Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du 4 octobre 2016 à 15h00
Égalité réelle outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, « la France a toujours cru que l’égalité consiste à trancher ce qui dépasse », disait l’académicien Jean Cocteau. C’est, hélas, ce que m’inspire pour l’instant le présent texte, qui, au-delà des grandes déclarations d’intention, n’apparaît pas à même de satisfaire l’ambition d’un développement endogène.

L’égalité réelle est un mythe ou un Graal fondé sur le principe d’une convergence vers un modèle – celui de la métropole – présenté comme un idéal. Mais en quoi la réduction des écarts entre nos territoires et la France devrait-elle constituer, pour nous, la voie du salut ? Un tel modèle, à son apogée, conduirait irrémédiablement à la destruction de nos identités et de nos cultures. On dit souvent que nous sommes une richesse ou un atout pour la France ; mais je refuse, pour ma part, de n’être que cela : je veux avant tout être une richesse pour moi-même, pour mon pays, pour mon peuple, de façon à devenir, aussi, une richesse pour la France et pour l’Europe.

Nous faisons fausse route. Une vision prospective impose de rompre définitivement avec l’analyse de nos difficultés structurelles en termes d’écarts ou de retards de développement par rapport à une métropole idéalisée, et de les analyser objectivement en termes de blocages du développement. Les plans de convergence visent à faire de nous des photocopies d’un modèle situé de l’autre côté de l’Atlantique : ils n’ont pas pour vocation de lever ces blocages.

Pour défaire les territoires ultramarins de leurs carcans, nous devons résolument opter pour des plans de développement réels, pensés, élaborés et mis en oeuvre par les acteurs locaux, en concertation avec l’État. Ce développement réel suppose de réduire la dépendance, de sortir de la logique de surconsommation et d’améliorer les taux de couverture entre importations et exportations ; de favoriser l’émergence d’une agriculture nourricière plutôt que d’exportation, et de permettre l’autosuffisance alimentaire ; de faire en sorte qu’il y ait moins de profitation et de casser les monopoles dont les abus impactent cruellement le niveau de vie de nos concitoyens, qu’il s’agisse de l’alimentation, des pièces détachées pour les automobiles, des tarifs bancaires, des abonnements à internet ou encore des accès à la TNT, la télévision numérique terrestre.

Il impose aussi de nous donner la liberté – réelle, celle-là – de signer des accords avec nos voisins et de déverrouiller ainsi la coopération économique, culturelle et médicale avec notre environnement géographique ; d’offrir plus de justice sociale, notamment en revoyant les modes de calcul injustes des retraites qui pénalisent en particulier nos agriculteurs et marins pêcheurs ; de permettre un meilleur accès à la santé de tous, notamment de ceux qui subissent les conséquences de l’empoisonnement au chlordécone ou de l’empoisonnement qui résulte d’un usage abusif de sucre dans les denrées alimentaires ; de décloisonner nos territoires au moyen d’un abaissement du tarif des opérateurs, en vue d’améliorer l’accès au numérique ; de permettre à nos ligues sportives d’adhérer aux fédérations internationales afin que les sélections locales puissent participer aux compétitions et bénéficier de leurs retombées financières ; d’appliquer, enfin, la préséance absolue du principe de précaution dans nos territoires quant aux projets d’implantation d’usines qui utilisent des technologies polluantes.

Contrairement à la convergence, le développement réel appelle à libérer notre potentiel, à nous donner plus de liberté réelle dans nos choix et nos orientations en faveur d’une équité elle aussi réelle, plutôt qu’à viser une égalité-assimilation. À l’évidence, nous sommes loin de cette exigence, et tout porte à croire que nous devrons nous consoler avec un « assimilationnisme » revisité ; car, manifestement, le changement de paradigme n’est pas pour maintenant. Or un tel changement s’appuierait sur la faculté à concevoir des modèles performants, qui diffèrent des conceptions centralisatrices, technocratiques et élitistes, ou rompent avec elles.

Le texte initial était désespérément pauvre. Je reconnais que l’important travail en commission lui a donné un peu de consistance ; mais, malgré votre bonne volonté, madame la ministre, les progrès demeurent cosmétiques, et nous serons particulièrement attentifs à l’accueil qui sera réservé à nos amendements.

Pour l’heure, en l’absence d’engagements financiers de l’État, le texte se réduit à une déclinaison de rapports à l’issue incertaine, compte tenu des changements politiques à venir. Il m’apparaît extrêmement dangereux, à la veille d’échéances électorales majeures, de susciter, une fois de plus, une fois de trop, l’espérance chez les peuples d’outre-mer sans avoir ni l’intention ni l’assurance de tenir les promesses. Si certains ont pris le parti du mutisme ou de l’allégeance, il est de ma responsabilité et de mon devoir de vous alerter sur le fait qu’au vu de la situation sociale, économique et démographique que connaissent nos territoires, nous sommes au bord d’une énième explosion sociale.

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