Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur et président de la commission, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi de notre rapporteur et président visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias touche donc aujourd’hui à sa fin, aux termes d’un examen qui a révélé des désaccords, tant sur les différents bancs de notre hémicycle qu’entre les deux chambres. Sans vouloir refaire le débat, ou le match, comme vous l’avez dit hier lors de la réunion de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je rappellerai brièvement les points d’achoppements qui ont conduit notre groupe à s’interroger sur les objectifs et la formulation de cette proposition de loi et à soulever un certain nombre de problèmes juridiques.
D’abord, à l’article 1er, nous reconnaissons quelques évolutions bienvenues : d’abord à l’initiative de notre groupe, l’introduction des chartes de déontologie, ensuite sous la plume du Gouvernement, qui a eu le bon sens d’introduire une possibilité de recours aux déclarations et usages professionnels relatifs à la profession de journaliste en cas de litige dans une rédaction qui ne se serait pas encore dotée d’une charte, sous la plume du rapporteur, enfin, qui a souhaité pacifier le débat sur la notion d’intime conviction professionnelle en supprimant l’adjectif « intime ».
Toutefois, vous l’aurez bien compris, la notion de conviction professionnelle, même formée dans le respect de la charte déontologique, nous paraît demeurer une notion subjective. Si elle venait à être dévoyée par certains, elle pourrait fragiliser le fonctionnement des rédactions. Soyons clairs : il s’agit non pas de faire un procès d’intention aux journalistes, mais de refuser d’inscrire dans la loi des outils dont on perçoit le dysfonctionnement futur avant même de les voter.
Car, contrairement à la clause de conscience qui se fonde sur des faits vérifiables par le juge, à savoir un changement d’orientation du journal ou un changement pouvant porter atteinte aux intérêts moraux du salarié, la « conviction professionnelle » reste une expression floue. Si elle est floue, elle est aussi potentiellement litigieuse et risque d’entrer en contradiction avec la principale contrainte inhérente au métier de journaliste, à savoir le respect d’une ligne éditoriale. Or je rappellerai rapidement, mes chers collègues, qu’en échange de sa capacité à imposer une ligne, le directeur est responsable de sa publication. Le droit d’opposition consacré par l’article 1er fait peser sur le directeur de publication la responsabilité d’actes qu’il n’a plus totalement la capacité de maîtriser.
Cette question ne peut être balayée d’un revers de main au motif que l’expression« conviction professionnelle » figure dans la loi de 2009. Elle s’applique dans ce cadre à l’audiovisuel public pour des raisons bien précises qui ont trait à la nature de son actionnariat.
Le droit d’opposition créé à l’article 1er continue de soulever des difficultés à l’article 2, qui confie au CSA la mission de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme des programmes, en veillant notamment à ce que les conventions signées avec les chaînes garantissent le nouveau droit d’opposition des journalistes. Si le CSA constate des manquements à ces principes sur plusieurs exercices, il pourra prononcer des sanctions portant directement sur l’autorisation de diffusion que le régulateur délivre aux chaînes, conformément à l’article 28-1 de la loi de 1986. Mes chers collègues, il convient donc de ne pas voter cet article 2 à la légère.
Or sa rédaction continue de nous interroger. La réécriture de cet article par le rapporteur n’a pas levé tous les doutes quant à la nature du contrôle du CSA sur les relations entre les journalistes et leur direction ou leurs actionnaires. Certes, le CSA ne pourra pas traiter par voie de recommandation générale de la surveillance du droit d’opposition des journalistes et des éventuelles immixtions des actionnaires et annonceurs dans la ligne éditoriale de l’entreprise, ce qui constitue une avancée. Toutefois, le fait de maintenir dans les conventions des stipulations relatives au contrôle par le CSA du droit d’opposition des journalistes n’est pas satisfaisant. Ce n’est pas au CSA de réguler ce principe d’opposition qui relève uniquement de la compétence du juge du travail : monsieur le rapporteur, il faut insister sur ce point qui figure dans l’un de vos rapports !
Ensuite, la proposition de loi est dramatiquement avare de précisions. Elle fait du régulateur le juge du pluralisme et de l’honnêteté des contenus, sans spécifier les critères à l’aune desquels il conviendra d’évaluer ces principes et qui devraient figurer dans la convention. En réalité, le texte laisse au CSA le soin de définir lui-même la façon dont il entend apprécier le pluralisme, l’honnêteté et l’indépendance des programmes, ce qui n’est pas acceptable.
Monsieur le rapporteur, nous le savons, vous considérez que les nouveaux critères de nomination des membres du CSA en font désormais une autorité enfin indépendante. Faut-il pour autant la laisser face à une page blanche sur le contenu des conventions ? Cette critique est valable également pour l’article 7, qui confie au CSA le soin de définir les statuts du comité d’éthique. Nous pensons que cette proposition de loi donne des pouvoirs disproportionnés au CSA, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner au cours des débats.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. Il se laisse aussi la liberté de saisir le Conseil constitutionnel.