« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » M. Letchimy sait pourquoi je fais cette citation, et il connaît mes références.
Comme vous tous, mes chers collègues, je suis député de la nation tout entière, mais je suis le premier, parmi les orateurs qui s’expriment aujourd’hui à cette tribune, à n’être pas quotidiennement confronté aux difficultés particulières que vous avez exposées. Tous les territoires ont leurs difficultés, certes, mais celles dont on vient de parler sont particulières : on en parle depuis le début de notre discussion, mais, plus généralement, depuis des années ; et n’y étant pas confronté, disais-je, je puis tenir, vis-à-vis de l’outre-mer, un discours de fierté. Oui, je veux souligner la richesse des outre-mer et les atouts qu’ils représentent pour la France. Mais je dis en même temps ma fierté de voir notre pays posséder, grâce à eux, une façade maritime qui devrait nous ouvrir bien plus de perspectives qu’aujourd’hui.
Oui, je suis fier de ce que les outre-mer représentent, pour nous, en matière de biodiversité, donc d’enjeux pour la planète. Je n’ai jamais pensé que, si nous avons eu un rôle de leader pour parvenir à l’accord de la COP21, c’était seulement pour la satisfaction d’obtenir un accord – l’accord de Paris : son importance est bien plus grande, pour notre République dans son ensemble, mais surtout pour certains de ses territoires, confrontés au réchauffement climatique.
Il y a donc, pour l’outre-mer, des enjeux spécifiques. Parmi eux, celui de l’égalité est central. C’est pour cette raison que je ne veux pas être le premier député élu de l’Hexagone à prendre la parole – d’autres suivront après moi – sans dire cette fierté.
Mais cette fierté a été mise à mal : lors de certains de mes déplacements, j’ai été confronté à des situations que je n’imaginais pas, et que je ne veux pas voir – ou plus voir – dans notre République. Si je ne dis pas cela, je ne dis pas la vérité. Oui, lors de certains déplacements en outre-mer – à l’occasion de réunions ou d’autres événements –, je n’ai pas été fier de la République. C’est pour cette raison que ce projet de loi me paraît être d’une importance capitale.
Ce texte vient en effet après des périodes d’oubli. Mais, notamment depuis 2012, et je veux en féliciter ceux qui prennent part à notre débat, parmi lesquels Victorin Lurel et George Pau-Langevin, un certain nombre de mesures ont été prises. Elles ont consacré une volonté qui n’était pas encore inscrite dans le texte découlant de la mission confiée à Victorin Lurel mais qui va vers ce qui me semble absolument essentiel : un rattrapage. Il s’agit de faire en sorte que, face à des situations de misère et aux difficultés, la République réponde en affirmant qu’il n’y a pas de raison que son engagement soit moins fort qu’il ne l’est dans l’Hexagone. Cela a été le cas dans le cadre du plan national de lutte d’action contre l’habitant indigne et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, avec le taux préférentiel. Faire progresser l’égalité était en effet nécessaire. Il nous faudra d’ailleurs mesurer les progrès accomplis dans ce domaine lorsque nous examinerons, à travers des rapports, les effets des décisions que nous aurons prises.
Pour atteindre l’égalité républicaine, certaines mesures peuvent nécessiter outre-mer des investissements plus conséquents. Dans mon département, par exemple, on voit bien que l’égalité républicaine en matière d’éducation implique plus d’investissements qu’ailleurs, tout simplement parce que les résultats y sont, en la matière, moins bons.
L’égalité n’est donc pas le nivellement. Vouloir l’atteindre ne peut se résumer à se donner bonne conscience en choisissant un ratio ou un autre instrument qui la démontre : c’est, d’abord, des résultats qui permettent à la République d’être fière lorsqu’elle met en place des politiques et qu’elle peut se dire qu’elles touchent tous nos concitoyens de façon uniforme.
Ces politiques ont pour objet de parvenir à ce que, dans certaines parties de notre territoire, nos concitoyens ne soient pas moins bien traités par la République qu’ailleurs. Il faudra, bien entendu, vérifier que c’est le cas et que nous ne sommes pas cantonnés à une égalité de moyens mais que nous avons atteint une égalité de situations et de résultats.
Nous pourrons alors être fiers de ces rattrapages, puisque nous évoquons certains d’entre eux qui doivent être rapidement mis en place dans notre République.
Madame la ministre, ce projet de loi a été élaboré grâce à une méthode – celle de la convergence – que je partage. Oui, l’objectif est important. Nous voterons bien entendu l’article 1er, mais nous serons attentifs à la façon dont il sera mis en oeuvre, à la manière dont nous avancerons, dont les engagements de la République seront tenus. En effet, nous sommes ici pour prendre des engagements dans le temps, et pas seulement pour les six prochains mois.
La méthode de la convergence est particulièrement importante car elle s’apparente à une forme de programmation. Nous devons donc être vigilants, constants et tenaces. Or cette ténacité – je terminerai mon propos par là – ne saurait se résumer à celle de nos collègues d’outre-mer. C’est la République – et non nos seuls collègues d’outre-mer, qui viennent périodiquement nous rappeler notre retard, notre pusillanimité et le non-respect de nos engagements – qui, une fois ce projet de loi voté et amélioré dans le cours de la navette avec nos collègues du Sénat, sera comptable de son application.
Je voulais donc monter à cette tribune pour dire que je me sens personnellement comptable, aujourd’hui en tant que président de groupe, demain peut-être comme simple député, de l’application de ce projet de loi une fois que nous l’aurons adopté.
L’égalité réelle outre-mer ne doit en effet pas rester qu’un titre de loi : elle doit constituer un objectif partagé par toute la population de la République française vivant outre-mer.