Intervention de Sylvie Bermann

Réunion du 29 septembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni :

Je vous remercie pour votre invitation et je serai heureuse de recevoir votre mission au mois de novembre à Londres, en espérant que la situation aura quelque peu avancé.

Trois mois après le référendum, il n'y a plus de Bremainers, partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, ni de Brexiters, partisans de sa sortie. Nous avons désormais, d'un côté, les hard Brexiters et, de l'autre, les soft Brexiters. Les premiers souhaitent une rupture immédiate et une renonciation à tout, y compris à l'union douanière, au marché unique européen, pour s'en tenir au cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les soft Brexiters, pour leur part, entendent que le Royaume-Uni reste au plus près de l'Union européenne, tout en tenant compte de la contrainte liée à l'immigration.

En effet, le référendum n'a pas réellement porté sur l'Union européenne mais bien sûr l'immigration – l'Union européenne, il y a quelques années, figurait ainsi au neuvième rang des préoccupations des Britanniques. Le lien établi par le parti nationaliste « pour l'indépendance du Royaume-Uni, United Kingdom Independence Party (UKIP), entre l'immigration incontrôlée et l'Union européenne, a conduit la majorité des votants à s'exprimer, en fait, contre l'immigration. Or il faut garder à l'esprit que le solde migratoire net est aujourd'hui de 327 000 personnes par an au Royaume-Uni, alors qu'il n'est que de 30 000 personnes en France. Il convient de prendre également en considération le fait qu'il y a des villes où les affiches sont en polonais, les instructions sur les chantiers données en polonais, et où les Polonais, dans certaines écoles, sont majoritaires ; je prends l'exemple des Polonais car ce sont eux qui ont été le plus victimes du racisme au lendemain du référendum – au point que l'un d'eux a été assassiné –, certains Britanniques exigeant le retour chez eux de « cette vermine ».

D'autres éléments ont également compté. Au sein du parti Tory, des députés étaient très hostiles à l'Union européenne et estimaient que le Parlement de Westminster devait avoir le dernier mot – alors que paradoxalement – il ne pourra pas se prononcer sur le déclenchement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne.

Parmi les hard Brexiters, on trouve le ministre chargé du Brexit, David Davis, et le ministre chargé des négociations d'accords de libre-échange, Liam Fox. Quant à Boris Johnson, s'il est plus difficile à classer, il a rejoint un groupe de pression réclamant un Brexit rapide.

La situation est par conséquent très confuse. Le Gouvernement en est à établir une cartographie – mapping, pour reprendre leur terme. À ce stade, il en est encore à recruter du personnel jusqu'au mois de décembre et n'en est donc pas au stade de la définition d'options.

En ce qui concerne le déclenchement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, Theresa May a indiqué, sans plus de précision, qu'il n'aurait pas lieu avant 2017. Au ministère du Brexit, on évoque le premier semestre 2017. Quand Boris Johnson a parlé des mois de janvier ou février, il s'est fait taper sur les doigts. La semaine prochaine aura lieu la conférence du parti Tory à Birmingham, et Theresa May sera sans doute obligée d'en dire un peu plus.

C'est sur l'immigration, je l'ai mentionné, que Theresa May a besoin d'obtenir des résultats. Les discussions en cours portent sur la possibilité d'établir un permis de travail afin d'avoir une immigration choisie, mais aussi sur la possibilité d'activer un « frein d'urgence » en cas d'arrivée massive de migrants pour, notamment, soulager les services sociaux. Theresa May a déclaré au président Hollande, à Angela Merkel et aux autres dirigeants européens qu'on ne pouvait pas, compte tenu du message populaire, ne pas aboutir à une limitation de l'immigration. Elle n'a certes pas indiqué qu'elle serait prête à passer l'accès au marché unique par pertes et profits, mais c'est bien autour de l'immigration que se fera sans doute le compromis.

Outre, d'un côté, le groupe de pression des Brexiters, existe, de l'autre, un groupe de pression nommé Open Britain regroupant les anciens Bremainers, la City et les organisations patronales qui ont besoin de l'accès au marché unique et du passeport européen mais aussi de l'immigration : quand des offres d'emploi, dans le secteur du bâtiment, dans le secteur de l'agriculture, dans les services de santé – National Health Service (NHS) – sont publiées, les Britanniques ne se présentent pas et ce sont des immigrés qui travaillent comme médecins, comme infirmiers. La pression est forte non seulement de la part des grands patrons mais aussi des petites et moyennes entreprises (PME) et du monde des affaires.

J'en viens aux entités dévolues. J'étais la semaine dernière à Edimbourg pour rencontrer le premier ministre d'Écosse, Nicola Sturgeon, et la principale députée de l'opposition au Parlement écossais, Ruth Davidson, qui souhaitent que les intérêts de l'Écosse soient pris en considération pendant la négociation. Je n'ai pas connaissance de position arrêtée sur la tenue d'un référendum ou non.

La question est beaucoup plus sensible en Irlande du Nord : un contrôle de l'immigration suppose une forme de rétablissement d'une frontière. Si cette dernière est fixée entre l'Irlande du Nord et l'Irlande du Sud, ce sera catastrophique pour le processus de paix – du reste très largement financé par l'Union européenne à travers le programme PEACE. Quand vous allez en Irlande du Nord, vous avez l'impression d'un climat qui n'est pas totalement apaisé après des années de guerre civile.

On peut ajouter la situation de Londres, dont le nouveau maire travailliste est l'une des personnalités politiques les plus fortes au Royaume-Uni – il s'est d'ailleurs opposé violemment à la politique de Jeremy Corbyn. Londres n'est pas une entité dévolue, certes, mais si l'on considère que c'est Londres qui fait la richesse du Royaume-Uni, on doit prendre la position de la ville en considération. Le maire est très actif, notamment quant à la protection des étrangers : vous avez pu lire dans la presse que de nombreux actes xénophobes avaient été commis, jusqu'à la commission, j'y ai fait allusion, d'un meurtre ; dans le métro, il arrive qu'on demande à des personnes parlant une langue étrangère « ce qu'ils font encore là dans la mesure où l'on a voté pour qu'ils partent ».

D'autres questions se posent, notamment sur les échanges universitaires, les échanges scientifiques. Non seulement ces derniers représentent 30 % des fonds alloués par l'Union européenne mais le Brexit risque de conduire à la destruction des réseaux constitués.

Dans le domaine de la défense, vous avez pu prendre connaissance des déclarations du ministre britannique compétent, qui s'opposera à la création d'une défense européenne visant à dupliquer l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), à savoir instituer un état-major à Bruxelles et fonder une armée européenne. Le Brexit va donc à l'encontre des intérêts britanniques, puisque le Royaume-Uni participe, à hauteur de soixante-dix personnes et d'un navire, à l'opération Sophia en mer Méditerranée, destinée précisément à contenir l'afflux de migrants. Ce sont en outre les Britanniques qui commandent l'opération Atalante contre la piraterie. C'est donc via l'Union européenne qu'ils exercent une influence dans le monde. Je mentionnerai, pour finir sur ce point, leur focalisation sur la Russie, selon eux la première menace dans le monde, et donc l'importance qu'ils accordaient aux sanctions de l'Union européenne.

Encore une fois, personne, au Royaume-Uni, ne sait quelles options seront proposées. Theresa May prend des décisions informées, comme on a pu le constater à propos du projet d'EPR sur le site de Hinkley Point, puisqu'elle a réfléchi pendant plusieurs semaines avant de signer – une signature qui doit avoir lieu cet après-midi même. Ainsi, la décision d'invoquer l'article 50 dépend non pas de la volonté de faire traîner les choses mais de son souhait de disposer d'une position claire.

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