Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « l’aspiration des Réunionnais à l’égalité est constante. C’est en son nom que tant de batailles ont été menées. Égalité entre ceux, de toutes origines, qui sont venus, de gré ou de force, vivre sur cette terre. Égalité des droits sociaux, égalité entre les hommes et les femmes. Égalité, toutes les égalités. Il n’est rien à quoi les jeunes aspirent davantage en ces temps où la juste émulation a été vicieusement remplacée par une compétition brutale qui fait de chacun l’ennemi de tous ». Voilà les mots que j’avais prononcés à l’intention du candidat François Hollande alors en déplacement à La Réunion. C’était, vous vous en souvenez, madame la ministre, à Champ-Fleuri, en mars 2010. S’il ne me revient pas de dire si ce texte constitue une réponse à la réalité ainsi exprimée il y a un peu plus de cinq ans, il est évident que la loi qui résultera de nos travaux sera examinée et évaluée avec la plus grande minutie.
Ce projet est un défi. Il arrive à un moment où les écarts ne cessent de s’accroître partout dans le monde et où, dans les outre-mer, de nouvelles inégalités s’ajoutent aux anciennes. Relancer la marche vers l’égalité suppose donc une volonté politique durable, soucieuse de redonner du souffle à un processus en perte de vitesse. Autrement dit, nos travaux devront déboucher sur une loi qui s’inscrive dans la longue durée, sur une loi qui inspire, qui irrigue, qui impulse.
Qu’on le veuille ou non, la référence qui s’impose à nous aujourd’hui est la loi de 1946, à l’origine des transformations les plus importantes enregistrées par nos territoires. Mais soixante-dix ans plus tard, nous légiférons dans un contexte différent par au moins trois aspects : d’abord, l’absence de ferveur populaire ; ensuite, des moyens budgétaires contraints ; enfin, une économie mondialisée et dominée par la finance.
Nous devons avoir conscience de ce qui reste à faire pour que les citoyens s’approprient cette nouvelle loi car chacun sait qu’il s’agit là d’un puissant gage de réussite de toute politique. Par définition, l’égalité réelle ne se limite pas au seul rattrapage. Si elle vise à la résorption des trop nombreux écarts qui persistent à des niveaux élevés, elle récuse d’emblée la voie de l’uniformisation.
L’égalité réelle est antithétique à l’assimilation. Elle est un appel à innover. S’inscrire dans ce mouvement, c’est d’abord réfléchir et agir à partir de nous-mêmes. C’est, comme aurait dit Charles Péguy, s’inspirer de notre réalité réelle. C’est permettre à l’ensemble de nos potentialités de se déployer. C’est lever les obstacles qui bloquent le développement. À cet égard, la récente jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui vient s’ajouter aux procédures nationales d’expérimentation et surtout d’habilitation, ouvre des perspectives d’adaptation que nous devons saisir sans frilosité.
L’égalité réelle c’est aussi, je le répète, les retrouvailles avec la géographie. Celle-ci a été la grande oubliée de ces dernières décennies. Le développement de La Réunion passera nécessairement par l’articulation la plus juste entre nos deux appartenances, à l’océan Indien et à l’Union européenne. Ce texte est l’occasion d’acter de manière officielle la fin des oppositions binaires mais aussi stériles.
Retrouver la géographie, c’est inscrire réellement nos territoires dans leur environnement et nous engager de manière plus déterminée dans la coopération régionale. C’est devenir des acteurs de la politique européenne de grand voisinage. C’est participer aux échanges Sud-Sud, qui ne cessent de s’intensifier. C’est considérer à nouveau notre domaine maritime et ses immenses potentialités.
Réaffirmer la géographie impose une politique exigeante en faveur de tous les désenclavements, qu’ils soient aériens, maritimes ou encore numériques. Ce que l’on appelle désormais les « connectivités » doit également être considéré comme un facteur de production.
Les Réunionnais savent à quel point une politique aérienne inadaptée et onéreuse est un obstacle à leur mobilité et un verrou pour la production locale. Ils savent aussi que le numérique mérite la plus grande attention car cette technologie offre enfin l’occasion de lever toutes les difficultés liées à l’éloignement, à l’insularité, à l’absence d’économie d’échelle, à ces fameux handicaps structurels qui entravent la création de richesses et d’emplois.
Mais force est de constater qu’en dépit de leur apparition relativement récente, ces technologies donnent déjà lieu à des inégalités. Alors que, d’une certaine manière, tous les territoires se trouvent sur la même ligne de départ, les outre-mer subissent déjà la fracture numérique. La continuité numérique, comme tout ce qui concourt au désenclavement, devra être un marqueur fort de l’égalité réelle.
« La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut naître », écrit Gramsci. Puissions-nous, tout au long de ces débats, ne pas oublier ce propos.