« La France est en guerre », déclarait le Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre 2015. Nous partageons naturellement ce constat, mais nous en concluons aussi que toutes les dispositions devant permettre de nous adapter à ce climat de guerre n'ont pas été adoptées. La situation inédite que connaît notre pays nous impose de changer de cadre et d'adopter des mesures exceptionnelles. Force est de constater que les dispositions déjà adoptées sont certes nécessaires, mais qu'elles demeurent très largement insuffisantes.
La présente proposition de loi vise à pallier résolument ces lacunes et à appliquer un dispositif global de lutte et de prévention contre le terrorisme. À ce titre, et contrairement à ce que l'on a pu entendre dans les médias, notre droit nous offre des outils juridiques pour faire face à cet état de guerre ; encore faut-il avoir la volonté d'adopter ces dispositions. Dans son célèbre arrêt Dames Dol et Laurent de 1919, le Conseil d'État a donné une définition très claire des circonstances exceptionnelles, hélas réunies aujourd'hui : « les limites des pouvoirs de police dont l'autorité publique dispose pour le maintien de l'ordre et de la sécurité […] ne sauraient être les mêmes dans les temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l'ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ».
Sur des sujets aussi essentiels, qui impliquent et conditionnent la sécurité des Français, il nous faut naturellement dépasser les clivages politiques traditionnels. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a systématiquement soutenu les textes législatifs soumis ces dernières années à notre Assemblée en la matière. Lors de l'examen de chacun de ces textes, la majorité présidentielle a pourtant repoussé la plupart de nos propositions, alors même qu'elles n'étaient destinées qu'à mieux prévenir et réprimer le terrorisme sur un plan administratif et judiciaire. J'observe qu'après avoir rejeté certaines de ces propositions, le Gouvernement et la majorité les ont plusieurs fois acceptées ultérieurement selon une stratégie de petits pas que nous jugeons préjudiciable à l'efficacité de notre mécanisme de lutte contre le terrorisme. L'action conduite s'est en effet souvent résumée à réagir aux événements, non à les anticiper. Comment, dès lors, ne pas s'interroger sur le temps perdu et sur les rendez-vous manqués dans la construction d'une véritable législation efficace et pragmatique contre le terrorisme, à la hauteur des dangers auxquels notre pays est aujourd'hui durablement confronté ?
La présente proposition de loi contient donc un dispositif ambitieux, global et pérenne visant à mieux appréhender et réprimer le phénomène djihadiste dans son ensemble. Elle s'articule parfaitement avec le texte que Mme Kosciusko-Morizet défendra dans quelques instants.
L'article 1er instaure un contrôle administratif des individus qui représentent une menace grave pour la sécurité et pour l'ordre public mais à l'encontre desquels il est impossible d'ouvrir une enquête judiciaire faute d'éléments suffisants. Dans ce cas précis, le ministre de l'intérieur pourrait prendre trois types de mesures : l'assignation à résidence, le placement sous surveillance électronique mobile, si possible géolocalisée, et le placement en centre de rétention spécialisé – c'est ce dernier dispositif qui fera sans doute le plus débat.
L'article 2 autorise la création d'un fichier de personnes radicalisées constituant une menace pour la sécurité publique ou la sécurité de l'État. Lors de son audition, le procureur de la République de Paris a exprimé son intérêt pour ce fichier nouveau au contenu resserré, qui centraliserait les fichiers existants et fournirait une base pertinente justifiant les mesures administratives prévues à l'article 1er.
L'article 3 instaure des peines minimales d'interdiction du territoire français pour les personnes de nationalité étrangère qui ne peuvent justifier d'un séjour régulier en France depuis au moins dix ans et qui auraient été déclarées coupables de crimes ou de délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans.
L'article 4 prévoit explicitement que l'expulsion peut être prononcée à l'encontre d'un étranger faisant l'objet d'une fiche « S » ou inscrit au fichier créé par l'article 2.
L'article 5 étend les possibilités d'expulsion aux étrangers coupables de tout délit ou crime passible d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
Enfin, la lutte contre le terrorisme ne saurait être complète si aucune réponse n'est apportée à la question essentielle et très préoccupante des criminels terroristes qui continuent de présenter une dangerosité particulière après avoir purgé leur peine. Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, le procureur de la République de Paris, M. François Molins, et Mme Camille Hennetier, vice-procureure, responsable du pôle antiterroriste, nous ont indiqué en toute clarté que, selon eux, le principal danger tenait actuellement à la situation explosive qui règne dans les prisons ; le garde des Sceaux, quant à lui, a plusieurs fois cité le chiffre de 1 400 détenus radicalisés – ils seraient même deux à trois mille selon les syndicats de l'administration pénitentiaire. Les tensions sont particulièrement inquiétantes dans certains établissements, où des actions concertées de prise de contrôle auraient été envisagées. La menace est donc grave.
Dans ce contexte, il faut aborder la situation de ceux qui sont appelés à sortir de détention et prendre des mesures claires de surveillance afin d'éviter que les intéressés – parfois radicalisés en prison – ne passent de nouveau à l'acte. Un constat similaire avait été dressé il y a près de dix ans sur un autre sujet également grave, celui des délinquants et criminels sexuels. En 2008 et 2010, le législateur avait adopté deux mesures de sûreté, l'une de rétention et l'autre de surveillance, applicables aux personnes présentant une dangerosité particulière caractérisée par une probabilité très élevée de récidive en raison d'un trouble grave de la personnalité. Nous voulons instaurer un dispositif similaire en matière de terrorisme, fondé sur deux notions juridiques distinctes : celle de la peine qui punit et celle de la sûreté qui protège la société.
C'est dans cet esprit que l'article 6 vise à étendre à certains terroristes ces deux mesures de sûreté, qui seraient strictement encadrées et soumises à la décision d'une juridiction susceptible de recours. Je précise que cette disposition est parfaitement conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et au cadre juridique établi par le Conseil d'État dans son avis du 17 décembre 2015. Cette rétention de sûreté contribuera à mieux protéger nos concitoyens contre les criminels terroristes dangereux. « On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif », rappelait le procureur Molins. « Lorsqu'on tombe sur des individus imprégnés par cette idéologie mortifère », poursuivait-il, « les maintenir enfermés n'est peut-être pas la mission la plus noble, mais elle a au moins l'impérieuse vertu de protéger la société. » C'est cet objectif qui nous guide.
L'article 7 incrimine le fait d'avoir séjourné intentionnellement à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes afin d'entrer en relation avec l'un ou plusieurs d'entre eux, en l'absence de motif légitime. Nous reprenons là une mesure proposée par la commission des lois du Sénat. Je proposerai des amendements visant à améliorer ce dispositif à la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, pour préciser notamment l'échelle des sanctions en alignant les peines encourues pour ce nouveau délit sur celles applicables au délit d'association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste, soit dix ans d'emprisonnement.
L'article 8 exclut les personnes condamnées pour terrorisme du bénéfice des réductions de peine supplémentaires. La loi du 21 juillet 2016 relative à l'état d'urgence avait supprimé les crédits de réduction « automatiques » ; conformément aux positions que nous avons exprimées tout au long de nos débats sur le terrorisme, nous souhaitons y ajouter les réductions supplémentaires. Les syndicats de l'administration pénitentiaire, que nous avons entendus, ont insisté sur la présence de détenus terroristes et prosélytes qui font peser des menaces très graves sur le maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires. D'autre part, le nombre total d'objets prohibés saisis en prison – téléphones, armes, explosifs, argent – n'a cessé d'augmenter, passant de 13 852 en 2007 à 56 149 en 2014.
Dans ce contexte, l'article 9 assouplit les modalités selon lesquelles il est possible, depuis juin 2016, de procéder à des fouilles indépendantes de la personnalité des détenus. C'est là aussi une mesure très importante pour mieux sécuriser nos établissements pénitentiaires.
En réponse à la radicalisation islamiste croissante que l'on observe dans les prisons françaises, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a créé des unités de prévention de la radicalisation dans les établissements de Fleury-Mérogis, de Fresnes, de Lille-Annoeullin et d'Osny. Leur mise en place a fait débat, mais, selon moi, leur utilité est avérée. Il apparaît toutefois que leur régime actuel ne permet pas d'atteindre les objectifs qui leur sont assignés. C'est pourquoi l'article 10 vise à étendre le champ de ces unités et à en préciser le fonctionnement afin, notamment, de renforcer l'isolement, aujourd'hui virtuel, des personnes qui y sont placées.
L'article 11 confère une valeur législative à l'interdiction, de nature réglementaire, des téléphones portables en prison, pour favoriser un renforcement de l'isolement électronique des détenus, comme l'a défendu notre collègue M. Philippe Goujon.
L'article 12 a trait à une question sur laquelle le groupe Les Républicains revient sans cesse : la légitime défense des forces de l'ordre. Il vise à rapprocher les conditions d'usage des armes dans la police et dans la gendarmerie.
Je présenterai plusieurs autres amendements visant à étendre l'accès aux fichiers à certains services de renseignements qui – chose incompréhensible – ne peuvent pas y recourir aujourd'hui, ou encore à informer les collectivités locales de la situation de personnes parties sur des théâtres de guerre afin que celles-ci ne puissent plus bénéficier de prestations sociales en France.
En somme, cette proposition de loi globale, responsable et exhaustive respecte nos principes fondamentaux tout en tenant compte de la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons. Elle vise à démontrer que le cadre actuel n'est plus pertinent pour lutter face au terrorisme, compte tenu de l'ampleur et de la gravité de la menace qui pèse sur notre pays et dont attestent les attentats qui, depuis janvier 2015, nous ont frappés au coeur en faisant 240 victimes.