Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a soixante-dix ans, à cette tribune, s’exprimait Aimé Césaire. Soutenu par les députés de la Guadeloupe et de La Réunion, il revendiquait le droit à l’égalité. Soixante-dix ans après, les choses ont changé ; nous avons parcouru un très long chemin.
Aimé Césaire ne demandait ni l’assimilation – il faut le rappeler clairement – ni l’aliénation, mais la départementalisation – néologisme dont il fut l’auteur. Il y avait alors une très forte attente en matière d’égalité. Il s’agissait non seulement de droits sociaux, mais aussi de droits civiques, politiques et économiques. Cette égalité a été acquise par des efforts menés au niveau national, mais aussi par des combats, des luttes sociales très dures : jusqu’à présent, on n’a pu dénombrer les personnes mortes lors des événements de mai 1967 en Guadeloupe, et l’on se rappelle aussi les tueries survenues en décembre 1959 en Martinique.
Aujourd’hui, soixante-dix ans après l’intervention d’Aimé Césaire, on ne peut pas dire que l’égalité ait été atteinte. Comment accepter que, sur beaucoup de plans – c’est le moins que l’on puisse dire –, des inégalités persistent ?
Je prendrai plusieurs exemples en matière de droits sociaux : le montant du complément familial, qui diffère pour ce qui est du plafond et des conditions d’attribution ; les bénéficiaires de petites retraites, qui sont en grande difficulté ; le minimum vieillesse, dont le nombre d’attributaires est trois à quatre fois supérieur ; l’assurance vieillesse du parent au foyer ; quant à l’aide personnalisée au logement, elle n’est généralement pas appliquée et, lorsqu’elle l’est, c’est dans des conditions d’inégalité assez remarquables.
De surcroît – Mme la ministre et Victorin Lurel l’ont rappelé –, le contexte socio-économique est extrêmement difficile outre-mer : proportionnellement, nous avons trois fois plus de chômeurs que dans l’Hexagone, notamment pour les jeunes. Je ne parle même pas de Mayotte, où le taux est encore plus élevé – à cet égard, je salue les initiatives prises dans ce texte en faveur de l’île. Le PIB est inférieur de 30 %, le taux d’illettrisme très élevé, tandis que – Victorin Lurel l’a souligné – une dépense publique en matière d’investissements de l’État inférieure de 30 % par rapport au niveau national.
Il est donc important de rappeler, madame la ministre, que, à la suite du rapport de Victorin Lurel, vous avez, avec le Gouvernement et le président François Hollande, franchi une nouvelle étape. En effet – il faut le dire très clairement et c’est le message que je veux faire passer ici –, vous sortez les outre-mer, lesquels ont connu une longue errance et ont dû mener un dur combat, de leur difficulté d’accès à ce qui constitue pourtant un droit. Il faut, selon moi, que ce texte représente un socle, une fondation inébranlable pour la suite, tout en sachant que les délais de convergence pourront être déclinés localement. Si tel n’était pas le cas, on raterait quelque chose d’important. C’est pourquoi je salue l’initiative du Gouvernement, mais aussi l’ambition qu’il a affichée pendant la préparation de ce texte et nos débats en commission, car au début certaines de ses propositions n’étaient pas suffisantes. L’ouverture du Gouvernement nous permet tout à la fois d’avoir un socle pour l’accès à l’égalité et des perspectives de croissance et de développement relativement importantes.
Je l’ai déjà dit très souvent, comme vous-même à l’instant madame la ministre : l’égalité ne se décrète pas, elle se conquiert. À ce titre, l’égalité n’est pas ce qui gomme les différences. En effet, elle n’efface pas les retards d’un coup. Mais elle est ce qui, dans la diversité, émerge d’une égale dignité, de la même capacité d’agir, d’imaginer, d’intervenir sur son destin, d’actionner toutes les interdépendances ; elle se nourrit des capacités d’initiative et de responsabilité. Pour cette raison, je dis oui à l’égalité réelle, mais oui aussi au progrès interne, au développement endogène, à l’émancipation économique. Les deux sont absolument nécessaires car ne parler que d’égalité et pas de développement risque d’imposer des limites à la réalisation du projet.
Je considère donc que ce texte n’est qu’un début. Vous avez dit, madame la ministre, qu’il s’agit avant tout d’un socle, d’une fondation. Aussi faut-il absolument que notre débat ouvre des perspectives s’agissant du soutien à la pluriactivité, de l’appui à une politique de logement beaucoup plus audacieuse, de la sécurisation des investissements, notamment à travers la programmation de la loi d’orientation pour le développement économique des outre-mer – la LODEOM –, de l’économie circulaire, de la détaxe – avec, certainement, l’extension des zones franches – et du soutien au BTP, pour parvenir à un dispositif de mutation économique souhaité par tout le monde.
Pour conclure, je me référerai à Condorcet : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle. » C’est la voie de la liberté et du progrès que vous allez ouvrir, mes chers collègues. C’est pour cela que je vous invite, ainsi que l’ensemble des parlementaires et non seulement le Gouvernement, à l’audace, et le peuple de l’outre-mer à l’innovation, à faire preuve d’un sens de l’initiative et de détermination parce que sa propre survie est en jeu.