Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer, soumis à notre examen cet après-midi, part du constat que les écarts de niveaux de vie entre nos territoires ultramarins et l’Hexagone demeurent considérables et qu’ils justifient une action volontariste en faveur de l’égalité réelle pour les outre-mer.
Soixante-dix ans après la départementalisation, vingt ans après l’égalité sociale, nos outre-mer restent la lanterne rouge des territoires de la République, comme l’illustrent la grande majorité des indicateurs socio-économiques : un actif sur cinq au chômage dans les départements d’outre-mer, une jeunesse aux abois, un taux de pauvreté trois à quatre fois plus élevé que dans l’Hexagone, une crise du logement sans précédent, des retards considérables en matière de santé, d’éducation, de développement économique… J’arrête là l’inventaire à la Prévert de nos handicaps : celles et ceux qui siègent dans l’hémicycle aujourd’hui n’en sont que trop conscients.
Quel que soit notre camp politique, nous nous accordons à dire que notre collègue Victorin Lurel avait proposé il y a quelques mois dans son rapport un état des lieux précis et des pistes de réflexion audacieuses. Comme nombre de parlementaires sans doute, la très faible traduction des recommandations de ce rapport dans le projet de loi est loin de me satisfaire. Difficile de voir, dans la version initiale proposée par le Gouvernement, autre chose qu’un texte pauvre, à visée clairement électoraliste, pour des outre-mer purement et simplement instrumentalisés à quelques mois de l’élection présidentielle – mais passons.
Le texte promet de réduire, à un horizon de dix ou vingt ans, les écarts de développement entre les populations des outre-mer et celles de l’Hexagone – un objectif, soit dit en passant, particulièrement audacieux vu le niveau de croissance actuel de notre pays et la crise démographique outre-mer. Cela passerait par la mise en place de plans de convergence, élaborés et contractualisés à l’échelle de chaque territoire ; ces plans seraient ensuite déclinés en contrats de convergence de six ans entre l’État et les collectivités locales, avec des objectifs contraignants et des contrôles sur l’état d’avancement de la réalisation de ces objectifs.
Ces contrats et ces plans ne pourront, à mon sens, faire l’économie, en amont, d’une collecte de statistiques et de données fiables. Un travail important de mise en place et de coordination des outils statistiques doit être fait dans nos territoires si l’on veut viser un réel objectif d’efficacité. Certes, les articles 52 à 54 du texte de la commission traitent de dispositions relatives à la statistique et à la collecte de données, mais j’insiste sur ce point : il faut dresser au préalable un véritable état des lieux des collectes de statistiques et de données dans les territoires ultramarins. Il faut faire fonctionner efficacement ces outils. On a pu constater, au cours des débats en commission des lois, mardi dernier, que ce sujet préoccupait l’ensemble des parlementaires des outre-mer et j’attends du Gouvernement une vraie mobilisation sur ce sujet, crucial pour nos territoires.
Plus spécifiquement, pour les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, il m’apparaît nécessaire qu’un véritable état des lieux des transferts de charges et de compétences soit réalisé. Sans statistiques fiables et sans état des lieux des transferts de charges et de compétences, les dispositions du présent texte n’auraient purement et simplement aucun sens. Les collectivités d’outre-mer naviguent à vue depuis trop longtemps ; si l’on veut leur donner les moyens de piloter des politiques publiques dignes de ce nom, d’élaborer des plans et des contrats de convergence, il faut au préalable leur fournir des outils solides.
En outre, alors que ce texte aurait dû prendre la relève de la loi de développement économique des outre-mer, on ne peut, à ce stade de la discussion, que regretter la faiblesse des aspects économiques, même à l’issue de l’examen du texte par la commission des lois. Si l’on peut trouver des défauts à la LODEOM – elle a ses limites, j’en conviens –, au moins avait-elle l’intérêt de stimuler l’initiative privée. Or je ne retrouve pas cette dimension dans la présente loi de programmation, laquelle, en outre, ne met pas assez de garde-fous aux écarts de développement entre nos territoires ultramarins. L’activité, la croissance et l’emploi ne se décrètent pas. Pour en favoriser l’essor, l’État doit offrir aux outre-mer des conditions favorables à leur développement, en dépassant la simple transposition de schémas hexagonaux, en sortant de l’alignement sur un modèle métropolitain, pour s’engager dans une autre voie, à l’écoute des potentialités propres à chaque territoire.
Reste que le texte du Gouvernement, fortement amendé par la commission des lois la semaine dernière, propose fort heureusement quelques avancées pour nos territoires ultramarins. Je pense ainsi à l’objectif de construction de 150 000 logements dans nos outre-mer dans les dix prochaines années, au rapport visant à la mise en oeuvre de zones franches globales d’ici au 1er janvier 2019, en substitution aux dispositifs actuels, ou à l’intégration du secteur du bâtiment et des travaux publics dans les secteurs prioritaires de la LODEOM. Je pense aussi aux mesures en faveur des étudiants, aux dispositifs de lutte contre l’alcoolisme, comme l’interdiction de l’affichage publicitaire pour les boissons alcoolisées près des écoles, ou encore aux mesures contre les violences faites aux femmes.
Nous sommes donc passés d’un texte initial pauvre à un texte issu de la commission extrêmement dense, parfois verbeux. Le Gouvernement s’est clairement déchargé de sa responsabilité d’écrire la loi en ouvrant les vannes aux amendements – quelque 200 amendements restent d’ailleurs à discuter en séance publique. Ce texte, que je qualifierai de « fourre-tout », comporte certes de bonnes dispositions et des avancées pour les outre-mer, mais aurait mérité d’être mieux préparé en amont afin, notamment, de mieux mesurer l’impact et le coût éventuel des nouvelles mesures.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains réserve sa position sur ce projet de loi, qui aurait dû faire consensus et favoriser un véritable développement économique des outre-mer en libérant la croissance et l’emploi, mais qui n’est pas, à ce stade, à la hauteur des enjeux soulevés par la situation des outre-mer.