendent. Il suffit d'ouvrir le dictionnaire pour comprendre de quoi il s'agit.
J'observe qu'on en parle depuis maintenant quelques années. Mais nous devons faire en sorte que la montagne n'accouche pas d'une souris !
L'une de nos collègues vient de dire que nous allions pouvoir enrichir le texte. De fait, nous avons tous, à commencer par moi-même, déposé des amendements. Mais à chaque fois qu'un amendement créait des dépenses, il était immédiatement déclaré irrecevable. Comment voulez-vous atteindre l'égalité réelle sans aucun moyen financier ?
Les propositions foisonnent. Tout n'est sans doute pas faisable. Peut-être faudra-t-il un certain nombre d'années pour atteindre l'égalité réelle. Est-ce huit ans, dix ans, quinze ans, vingt ans, peu importe. Mais il sera nécessaire – et nous devrons saisir l'occasion de le dire au cours des prochaines séances de travail et dans les deux semaines à venir – d'essayer d'apporter de vraies réponses aux questions qui se posent.
Le sujet de l'ASPA a été abordé depuis tout à l'heure. C'est un véritable souci, et tout le monde le sait. J'ai moi-même déposé un amendement à ce propos, mais il a été déclaré irrecevable parce qu'il crée des dépenses. Je finis donc par me demander si l'on n'a pas donné à la ministre des outre-mer une tâche qui relève presque de l'impossible.
On va peut être dire qu'elle n'a pas fait son travail, alors que, pour l'avoir rencontrée dernièrement, je sais qu'elle est pleine d'ambition et de volonté. Elle connaît le territoire et elle a envie de bien faire. Mais peut-on construire un immeuble sans granulats et sans ciment ? Sa tâche est complexe.
Je ne sais pas si, en tant que président, vous pouvez faire remonter ces informations. Je pense que la ministre des outre-mer, si l'on n'écoute pas forcément ses demandes avec attention, doit se sentir un peu seule. Comment l'aider ? A quelle porte pourrions-nous frapper ?
Je souhaite vous rassurer au sujet de la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts. Il ne me semble pas qu'il a été choisi de la mettre en danger. Elle dispose de la confiance totale du Président de la République et du Premier ministre. On lui a confié une mission certes difficile, mais une mission d'avenir, et je pense qu'elle a toutes les qualités pour réussir, à commencer par la conviction…
Je m'interroge sur les moyens dont elle dispose, je n'ai pas dit qu'elle n'était pas compétente ou était sans volonté…
J'entends bien que vous ne tarissez pas d'éloges à son sujet, et que vous la plaignez de se trouver dans cette situation.
Cependant, pour filer votre comparaison, vous évoquez un bel immeuble, c'est une belle image, mais il faut commencer par les plans. Ce texte est d'abord l'esquisse, avec quelques éléments matériels constituant les fondations ; ce n'est pas encore l'immeuble en lui-même, il s'agit d'un travail de longue haleine. Les plans de convergence nécessitent dix à vingt ans. Ce n'est pas en quelques jours, quelques semaines ou quelques mois que ce cadre peut être rempli d'une manière propre à satisfaire chacun.
En revanche, il existe une armature, un projet, la définition d'une méthode : c'est la première fois qu'une telle stratégie est annoncée. Car, jusqu'à présent, les divers gouvernements ont annoncé des plans. Certains en ont adopté, d'autres non. Les plans adoptés portaient sur quelques années, deux, trois, quatre ou cinq ans.
Aujourd'hui, c'est une perspective qui est ouverte, un engagement que l'État prend via à vis des outre-mer. Bien sûr, un autre gouvernement pourra toujours défaire ce que celui-ci aura fait, mais je n'imagine pas qu'un gouvernement puisse tirer un trait sur cette promesse. Elle sera peut-être aménagée, son contenu peut-être augmenté, mais je serais très étonné qu'on la supprime : un tel geste serait un symbole trop dangereux pour les uns comme pour les autres. Nous savons à quel point les partis politiques de gouvernement portent attention à nos outre-mer, pour toutes les raisons que chacun connaît.
Il faut rappeler que, depuis le rapport de M. Victorin Lurel, depuis que l'égalité réelle est évoquée, et que le projet de loi a été présenté à l'Assemblée nationale, des attentes ont été suscitées. Car chacun sait que, soixante-dix ans après la départementalisation, malgré toutes les politiques publiques mises en oeuvre, un certain nombre d'inégalités persistent.
Pour nos populations, ce texte constitue l'occasion d'ouvrir une nouvelle page ; ce qui signifie que nous ne pourrons pas faire l'économie d'un certain nombre de mesures sociales. Tous ceux qui se sont exprimés aujourd'hui l'ont dit : des signaux doivent être envoyés, singulièrement en ce qui concerne la vieillesse.
Il faut parachever la correction d'inégalités flagrantes ; car l'égalité réelle consiste précisément à les supprimer. Article 40 ou non, nous verrons bien à l'issue des travaux parlementaires, mais, si nous échouions à adopter quelques mesures sociales, l'affaire ferait « pschit ».
Par ailleurs, il faut donner une vision au développement économique, car, à la Réunion par exemple, là aussi, malgré le dynamisme économique - le taux de croissance est passé au-delà de 3 % en 2014 et à 2,6 % en 2015 - nous connaissons depuis plusieurs années des taux de chômage élevés. Ce texte doit donner un sens au développement économique, il doit s'appuyer sur les nouvelles opportunités que sont la révolution technologique et la croissance des bassins géographiques qui nous entourent. À cet égard, je rappelle, qu'autour de la Réunion, des pays comme l'Afrique du Sud, le Mozambique et le Kenya connaissent des taux de croissance supérieurs à 5 %. Un pays comme l'Éthiopie, plus proche de la Réunion que de l'Hexagone, a connu un taux de croissance de 10 % jusqu'en 2014, 8,5 % étant prévu pour 2015 et 2016. Au titre de ces nouvelles opportunités, doivent encore être mentionnés le développement durable et l'économie circulaire. Ces progrès doivent nous permettre de sortir de ce que nous avons connu : l'économie fondée sur l'import-substitution, le BTP en grande partie dépendant de la commande publique…
Le projet de loi doit ouvrir une perspective économique, et mettre en place des outils ; même si je suis un jeune député, j'ai compris que nous ne ferons pas tout cela en neuf mois, mais nous devons délivrer ce message d'avenir.
M. Ibrahim Aboubacar a mentionné les plans de convergence. Ils sont susceptibles de passer pour des tartes à la crème si un contenu ne leur est pas donné, mais j'ai entendu, monsieur le président, que vous considériez que leur édifice va se construire. Ces plans de convergence doivent être à la fois crédibles et visibles, faute de quoi on nous dira que le travail a été bâclé.
Je reconnais la difficulté de l'exercice. Attendons la fin des travaux parlementaires pour tirer des conclusions, évitons les conclusions hâtives ! Nous devons faire bloc, car je pense que tous ceux qui sont aujourd'hui présents dans cette salle défendent avant tout l'intérêt des populations d'outre-mer. Nous verrons bien, in fine, ce qui ressortira.
Enfin, le Gouvernement a une responsabilité, et les élus de la majorité ne sont pas les seuls impliqués, avec Victorin Lurel hier et Ericka Bareigts aujourd'hui, les outre-mer ont été respectées au cours de ce quinquennat. L'égalité réelle que l'on nous demande de co-construire constitue une marque supplémentaire de ce respect ; rien ne nous est imposé, il nous est demandé d'y apporter du contenu.
Monsieur le président, ce que j'entends ici ou là depuis que nous examinons le projet de loi m'amène à exprimer ici mes sentiments et ressentiments. Je ne souhaite pas, pour autant, être rabat-joie ni mettre des bâtons dans les roues de ceux qui veulent avancer, car il est tout à notre honneur d'être dans la co-constuction et le fusionnement d'idées.
J'ai envie, comme le disait Félix Éboué, de jouer le jeu, de m'élever au-dessus de certaines contingences en allant à l'essentiel, et en laissant de côté un certain nombre de préjugés. Mais il est vrai que des situations durent, dont nous ne parvenons pas à nous défaire.
Comme bien de nos collègues, j'ai déposé des amendements. Toutefois je m'interroge : n'avons-nous pas commis d'erreur sémantique en parlant d'égalité réelle ? Ne devrions-nous pas plutôt parler d'équité ? Car il me semble que c'est plus de cela que nous avons besoin. Il faut parfois donner un peu plus à ceux qui n'ont pas assez, et un peu moins à ceux qui ont trop.
Or, c'est précisément là que le bât blesse. Nos populations de Guyane ne cessent de se plaindre ; nonobstant tous les efforts réalisés, l'exaspération est exacerbée. Au cours de la présente législature, bien des choses ont été faites, mais les résultats ne sont pas suffisamment visibles pour convaincre nos populations que le travail a été fait par le Gouvernement ainsi que par les parlementaires que nous sommes.
Une réelle difficulté de terrain existe, je m'en suis récemment ouvert à Mme la ministre : pour évoquer l'égalité, il faut avant tout évoquer la sincérité ainsi que d'une meilleure connaissance du terrain. Les exemples sont nombreux où les outre-mer, et particulièrement la Guyane, se sont mis au travail, ont rédigé des projets et procédé à des expérimentations ; mais, à l'heure de la mise en musique de la partition, nous avons toujours buté sur des tonnes d'incompréhension, simplement parce que nous n'avons pas la même appréhension des situations de terrain.
L'exposé des motifs du projet de loi illustre une certaine forme d'analyse ainsi qu'une manière de poser les interrogations et d'établir le diagnostic. Nous ne cessons de le dire : lorsqu'une loi est adoptée au Parlement, elle est fondée sur un certain nombre de vérités ; or, souvent, les vérités de la France hexagonale ne sont pas celles des outre-mer, et en particulier de la Guyane.
Notre collègue Marie-Anne Chapdelaine et sa collègue sénatrice Aline Archimbaud, se sont rendues en Guyane dans le cadre de leur mission sur le suicide chez les jeunes amérindiens et elles ont formulé ensuite un panel de propositions. Lorsque l'on constate aujourd'hui les résultats de leur travail, on se demande comment faire pour que ce type de propositions soit pris en compte par le Gouvernement.
On nous demande encore de nous livrer à un exercice qui est parfois simple, parfois compliqué, consistant à revenir sur des diagnostics et à préconiser des solutions. Je crains fortement – et l'article 40 de la Constitution a été évoqué à plusieurs reprises aujourd'hui – que les propositions ainsi formulées ne puissent pas aller à leur terme. Nous le constatons en Guyane : crise de l'hôpital, crise de la santé, crise dans les écoles, accès à la justice et au logement.
Nous aurions pu imaginer que ce projet de loi sur l'égalité réelle gomme toutes ces disparités. Mais je vous dirai sincèrement, qu'en raison des délais qui nous sont impartis d'ici l'élection de l'année prochaine, je ne suis pas du tout convaincu – non pas de la pertinence du travail que nous accomplissons, car il est de bon sens –, mais de la capacité, notamment du Gouvernement, à pouvoir prendre en considération les propositions que nous serions susceptibles de formuler dans le cadre de l'examen de ce texte.
Mes chers collègues, je suis avec vous, et je vais tâcher d'avancer comme il se doit. Mais je vous donne rendez-vous aux premiers mois de l'année 2017 pour dresser un premier bilan de l'application de la loi. Il nous faudra être très prudents, très perspicaces et très précis dans l'analyse de la situation afin de ne pas nous tromper. Sinon, les désillusions des populations s'exacerberont, et elles ne nous le pardonneront pas.
Je partage pleinement, mon cher collègue, votre souci de ne pas aller vers des désillusions. Il faut dire encore une fois que l'originalité de ce projet comme son intérêt résident dans l'ambition annoncée et l'engagement pris. Une méthode est décrite, et des outils sont mis à disposition.
En l'absence de mesures à caractère financier, le projet de loi n'aurait pas été complet. C'est la première fois qu'un tel texte est présenté, et je suis de ceux qui considèrent – quand bien même je ne suis pas pleinement satisfait par l'état actuel du texte – que, tous ensemble, nous devons répondre à l'invitation de co-construction et de coproduction de la ministre. Nous pourrons ainsi aboutir à une loi qui satisfera en grande partie des demandes exprimées aujourd'hui, et nous aurons surtout l'occasion, comme l'a suggéré Philippe Naillet, de saisir toutes les opportunités susceptibles de se présenter dans nos collectivités et territoires.
Cette démarche trouvera ensuite sa place dans les plans de convergence. La construction sera contractuelle, avec les collectivités, les organisations, etc. Je pense qu'il faut faire confiance à ce qui nous est proposé, quand bien même le terme de convergence peut être sujet à interprétation.
Nous devons reconnaître le caractère social de ce projet de loi ; en ce sens, il s'agit d'un texte de gauche. J'entends les réserves émises par nos collègues qui considèrent que l'article 40 bloque les initiatives, mais c'est là que le Gouvernement doit tenir son rôle, et j'espère que d'ici le débat en séance publique tel sera le cas.
L'égalité réelle passe aussi par l'économie et l'écologie. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, de nombreuses lois ayant trait à l'économie comportaient un titre consacré aux outre-mer. Il aurait été intéressant que ce texte dise, lui aussi, que l'égalité réelle passe aussi par l'économie. Les départements d'outre-mer sont beaucoup trop dépendants de la Métropole sur les plans alimentaires et énergétiques. Les raisons sont connues, elles ont été pour partie prises en compte par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Pour gagner l'égalité sociale, l'ambition devrait être de réaliser l'égalité économique. Pour ce faire, le meilleur moyen consiste à réduire la dépendance des territoires ultramarins, en développant l'économie locale par la mise en valeur des ressources endogènes. Une telle action appelle des décisions politiques importantes afin de mettre un terme à ces importations, comme celles des cuisses et ailes de poulet, selon qu'il s'agit de la Réunion ou de Mayotte, vendues à bas prix, ce qui n'encourage absolument pas les productions locales.
Tant à la Réunion qu'à Mayotte, j'ai vu des initiatives locales intéressantes avec des produits « pays » ; il faut produire ou transformer ici, mais une réelle impulsion politique doit favoriser ces productions. Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et la citoyenneté, nous avons adopté une mesure prévoyant que la restauration collective devait comporter 40 % de produits locaux, dont 20 % de produits « bio ». La semaine dernière, le Sénat a supprimé cette mesure. Nous y reviendrons.
Si des moyens spécifiques ne sont pas donnés dans les départements d'outre-mer, l'égalité réelle n'y sera jamais réalisée. J'ai visité le lycée agricole de Mayotte : certains élèves doivent marcher pendant plus d'une heure matin et soir pour s'y rendre et en revenir ; certains ne dorment que quelques heures par nuit parce qu'ils doivent travailler ou partager une couche et qu'ils ne sont pas toujours logés dans de bonnes conditions. Dans ces conditions, l'égalité sociale est difficile à réaliser ; il sera difficile d'atteindre le même niveau de formation qu'en métropole. Il ne faut pas taire les réalités ; mais la seule ambition d'atteindre l'égalité sociale ne saurait se suffire à elle-même.
Je suis quelque peu pessimiste quant aux suites qui seront données à ce texte, car aucun des orateurs présents ne s'est exprimé de façon catégoriquement positive à son sujet. Comme notre collègue Gabriel Serville, je ne pensais pas prendre la parole aujourd'hui, toutefois, et nous sommes tous au fait de la situation, la question posée au sujet de toutes les propositions est celle de leur mise en oeuvre.
Je pense qu'il y a eu un problème dans la méthode, la mise en musique. Ainsi, à l'occasion de l'examen de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), des états généraux se sont préalablement tenus, qui ont pris en considération un certain nombre d'éléments, dont l'application devait être immédiate.
L'un de nos collègues a considéré que nos concitoyens attendent une application immédiate. Or la réalisation de l'égalité réelle ne réside pas dans un seul texte. La notion a été ainsi évoquée à l'occasion des débats sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Elle est présente dans tous les textes examinés par notre assemblée : il faut que chacun d'entre eux comporte une partie consacrée à l'outre-mer.
Il ne s'agit pas, cependant, de construire des coquilles où chacun vient faire son marché. Or, nous constatons tous qu'il n'y a pas de visibilité claire. Comme l'ont relevé nos collègues Mme Orphé et M. Houillon, le Gouvernement n'a pas levé le gage pour le moindre de nos amendements dépensiers, pas plus qu'il n'a repris ces amendements à son compte. Or ils portent sur des inégalités financières concrètes. Ce qui me gêne, ainsi, c'est la vision que le Gouvernement porte sur sa politique pour les outre-mer.
Nous sommes tous animés de bonnes intentions, mais ce projet de loi n'est pas à la hauteur de la portée qu'il aurait dû avoir. Je ne remets pas en cause les intentions de la ministre, mais, comme nous tous, j'exprime une grande insatisfaction. Une autre méthodologie, une meilleure vision, aurait peut-être permis un projet de loi mieux adapté.
Lorsque j'évoquais le CICE, j'ai mentionné une problématique caractéristique : au moment où nous avons décliné l'application du pacte de responsabilité, nous avons mis en garde contre la menace directe résultant pour certains territoires de la mise en oeuvre d'un dispositif d'État. La collectivité de Saint-Martin, que je connais bien, a, en vertu de l'article 74 de la Constitution, une compétence fiscale. Avec un statut différent, la Guadeloupe et la Martinique bénéficient, elles, du CICE. Je ne leur conteste pas ce droit, mais j'en constate simplement les conséquences à Saint-Martin : les entreprises qui bénéficient du CICE peuvent concurrencer des entreprises situées sur un territoire également français, mais qui n'est pas soumis aux mêmes règles. Voilà une inégalité flagrante.
Il s'agit de réalités concrètes devant trouver leur solution dans une loi fiscale. Chaque texte qui voudra nous distinguer et nous enfermer dans un carcan particulier reproduira ces problématiques.
Chaque loi applicable à la Métropole devrait comporter des dispositions propres à l'outre-mer, ce qui devrait donner plus de visibilité et de méthode afin de parvenir aux résultats auxquels nous aspirons tous.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour avoir organisé cet échange de vues, comme je remercie nos collègues présents, car il faut saluer leur nombre, qui est inhabituel.
Il est vrai que, de façon exceptionnelle, ils sont très nombreux, mais je ne voulais effaroucher personne, c'est pourquoi je n'ai pas relevé le fait…
Cela prouve que le sujet, controversé ou non, intéresse tous nos collègues, y compris ceux qui ne sont pas ultramarins…
L'exercice sera pour moi difficile. Certains de mes collègues, appartenant à mon groupe, connaissent ma position sur ce projet de loi. Je vais tâcher de faire la part des choses et, là où je crois déceler des carences de méthodologie, faire part de quelques-unes de mes espérances.
Effectivement, l'exposé des motifs expose une certaine philosophie de l'égalité réelle, mais, monsieur le président, bien des noms me gênent. Évoquer Condorcet, le Président de la République et le Premier ministre, qui a commandé un rapport à Victorin Lurel, n'est pas une mauvaise chose ; mais je ne comprends pas la mention d'autres noms dans un texte réputé porté par un gouvernement de gauche.
L'ancien ministre aux outre-mer, Victorin Lurel, a formulé dans son rapport de 2016 des propositions chiffrées et ambitieuses, dont la somme représente des montants considérables. Or, nous savons tous que décliner un tel document en projet de loi constitue un exercice singulièrement difficile. C'est peut-être cela qui nous vaut d'examiner un projet de loi ayant conservé le titre du rapport, mais qui, au fond, ne constitue qu'une méthode, une façon juridique de nous conduire vers l'horizon de l'égalité réelle.
Des outils sont présentés, comme les plans de convergence, et des dispositions sociales applicables à Mayotte, susceptibles d'être enrichies. Ainsi est illustré le décalage entre le rapport très ambitieux d'un ancien ministre, qui réclame de considérables engagements financiers, et sa transcription dans un projet de loi.
Aussi, le Gouvernement devra-t-il assumer ses responsabilités devant le Parlement, en reprenant les amendements tombés sous le coup de l'article 40 de la Constitution ; dans le cas contraire, il lui reviendra d'assumer ses choix. En tant que parlementaires, nous avons fait notre travail en déposant 260 amendements, dont beaucoup ont été considérés comme dépensiers. La coproduction existe, mais le Gouvernement devra répondre à l'attente qu'il a suscitée et que les députés ont exprimée par leurs amendements, ce qui est leur rôle.
J'ai relu la loi de départementalisation de 1946, dont je rappelle qu'elle est constituée de trois articles très clairs et de poids. Elle dit des choses simples : nos colonies sont transformées en départements, et tous les textes de loi promulgués sont applicables aux outre-mer. S'agissant des retraites des agriculteurs par exemple, il suffit d'appliquer cette loi qui existe !
Soixante-dix ans après sa promulgation, nous constatons que son application a été complexe, peut-être parce que le regard jeté sur les outre-mer est par trop hexagonal. Peut-être faudrait-il que ce regard soit porté à partir des outre-mer eux-mêmes, en quelque sorte de l'intérieur. À mes yeux, le réel enjeu de ce projet de loi réside peut-être précisément en cela. Quelles que soient les majorités politiques, il faudrait que la France considère ses outre-mer avec un regard totalement différent : c'est cela la réalité que nous attendons tous, et que nous souhaitons que la France entende. C'est là que réside le véritable enjeu : que l'on nous regarde à partir de chez nous, et non à partir de la Métropole. Ce n'est que sur le fondement d'un tel regard qu'il est possible de comprendre comment répondre de manière spécifique et adaptée.
Dans quelques heures, lors de l'examen du texte par la commission des lois, j'espère faire passer le message : le contrat de plan « Mayotte 2025 » a engagé la signature de l'État ; de son côté, la Guyane a souhaité un accompagnement de l'État dans sa croissance démographique ainsi que dans ses perspectives de développement. Aujourd'hui, nous attendons toujours cet engagement. Nous sommes partisans des points de convergence, mais, si pour la Guyane, d'ici la semaine prochaine aucune date n'est fixée, je vous dirai, mes chers collègues, de ne pas trop faire confiance à ces points de convergence.
Je suis désolée, monsieur le président, d'être aussi crue, mais notre liberté de parlementaires est de dire les choses. Nous appartenons à une majorité dont je suis solidaire ; mais il faut qu'elle entende lorsqu'elle ne répond pas à nos attentes ainsi qu'à celle de nos concitoyens des outre-mer.
En ce qui concerne la collectivité de Wallis-et-Futuna, je considère que ce projet de loi constitue un concept extrêmement ambitieux, formidable avec cette notion d'égalité réelle. Il apporte à ma collectivité, l'espérance de l'égalité. Cette espérance, dans le temps, paraîtra peut-être virtuelle ou utopique. Mais, dans tous les cas, ce texte représente un objectif, et c'est en ce sens qu'il peut constituer un espoir.
La recherche de l'égalité réelle est déjà une réalité dans mon territoire, à 22 000 kilomètres de la Métropole. Tout y est à construire. Je rappelle qu'un récent rapport de la Cour des comptes a considéré que la contribution d'État ne produisait pas tous les effets souhaitables. Il me semble qu'à partir de cette contribution publique, nous pourrions envisager d'autres perspectives de développement, et que l'investissement qu'elle représente pourra être mieux mis à profit.
Je voudrais évoquer la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui me paraît aller déjà dans le sens de l'égalité réelle. En effet, le Gouvernement a bien voulu que Wallis-et-Futuna bénéficie de la péréquation tarifaire. Cette mesure constitue un geste social très important pour notre territoire, car le prix du kilowattheure y est cinq à six fois plus élevé qu'en métropole.
Bien entendu, l'effort demande à être poursuivi dans d'autres domaines, Mme Orphé a évoqué les allocations versées aux personnes âgées. A Wallis-et-Futuna, le montant mensuel de cette prestation s'élève à 70 euros mensuels. J'ai entendu mentionner la somme de 600 euros ; je serais très heureux que mes compatriotes puissent bénéficier d'un tel montant ! Toutefois, je ne perds pas espoir, je considère que ce projet de loi pourrait comporter des points de convergence, des ouvertures susceptibles de nous permettre de tendre à l'égalité sociale. Le titre II consacré au territoire de Mayotte est la preuve qu'il est possible d'avancer dans ce sens ; il constitue la première pierre d'un édifice, qui devra être complété.
Nous devons tendre vers la perspective de l'égalité réelle. A 22 000 kilomètres, nous sommes aussi la France. Je le rappelle, nos territoires d'outre-mer apportent à la France le deuxième domaine mondial de zones économiques exclusives, ce que nous avons trop tendance à oublier. À ce titre, nous méritons d'être pris en considération.
Voilà, monsieur le président, les aspects que je souhaitais souligner. Je me félicite de ce texte dont je considère qu'il constitue un espoir pour nos territoires d'outre-mer.
Quelle suite sera-t-elle donnée à notre débat de ce jour, monsieur le président ? Est-il prévu qu'un compte rendu soit établi ce soir, pour l'examen du texte par la commission des lois ?
Le compte rendu sera rendu public et distribué pour le débat en séance publique, sans pour autant faire l'objet d'un rapport proprement dit, présenté au nom de notre délégation. J'ai organisé cette réunion afin que chacun puisse librement s'exprimer, sans craindre les interprétations malveillantes toujours possibles dans un cadre plus large.
Je partage l'ambition et la volonté qui animent ce projet de loi et transcendent les clivages partisans. Je crains toutefois que les moyens ne soient pas au rendez-vous, et que la montagne n'accouche d'une souris.
Je fais partie de ceux qui ont fait en sorte que ce texte reçoive un avis favorable de la Polynésie, car il me semble que nous posons là une première pierre ; mais cela n'en diminue pas les faiblesses.
Beaucoup de contributions sont venues étoffer le texte du Gouvernement afin de lui donner plus d'envergure ; mais cet apport reste des mots à valeur purement symbolique. On le voit à travers le nombre des amendements adoptés qui demandent la publication de rapports.
Ma critique se veut constructive et non simplement politique. Tous les territoires attendent beaucoup de ce texte, dans un état d'esprit qui dépassera l'opposition entre la gauche et la droite. Nous avons tous travaillé et contribué à l'examen du projet de loi, nous ne pouvons pas nous arrêter au milieu du gué, et j'espère que le Gouvernent saura nous entendre. Je remets quelque peu en question le terme de co-construction, dont je doute ; il serait préférable de parler de coproduction, car nous avons tous participé au travail. La co-construction avec le Gouvernement devrait se traduire par des actes concrets de modification du texte.
Je reconnais volontiers que ce projet de loi présente une structure. D'ici son examen en séance publique, nous devons pouvoir y ajouter des éléments économiques concrets. À cet égard, la continuité territoriale telle qu'elle est présentée me pose problème, et pense que ce sentiment est partagé entre nous : il ne s'agit pas d'économie, il s'agit de passer un contrat gagnant-gagnant, et il me semble que nos collègues métropolitains peuvent nous y aider. Mais comment trouver les clés pour leur expliquer que nous avons besoin de ce portage exceptionnel, doté des moyens dédiés ? Ces moyens doivent être particuliers, et mis en oeuvre rapidement afin que nos territoires puissent déjauger, faute de quoi les outre-mer seront le tonneau des Danaïdes.
Le rattrapage social est fondamental, et je vous soutiens dans cette démarche, même s'il concerne principalement les DOM. Je voudrais souligner, à cet égard, la solidarité des collectivités d'outre-mer (COM), car cela n'est pas toujours réciproque. Il est très difficile pour les COM de comprendre pourquoi les DOM ne bénéficient pas du rattrapage social et n'ont pas les mêmes avantages.
Nous nous accordons tous, je l'entends, à considérer qu'en aidant les territoires à se développer économiquement et durablement, nous diminuerons d'autant le besoin d'aide sociale : c'est là une source d'économie. Encore une fois, il s'agit d'un contrat gagnant-gagnant, c'est pourquoi il faut adopter des mesures exceptionnelles dans le cadre d'un plan économique quinquennal. C'est ainsi que nous aiderons ces territoires à s'en sortir et à rétablir l'équilibre afin d'atteindre plus rapidement l'égalité à laquelle nous sommes tous attachés.
Certes, rien ne sera jamais parfait, l'égalité ne se décrète pas, il n'est pas question d'une égalité absolue, mais d'un horizon ; c'est aussi cela que j'apprécie dans l'approche de Victorin Lurel. Nous devons être ambitieux, et ne pas opposer le social à l'économique. Le social constitue une évidence dont nous ne devrions même pas avoir à discuter ; à cet égard, je comprends mal l'application de l'article 40. Dans le domaine économique, nous devons rapidement identifier ensemble les priorités pour lesquelles il est possible de soutenir massivement des dispositifs efficaces.
Je répète par ailleurs que la continuité territoriale n'a rien à voir avec les préoccupations économiques, elle concerne aussi le domaine social. Ainsi, est-il proposé de rattraper la distance existant en soutenant la mobilité étudiante, mais quelle est la place des entreprises dans ce texte ? Ce ne sont pas les services publics qui font l'économie, ce sont les entreprises qui créent des emplois ; elles sont nos partenaires en termes de développement. J'observe les mauvais traitements dont elles font l'objet dans la mise en oeuvre de la défiscalisation, particulièrement dans les COM ; je constate d'ailleurs un déséquilibre, car les DOM bénéficient du CICE ainsi que des exonérations de charges.
Je souhaiterais que nous puissions avoir une approche innovante et différente, ambitieuse et décomplexée vis-à-vis de nos situations. Cela reviendrait à définir une autre relation entre l'État et nos collectivités, ce que j'ai évoqué lors de l'audition de Mme la ministre. Il s'agit aussi de changer le regard porté sur nos territoires.
Le temps qui nous a été imparti pour examiner ce projet de loi a été court, alors que nous avons besoin de nous pencher sur les moyens que l'outre-mer peut se donner pour changer ce regard. Je soutiens l'amendement relatif au renforcement des moyens de notre délégation qui doit être l'un des outils clés propres à faire entendre la voix de nos territoires au Parlement.
Par-delà ces préoccupations se pose la question du rôle de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM), ainsi que de l'évaluation. Il aurait été bon qu'au-delà des objectifs sociaux et économiques, le projet de loi puisse décliner concrètement les outils qui nous permettront la mise en oeuvre de ces plans. Ainsi, faut-il donner une autre envergure à la CNEPEOM ; le nombre de rapports que nous demandons dans ce texte dénote l'absence totale de statistiques dans pratiquement tous les domaines. Or, sans statistiques fiables, sans suivi et sans évaluations, il n'est pas possible de piloter une quelconque action ; sans diagnostic, il n'est pas possible de prescrire de remède. Un volet pourrait être ajouté au projet de loi, qui porterait sur les moyens exceptionnels que l'État serait susceptible de mettre à la disposition des territoires afin d'améliorer la connaissance, le suivi, l'évaluation et le contrôle.
J'espère que cet échange de vues entre les membres de la délégation pourra être utile, avant l'examen du texte par la commission des lois, qui nous fera entrer dans le détail des mesures.
Je vous remercie, madame Sage, de votre participation, qui, comme toujours, est intéressante, et vise l'efficacité.
Soyez assurés, mes chers collègues, que je saurai me faire, en tant que président de cette délégation, votre porte-parole. Ma tâche est aisée, en l'occurrence, car nos échanges ont été relativement consensuels, même s'il existe des nuances.
Je ne ménagerai pas ma peine, une fois encore, pour faire entendre votre voix, votre désappointement, votre désenchantement, votre déception. Je ferai aussi part de votre volonté d'aller de l'avant, de votre espoir, que je sais partagé. En tout état de cause, je suis persuadé que la co-construction existera.
La séance est levée à 18 heures 45.