Monsieur le président de l’Assemblée nationale, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, le combat pour l’égalité est constitutif de l’histoire de la nation française. Le refuser, le nier, c’est se placer en dehors de la communauté nationale.
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » C’est à l’issue d’une soixantaine d’années de combats incessants que ce texte fondateur fut appliqué à l’ensemble des Françaises et des Français. Après les abolitions de l’esclavage, en 1848, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen possédait enfin une portée universelle, au-dessus des considérations sur l’inégalité des êtres.
Universelles, ces luttes du passé, celles du progrès et de l’égalité, éclairent notre présent et tracent la voie pour l’avenir.
Tout au long de cette partie de l’histoire de France, ces combats se sont heurtés à deux murs. Le premier était érigé par les partisans de l’esclavage, de l’inégalité naturelle entre les hommes, des intérêts financiers, particuliers et égoïstes.
Le second est, quant à lui, beaucoup plus insidieux puisqu’il n’a pas de visage, pas de couleur : il s’agit de la lâcheté collective. On trouve toujours des raisons pour s’accommoder de l’insupportable. Et quand l’injustice est à ce point enracinée dans la nature des choses, on passe alors pour un fauteur de désordre à vouloir la dénoncer.
Victor Schoelcher, lui, avec quelques autres, ne s’est jamais résigné à la fatalité, à une certaine nature excluante des choses. Il fut l’honneur de la République française en s’acharnant à faire aboutir le décret d’abolition. Il avait notamment une conviction : celle que la prudence, les petits calculs, ferment la marche du progrès et qu’au contraire l’audace et le courage sont émancipateurs.
Bien sûr, si les abolitions sont un jaillissement libérateur, il ne faut pas oublier les combats, des siècles durant, de ces milliers d’hommes et de femmes, résistants de l’intérieur, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, en Haïti, à Saint-Louis du Sénégal et partout où l’horreur esclavagiste s’abattait.
Sans le sacrifice des Nèg’marrons risquant leur vie pour la liberté, les combats des résistants de l’intérieur comme Louis Delgrès, longtemps méconnus, souvent occultés, le combat de Schoelcher aurait été bien inaudible.
Plus de 150 ans après, le combat pour la dignité, la fierté, rassemblé dans le combat pour l’égalité, n’est pas terminé. Et c’est pleinement conscient de cet enjeu que le Gouvernement continue de le mener.
Jean-Paul Sartre disait : « Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là. »
Nos 2 750 000 compatriotes résidant outre-mer vivent, au quotidien, les différences de niveau de vie entre leur territoire et l’Hexagone, et nous ne pourrions nous résoudre à leur faire croire que la République, souvent évoquée et invoquée, soit devenue une illusion, surtout pour eux. L’égalité, elle, ne se dilue pas.
Le constat est celui d’écarts et de retards, toujours très importants, avec l’Hexagone : le taux de pauvreté y est encore deux fois plus important – six fois supérieur à Mayotte, où je viens de me rendre en déplacement officiel –, tout comme les taux de chômage. Beaucoup trop de jeunes – entre trois et sept fois plus qu’ailleurs – s’y trouvent en situation d’illettrisme. Quant à la mortalité infantile, les taux constatés dans les DOM sont ceux observés dans l’Hexagone il y a 23 ans. Dans aucun département hexagonal une telle situation ne serait tolérée.
Face à cette dure réalité, le Gouvernement souhaite récuser l’hypocrisie et faire taire une petite musique lancinante, trop souvent entendue : « Les outre-mer coûtent mais ne comptent pas ; on ne peut pas comparer avec la métropole. »
L’apologie de la résignation ne constitue pas notre programme politique. De l’engagisme en Inde à l’apartheid sud-africain, du droit de vote des femmes en France aux droits civiques américains, ce sont les arguments attentistes et les attitudes condescendantes qui ont été opposés aux tenants du progrès. Refusons ensemble cette petite musique, les appels timorés qui tiennent les outre-mer en périphérie de la République.
« Souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais », écrivait Montesquieu. Les outre-mer ont trop attendu et en ont assez de quémander leur dignité. Pour eux, pour nous, pour tous, l’égalité réelle n’a pas vocation à demeurer une lueur aussi lointaine qu’inaccessible. Si tel était le cas, alors la France ne serait plus la France.
Nous voici rassemblés aujourd’hui pour affirmer avec force l’objectif d’égalité réelle. Il y a soixante-dix ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès étaient aussi réunis dans un combat politique pour la reconnaissance des outre-mer et l’affirmation de la République. La loi de départementalisation a permis de franchir des étapes essentielles sur le chemin de l’égalité – des droits sociaux notamment. Mais tous le savaient : sans l’égalité, la liberté est hors de portée des citoyens.
Le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, souhaite aujourd’hui écrire une nouvelle page de cette histoire. Chacun des volets de la loi est une marche, solide, ferme, vers l’égalité.
C’est avec émotion que je monte aujourd’hui à la tribune pour présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer.
Ce texte n’est pas un texte des outre-mer pour les outre-mer. Il s’agit d’un texte de la République, une République qui ne s’arrête pas aux rivages hexagonaux, mais qui affirme ses principes sur tous les océans.
Cet engagement, c’est celui du Président de la République, qui missionna Victorin Lurel pour écrire un rapport dont les enseignements, issus d’une large consultation, ont constitué la base de réflexion du futur projet de loi.
Ainsi, l’oeuvre législative que nous nous apprêtons à bâtir, en un temps record, est le fruit d’un travail collectif que j’ai voulu fidèle à ce que j’avais déclaré lors de mon audition en commission. Et je tiens à remercier tous ceux qui ont permis, en liaison très étroite avec le Gouvernement, d’enrichir substantiellement le texte initial.
Je tiens, à ce titre, à remercier George Pau-Langevin, avec qui j’ai impulsé, avec enthousiasme et détermination, ce projet de loi ; les assemblées locales qui ont été consultées ; le Conseil économique, social et environnemental, pour son avis très pertinent ; les citoyens qui, à travers la consultation numérique, ont exprimé des préoccupations et formulé des propositions.
Plusieurs membres de votre assemblée ont plus particulièrement animé cette réflexion commune et méritent, à ce titre, quelques remerciements : Victorin Lurel, rapporteur, pour sa pugnacité et ses propositions ; Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, pour avoir fait avancer des combats anciens et difficiles ; Serge Letchimy, pour sa connaissance et son expérience du développement territorial et économique ; Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, qui a animé nos travaux avec talent ; Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer, qui a présidé avec sagesse les travaux de celle-ci ; Ibrahim Aboubacar, pour son implication de grande qualité en tant que responsable du groupe socialiste pour ce texte.
Si ce projet de loi est bien sûr un résultat collectif, il me revient de vous en présenter le contenu. Plusieurs lignes de forces le composent.
La première, c’est la définition d’un horizon commun pour les outre-mer ainsi que d’une méthode novatrice et participative.
L’horizon est celui de l’égalité réelle. Il permet de fixer un cadre pour la conduite des politiques publiques dans les outre-mer.
L’égalité est bien sûr inscrite dans nos principes républicains ; mais elle reste encore trop éloignée pour certains Français. Il nous faut donc, ensemble, assurer à toutes les citoyennes et à tous les citoyens, quels que soient leur lieu d’habitation, leur couleur de peau, leur identité culturelle ou cultuelle, les moyens adaptés pour se réaliser et progresser dans notre société, et faire prévaloir la solidarité nationale.
Dès ma nomination au secrétariat d’État à l’égalité réelle auprès du Premier ministre, en février dernier, je l’avais déclaré : l’égalité ne se décrète pas, elle se bâtit. Elle est un processus, un projet de société qui s’inscrit dans une dynamique de moyen et long terme. C’est ce concept que je me suis attachée à promouvoir et qui est aujourd’hui au coeur de nos objectifs.
Le projet de loi contient ainsi des mesures de programmation pour l’égalité réelle et affirme que l’égalité réelle entre les outre-mer et l’Hexagone constitue une priorité pour la nation.
La méthode innovante est celle du plan de convergence. De fait, les plans de convergence permettront de définir une méthode commune entre tous les acteurs pour concrétiser l’égalité réelle. Ils seront le fruit d’un travail de co-construction qui impliquera les citoyens, les associations, les acteurs économiques, les collectivités, les corps constitués. Le travail parlementaire a permis d’ajouter une dimension, celle de l’égalité femmes-hommes, et la lutte contre l’illettrisme aux objectifs stratégiques et au volet opérationnel des plans de convergence. L’association forte des principales collectivités, cosignataires des plans aux cotés de l’État, témoigne bien de la volonté du Gouvernement de donner une réponse adaptée pour chaque territoire car les attentes et les besoins sont partout différents.
La deuxième ligne de force, c’est la poursuite de la marche vers l’égalité sociale.
La recherche de l’égalité sociale constitue un thème toujours actuel et attendu par nos concitoyens ultramarins. Bien sûr, de nombreuses avancées ont eu lieu. Je pense à l’action de Louis Le Pensec combattant pour l’alignement des allocations familiales sur les montants hexagonaux en 1993, trois ans avant l’alignement du SMIC parachevé grâce à l’intervention personnelle du président Chirac. Je pense également à la loi d’orientation pour l’outre-mer qui, sous l’autorité de Lionel Jospin, a procédé en deux ans à un alignement du RMI. Néanmoins, en 2016 encore, l’égalité sociale n’est toujours pas parachevée, contrairement aux idées reçues.
Le projet de loi initial s’est d’abord consacré à l’égalité sociale à Mayotte. Deux articles y améliorent la politique familiale et consolident la mise en place d’un système complet d’assurance vieillesse mais les quatre départements d’outre-mer « historiques » et les trois collectivités d’outre-mer de l’Atlantique où, je viens de le dire, l’égalité sociale n’est toujours pas achevée, ne sont pas oubliés. L’égalité réelle a également vocation à s’appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, dans le respect des statuts de ces collectivités.
J’ai la conviction qu’il n’y a pas de progrès économique sans progrès social. C’est pour cela que j’ai défendu des avancées très importantes lors d’intenses discussions interministérielles grâce au soutien décisif du Président de la République et du Premier ministre. Elles ont été obtenues en matière de complément familial, d’assurance vieillesse du parent au foyer, d’égal accès des travailleurs indépendants aux prestations familiales. Je reviendrai sur ces bonnes nouvelles pendant nos débats.
La troisième ligne de force, c’est de promouvoir et de consolider le développement économique de nos outre-mer. Valoriser les atouts, les compétences et les excellences ultramarines : voilà notre stratégie. Cela passe par une véritable stratégie de croissance pour nos outre-mer. Selon moi, il faut développer une économie productive pleinement insérée dans le projet républicain. Les outre-mer disposent chacun de singularités constituant autant d’atouts pour l’attractivité de ces territoires : montrons-les, revendiquons-les, faisons-les éclore avec fierté, la tête haute.
Je le dis, nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle étape de notre histoire pour qu’un modèle économique et social dynamique, puissant, solidaire, davantage tourné vers l’environnement régional de chaque territoire permette aux ultramarins de libérer pleinement leur potentiel. Ce projet de loi y participe largement.
S’agissant de ces questions économiques, certaines dispositions financières et fiscales ne manqueront pas d’être abordées dès les mois de novembre et de décembre en loi de finances et lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Là aussi, j’y reviendrai dans le cadre de nos discussions.
Les nouvelles opportunités économiques n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans une éthique écologique de préservation de notre environnement, de la biodiversité unique au monde que présentent nos territoires d’outre-mer. C’est pourquoi je me réjouis que le travail parlementaire ait pu enrichir le projet de loi à travers des dispositions en ce sens.
La quatrième ligne de force, enfin, consiste à construire une connectivité au service de nos territoires et de leurs habitants. Nous souhaitons agir en faveur de la mobilité et de la continuité territoriale et numérique : c’est la clé d’une intégration pleine et entière des outre-mer dans la République, mais aussi d’une connexion des DOM et des COM avec leur environnement régional.
Pour compléter les dispositifs en faveur de la jeunesse ultramarine, le projet de loi définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité – LADOM. Par exemple, à Mayotte, je propose de renforcer l’accès des personnes à la formation puis à des emplois de haut niveau avec un dispositif de type « cadres avenir », inspiré du modèle calédonien mis en place avec succès sous l’égide de Michel Rocard.
Mais, au-delà des mobilités traditionnelles « vers l’Hexagone », il faut aussi rendre la mobilité réciproque. Concrètement, les ultramarins partis en étude, en formation ou en stage pourront désormais être aidés pour le retour dans leur collectivité d’origine jusqu’à cinq ans après la fin de leur formation ou de leur stage. Un territoire ne saurait se développer s’il se vide de ses forces vives. C’est pourquoi il me semble important de casser une fatalité historique, celle d’un aller sans retour pour les ultramarins.