Monsieur le président, je vous remercie pour votre présence en ouverture de cette discussion. Nous sommes très sensibles à cette marque que je dirais presque d’affection.
Madame la ministre – chère Ericka –, madame et monsieur les rapporteurs pour avis – chère Monique, cher Serge –, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation aux outre-mer – cher Jean-Claude –, mesdames et messieurs, chers collègues, je suis né voilà longtemps d’une famille nombreuse d’origine modeste. Je sais ce que je dois à la République.
Cette République, c’est celle qui, en 1848, garantissait à mes ancêtres, après de longues luttes, une égalité civique. C’est celle qui, en 1946, permettait à Léopold Bissol, Gaston Monnerville, Raymond Vergès et Aimé Césaire de s’unir pour demander et obtenir une égalité administrative et institutionnelle des quatre vieilles colonies de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion. Cette République, c’est celle qui, sous le gouvernement de Lionel Jospin et la présidence de Jacques Chirac, a permis la conquête de nouveaux droits sociaux pour nos concitoyens ultramarins. Si la France est d’abord et surtout une idée, c’est la République qui en garantit la traduction concrète.
Voici une trentaine d’années que je suis engagé dans la vie politique et je n’ai pas perdu mes rêves. Nous sommes tous ici des républicains, non pas pour des raisons institutionnelles ou économiques mais parce que nous croyons à la promesse de la République, qui se résume souvent dans le triptyque « liberté, égalité, fraternité ». Bien plus qu’une devise, c’est le fondement de notre appartenance à une même nation. Mon rêve, aujourd’hui, est donc bien de contribuer, avec mes collègues et ce gouvernement, à offrir après l’égalité civique, politique et sociale, une égalité économique et sociale réelle permettant la convergence des niveaux de vie des ultramarins – terme que je n’aime pas trop – vers le niveau de vie national.
Il ne s’agit pas là d’un projet égalitariste mais bien d’une politique de réelle égalité des chances. Il ne s’agit point d’obtenir les mêmes chiffres, à la virgule près : ce serait utopique. Pour parler comme les statisticiens, il s’agit de se situer dans un intervalle de confiance autour des standards et moyennes nationaux.
Ainsi, j’assume l’idée selon laquelle, si la République offre à tous ses citoyens une égalité continue des chances tout au long de leur vie, il pourrait à terme exister des inégalités considérées comme justes – je sais que cela peut choquer – parce que justifiées par le mérite ou le talent de celles et ceux qui auront su saisir les opportunités de réussir leur parcours de vie, de citoyenneté, de scolarité ou leur parcours professionnel, que sais-je encore.
Parler aujourd’hui d’égalité réelle, ce n’est pas reconnaître qu’il existerait une égalité virtuelle – certains ont évoqué une égalité irréelle – mais admettre qu’il existe encore dans certains territoires français des inégalités bien réelles, externes et internes, qui n’offrent pas les mêmes chances à tous les enfants de la République de s’émanciper et de s’épanouir.
Je ne reviendrai pas sur les nombreux chiffres qui témoignent de ce phénomène, mais je tiens à affirmer qu’en dépit d’indéniables progrès, de forts écarts persistent entre les outre-mer et l’Hexagone, essentiellement dans le domaine socio-économique.
En tant que représentants de la nation et élus de terrain, tous les membres de cette assemblée peuvent comprendre l’engagement des élus ultramarins, qui sont confrontés quotidiennement à la souffrance de nos concitoyens. Imaginez que partout en France plus de 50 % des jeunes soient sans emploi ; que la richesse par habitant soit de 30 % à 73 % inférieure à la moyenne nationale actuelle ; que le taux de pauvreté atteigne partout 92 %, comme c’est le cas à Mayotte ; que l’écart de richesse entre les plus pauvres et les plus fortunés soit contenu non pas dans un rapport de un à trois, mais de un à dix, comme c’est le cas en Guyane. Si c’était le cas, la France tout entière serait au bord de l’implosion, voire de l’explosion. Et pourtant c’est cette France que nous, députés ultramarins, rencontrons tous les jours dans nos circonscriptions.
Il ne s’agit point, ici, de sombrer dans le dolorisme, ni de demander quelque assistance ; il s’agit de respecter une promesse républicaine : celle de l’égalité réelle. J’y insiste : ce texte répond donc à une promesse, celle de la République.
Ce texte répond aussi à une ambition, celle du Président de la République et du Gouvernement : celle d’assurer, sur une génération, l’égalité des chances entre tous les Français, quels que soient les statuts et régimes législatifs sous lesquels ils vivent. Comme l’a dit le Président de la République, l’égalité transcende les statuts. Cette quête de l’égalité est une question sociale lancinante, récurrente et parfois obsédante pour la famille politique à laquelle j’appartiens – mais aussi pour toutes les populations de nos outre-mer.
Dès 2007, réagissant aux injustices et aux inégalités qui étaient devenues insupportables, François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste, signait un éditorial dans le cadre de la campagne présidentielle, pour qu’une nouvelle frontière soit atteinte outre-mer : celle de l’égalité réelle. Cinq ans plus tard, François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, s’engageait – c’était l’engagement no 29 de son programme présidentiel – en faveur d’« un nouveau modèle de développement de l’outre-mer », comportant notamment un programme d’investissement. Le peuple a souscrit à cet engagement du candidat de 2012 ; il nous revient à présent, à nous parlementaires, de lui donner corps.
Cette intervention me donne l’occasion de vous remercier, madame la ministre – et, au-delà, de remercier aussi le Président de la République et le Premier ministre –, pour m’avoir confié la lourde tâche de préfigurer un texte de loi pour l’égalité réelle outre-mer, texte censé dessiner les contours d’une politique volontariste de long terme pour nos territoires. Je tiens également à saluer l’engagement de votre prédécesseur, George Pau-Langevin, qui s’est pleinement engagée pour ce grand projet. Selon leur volonté, j’ai, pendant plus de huit mois, largement consulté les élus, de manière transpartisane. J’ai également consulté les forces vives et les experts, pour aboutir à la remise d’un rapport que j’ose qualifier d’ambitieux et de courageux.
Ambitieux, car il s’agissait d’engager un travail sans précédent de recensement des inégalités affectant l’outre-mer, tant vis-à-vis de l’Hexagone que sur le plan interne. Le rapport dresse ainsi la liste de l’ensemble des inégalités en matière de dépenses d’investissements, d’infrastructures de base, d’accès aux services publics et de prestations sociales. Outre cet inventaire des retards accumulés, qui hypothèquent bien souvent l’avenir de nos territoires, il importait de démontrer en quoi ces inégalités – parfois criantes – avec l’Hexagone sont dues à un important retard initial qu’il a été difficile de combler, en raison de la pression démographique et des bouleversements des modes de vie. À cause de ces deux facteurs, pendant des décennies, chaque investissement réalisé s’avérait insuffisant après quelques années.
J’avoue avoir aussi réalisé ce diagnostic exhaustif afin d’enterrer un certain nombre de poncifs, largement répandus ici, en France hexagonale, au sujet du prétendu coût des outre-mer. Il faut combattre ce cartiérisme lancinant qui s’exprime un peu partout. Le rapport révèle ainsi que, contrairement aux idées reçues, les dépenses d’investissement de l’État par habitant sont en moyenne inférieures d’un tiers en outre-mer par rapport aux sommes dépensées dans l’Hexagone. Ainsi, l’effet multiplicateur des dépenses publiques d’investissement de l’État – élément lié au développement de l’activité économique – bénéficie proportionnellement davantage à l’Hexagone qu’aux territoires ultramarins. Ces données m’ont conduit à plaider en faveur d’un rééquilibrage important des dépenses de l’État outre-mer.
Pour établir notre diagnostic, nous ne pouvions, par ailleurs, ignorer une autre caractéristique des outre-mer : le fait que ces territoires ont été dès l’origine des terres profondément et institutionnellement inégalitaires. Le statut des populations autochtones – soumises au code de l’indigénat –, des populations réduites en esclavage – soumises au « code noir » –, des bagnards – soumis au travail forcé, aboli il y a soixante-dix ans par la loi Houphouët-Boigny – illustrent cette profonde inégalité originelle. Dans ces terres de violence, la condition humaine a longtemps et profondément été marquée par une inégalité voulue ; la marche vers l’égalité ne pouvait donc qu’être longue et difficile.
Après avoir dressé ce constat, terrifiant à de nombreux égards, il me fallait proposer une trajectoire de réformes durables. Tout au long des travaux, j’ai recherché le consensus, sans pour autant tomber dans la facilité, qui aurait consisté à ne proposer qu’un catalogue de mesures timides, comme l’évoquait Mme la ministre. Le rapport a donc proposé au Gouvernement de faire adopter par le Parlement une loi d’orientation relative à l’égalité réelle outre-mer, comportant un volet interne et un volet externe de réduction des inégalités. Il vise, au-delà, à faire de cette politique une priorité pour la nation.
Concrètement, nous proposions de décliner, dans des plans de convergence, des engagements contractualisés entre les collectivités intéressées et l’État. Les travaux de la commission des lois ont permis de concrétiser cette proposition, en créant les plans de convergence, qui seront de nouveaux instruments de planification pluriannuels à la disposition de l’État et des collectivités. Conclus pour des durées inédites par leur ampleur – de dix à vingt ans –, ils se placeront dans une perspective transverse de long terme. Votre commission a, par ailleurs, souhaité décliner ces plans de convergence en contrats de convergence. Conclus pour des durées plus courtes – six années au maximum –, ces contrats devront constituer les actions opérationnelles des plans.
Dans le rapport, je proposais que les plans de convergence définissent les politiques publiques à mettre en oeuvre pour corriger les inégalités externes et internes, ainsi que les moyens budgétaires et fiscaux nécessaires à leur réalisation. Cette orientation a été reprise dans le projet de loi. Les travaux de la commission ont permis de renforcer les dispositifs d’évaluation de la mise en oeuvre de ce texte, par la publication de rapports annuels par la CNEPEOM – la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer – et par la possibilité, pour les chambres régionales des comptes, de suivre la programmation financière des engagements, et pour les préfets, de vérifier la sincérité des documents budgétaires soumis à leur contrôle. Ces éléments permettent de répondre à l’une des questions posées par Philippe Gomes.
Je ne vous présenterai pas dans le détail toutes ces recommandations et ces propositions, mais j’insisterai sur quelques mesures qui sont à mes yeux capitales. Nous préconisions, tout d’abord, d’établir une égalité réelle en matière de droits sociaux, en alignant progressivement le niveau de certaines prestations sociales avec la France métropolitaine. Le Gouvernement vient de répondre à cette demande par la voix de Mme la ministre. Les différences actuelles de niveau entre les prestations sociales sont en effet des discriminations qui participent fortement au sentiment d’inégalité. Sans préjuger de l’issue des débats, je crois pouvoir dire que cet alignement est désormais acquis.
Nous proposions de mettre à niveau les infrastructures de base : les collèges et lycées, les réseaux numériques, d’électricité, d’alimentation en eau potable et d’assainissement, et les transports publics. Nous préconisions, enfin, diverses mesures pour déclencher un véritable big bang économique, en décrétant l’état d’urgence sociale. Ce sera désormais intégré dans les plans et les contrats de convergence soumis à votre agrément.
Au terme de longs mois de travail, et après avoir été digéré – si vous me passez l’expression – par les différents ministères, c’est ce rapport qui a inspiré le texte dont nous sommes saisis. Grâce à la créativité de nos collègues, ce texte est aussi le fruit d’une belle coproduction législative : le projet de loi déposé par le Gouvernement ne comptait que 15 articles, répartis en quatre titres ; le texte adopté par la commission en compte 91 – et non pas 112 comme je l’ai entendu dire –, répartis en treize titres.
Je le répète : ce projet de loi ne doit pas être le lancement d’une simple politique de rattrapage, qui tendrait à plaquer sur des populations et des territoires différents un modèle de développement uniforme. Il s’agit bien de changer de prisme, et de mettre en place des actions adaptées à chaque territoire, par des stratégies de convergence adaptées aux besoins des populations et aux réalités des territoires.
Des investissements massifs sont nécessaires, notamment en matière d’infrastructures et d’alignement des droits sociaux – il faudra, pour cela, solliciter exceptionnellement les leviers de la solidarité nationale. Mais au-delà de ces investissements, nous souhaitons donner une forte impulsion pour lancer une dynamique de croissance territoriale propre et auto-entretenue. Nous avons confiance en l’émancipation de ces territoires, au sein de notre République, et cette confiance est nécessaire pour que nos compatriotes ultramarins s’approprient ce texte, les nouvelles libertés qu’il offre et les nouveaux droits qu’il octroie.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris : par ce texte, nous ambitionnons d’ouvrir de nouvelles voies au progrès, à un progrès social, économique et culturel, soutenu par les mécanismes de la solidarité nationale, pour offrir à chacun les mêmes chances de réussir, et à chaque territoire les moyens de définir ses propres voies de développement au sein de la République.
Vous le savez, je ne crois pas au grand soir. Je ne partage pas l’idée selon laquelle seul un choc brutal, qu’il soit institutionnel ou économique, permettrait d’améliorer la vie des gens. La révolution des esprits, des pratiques et des vies se fait à petit pas, sûrement mais irréversiblement. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui s’inscrit dans cette démarche.
Il me semble que nous, parlementaires, avons pris la mesure de l’enjeu, de l’ampleur de la tâche qui nous est assignée. Dès l’examen de ce texte en commission, nombre de députés, de tous les bords politiques, ont souhaité apporter leur pierre à ce grand édifice. Faisant pièce à l’idée selon laquelle ce texte serait l’occasion de pointer la responsabilité des retards de développement accumulés depuis de trop nombreuses années, nous l’avons collectivement, substantiellement et de manière responsable, enrichi. Notre commission a notamment apporté une attention particulière aux amendements déposés par nos collègues de l’opposition : nombre d’entre eux ont été adoptés. Au-delà des critiques et des déceptions, il importe, alors que nous entamons le débat en séance publique, de poursuivre ce travail d’enrichissement.
Beaucoup de mesures concrètes, tant en matière économique qu’en matière sociale et culturelle, ont été inscrites dans ce texte ; je tiens à en remercier mes collègues. Je pense à l’égalité de représentativité des syndicats locaux : longtemps attendue par nombre de travailleurs ultramarins et leurs syndicalistes, cette reconnaissance syndicale est l’oeuvre de cette majorité. Je pense au renforcement des continuités postale et funéraire, évoquées par Mme la ministre, qui permettront de donner du pouvoir d’achat et de soulager financièrement des familles endeuillées. Je pense aux nouvelles opportunités offertes aux acteurs économiques et institutionnels pour engager une nouvelle dynamique de croissance propre.
Citons, à ce sujet, l’extension du champ de collecte du fonds d’investissement de proximité dans les départements d’outre-mer – le FIP-DOM –, le renforcement de la lutte contre la vie chère, la reconnaissance de la pluriactivité, la création à terme de zones franches globales, l’introduction de mesures fiscales destinées à redonner du souffle aux entreprises et à relancer la construction. Citons encore la création d’un Small business act outre-mer pour ouvrir de nouveaux marchés à nos entreprises locales. Citons enfin le raccourcissement des délais de paiement, qui permettra de soulager la trésorerie de nos entreprises.
Je tiens à remercier du fond du coeur Mme la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts. Je tiens à saluer, à cette tribune, l’ardeur et la pugnacité avec lesquelles elle a travaillé depuis sa nomination en qualité de secrétaire d’État chargée de l’égalité réelle – intitulé prémonitoire ! – et sa nomination, plus récente, au ministère de l’outre-mer.
J’ai le sentiment qu’au terme de nos travaux, nous nous serons hissés à la hauteur de la promesse dont je parlais au début de mon intervention. Cette loi sera belle et grande.