Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 4 octobre 2016 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

La première question posée par votre rapporteur spécial sur le nombre de majeurs protégés est importante. Je ne pense pas du tout que les explications qui viennent d'être données concernent seulement 700 000 personnes. En réalité, elles concernent beaucoup plus de gens : ces 700 000 personnes font l'objet de mesures mais combien d'autres sont incapables, ont des facultés altérées plus ou moins gravement et sont prises en charge dans un autre cadre que celui de la protection juridique des majeurs ? Nous en sommes peut-être à 1,5 million ou 2 millions de personnes. En tout cas, il s'agit d'un phénomène social qui représente un enjeu politique, comme je l'indiquais en concluant ma présentation. On ne sait d'ailleurs pas combien il y a de personnes handicapées en France, même si on connaît à peu près le nombre d'allocataires de l'AAH. Selon les catégories retenues, le chiffre peut varier de 1,5 million à 11 millions ! Il faudrait améliorer ces connaissances statistiques pour pouvoir mettre en oeuvre les politiques publiques en question.

Préconiser l'intervention des familles est aussi une manière de s'adapter aux situations. Comme M. Roch-Olivier Maistre vient de le dire, nombre de personnes dont les facultés ne sont pas – ou pas totalement – altérées font l'objet de mesures prévues pour les personnes dont les facultés sont altérées. Dans ce système, ce sont les solutions les plus compliquées, les plus coûteuses et les moins adaptées à certaines situations qui sont retenues.

C'est là, madame Dalloz, que se pose la question de l'intervention du département. Est-ce que social veut dire départemental ? C'est actuellement le cas alors que les départements font l'objet de restrictions budgétaires. Dans ces conditions, on ne peut pas continuer à charger les départements. Il faudrait pourtant éviter de prendre des mesures lourdes, juridiquement complexes et très coûteuses pour l'État, dans des cas où des mesures d'accompagnement social ou familial devraient s'imposer. Nous en revenons à l'insuffisante application de la loi : on finit par créer de l'incapacité là où il n'y en a pas toujours.

Depuis qu'il existe, le Défenseur des droits a reçu quatre réclamations concernant le sujet des obsèques qui vous préoccupe, monsieur Juanico, et elles ont été réglées au cas par cas dans le cadre de nos activités de médiation, en dehors des textes du code des assurances auxquels vous avez fait allusion. Nous avons fait le nécessaire pour que les obsèques soient prises en charge. On peut imaginer qu'il faille prendre des dispositions en la matière, même si les dossiers semblent peu nombreux.

Qui doit assurer le pilotage de cette politique publique de la protection des majeurs ? Intuitivement, je pense que la tâche incombe au ministère de la justice, tout en sachant que les rapports entre la chancellerie et les départements sont en général tout sauf idylliques. Ce dernier constat va plutôt dans le sens de M. Roch-Olivier Maistre. Il s'agit néanmoins d'une question de droit et de droits. Jusqu'à preuve du contraire, et malgré de nombreuses exceptions, la chancellerie est en principe la maison du droit. À cet égard, la petite amélioration budgétaire évoquée par M. Maistre me paraît assez significative. La chancellerie ne pourrait-elle pas disposer d'un service doté d'une vraie compétence – interministérielle par définition – en la matière ? C'est un sujet sur lequel il serait judicieux de réfléchir dans les années à venir.

En réaction à vos constats sur le terrain, monsieur Dumont, je dirais qu'il est clair que tout ceci ne relève pas d'un texte. C'est une question de pratiques qui peuvent être encadrées par des protocoles, pour reprendre votre expression, par des manières de faire, des modes d'emploi. Nous préconisons certaines modifications du code civil, dont j'ai parlé tout au long de mon exposé, mais nous insistons surtout sur la nécessité de mettre en oeuvre deux ou trois mesures qui existent dans la loi de 2007 et que les institutions publiques, en particulier celles de l'État, n'ont pas été capables d'appliquer. L'insuffisante application du texte conduit à une sorte de déport des mesures les plus adaptées, les plus proportionnées, les plus humaines et les moins coûteuses vers celles qui sont les plus compliquées, les plus éloignées, les plus coûteuses, et les plus responsables d'engorgement. C'est dire que nous sommes en train de faire un peu ce qu'en d'autres temps un certain Gribouille avait tenté.

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