Je rejoins en partie M. Pietrasanta : la lutte contre le terrorisme ne doit donner lieu ni à des surenchères, ni à une fuite en avant, ni à un concours Lépine comme on l'entend parfois. Cependant, il ne faut pas non plus céder à l'immobilisme ; nous devons continuer de renforcer nos dispositifs de sécurité.
À cet égard, Monsieur le président, vous nous avez désignés, M. Pietrasanta et moi-même, pour assurer le suivi des quarante préconisations issues de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme. Je peux d'ores et déjà vous annoncer que nous avons adressé une demande à chacun des ministres concernés pour savoir ce qu'il en est de nos propositions, dont certaines sont déjà en application tandis que d'autres – je pense à la réorganisation de nos services de renseignement – méritent d'être prises en compte davantage.
J'en viens à la proposition de loi. Elle vise pour l'essentiel à considérer la notion d'état dangereux, déjà inscrite dans nos lois, notamment celle sur la rétention de sûreté adoptée en 2008 – j'en étais le rapporteur, et je me souviens parfaitement des débats très animés qui avaient opposé la majorité et l'opposition d'alors. La rétention de sûreté a fini par être adoptée, puis validée par le Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé M. Ciotti – à cette réserve près qu'elle ne s'appliquerait qu'à l'avenir, étant entendu qu'il s'agit en effet d'une mesure qui porte atteinte à la liberté fondamentale d'aller et de venir. Quoi qu'il en soit, la notion d'état dangereux figure dans notre droit, comme elle figure dans le droit néerlandais, canadien, allemand. Elle a trait à la dangerosité criminologique, et non à la dangerosité psychiatrique, laquelle peut également donner lieu à des mesures de placement et d'internement d'office qui portent atteinte à la liberté d'aller et de venir. La dangerosité criminologique concerne les individus capables de récidiver ou de passer à l'acte. La rétention de sûreté après la peine – ou post-sentencielle – vise précisément à éviter la récidive.
La mesure proposée dans le présent texte est totalement novatrice et je comprends qu'elle puisse faire débat, puisqu'il s'agit là encore d'une atteinte importante aux libertés fondamentales. J'ai souhaité observer de près le seul dispositif de ce type qui existe dans le monde : je me suis donc rendu en Israël pour assister à des audiences de rétention administrative et constater comment les choses se passent dans le centre pénitentiaire d'Ofer, en Cisjordanie. Certes, le contexte géopolitique israélien n'a rien à avoir avec le nôtre, puisque nous ne sommes pas dans une juridiction militaire, mais civile. Je retiens néanmoins la prise en compte de la notion d'état dangereux : que devons-nous faire face à des individus qui, en réalité, sont très peu nombreux ? Il ne s'agit en effet pas de priver de libertés tous les individus faisant l'objet d'une fiche S, mais simplement ceux – quelques dizaines tout au plus – qui sont susceptibles de passer à l'acte à un moment ou à un autre et au sujet desquels nos services de renseignement détiennent une source fiable, mais dont l'intention criminelle ne peut pas être judiciarisée faute d'éléments. Nous sommes là au stade des actes préparatoires, et non à celui du commencement d'exécution, qui permettrait de saisir un juge. Que devons-nous faire ?
Nous proposons l'intervention d'une autorité administrative encadrée, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, dans un temps extrêmement limité, avec toutes les garanties procédurales – notamment l'intervention de l'avocat – et avec accès aux sources d'information du juge chargé de statuer sur la validité de la mesure de rétention administrative qui serait prise par le ministre de l'intérieur – lequel est déjà habilité par les textes que vous avez présentés, et que nous avons votés, à prendre des mesures attentatoires aux libertés, l'assignation à résidence par exemple, étant entendu que les contrôles juridictionnels prévus par la loi s'appliquent.
Encore une fois, cette mesure ne concernerait que quelques personnes, sur lesquelles nous disposerions d'éléments précis concernant la possibilité d'un passage à l'acte, plutôt que de mobiliser en permanence les fonctionnaires des services de renseignement affectés à leur surveillance. Un placement en centre de rétention assorti d'un examen approfondi de l'état de dangerosité par une équipe pluridisciplinaire, comme cela se fait pour la rétention de sûreté, permettrait dans un temps restreint – et la procédure contradictoire étant garantie – d'empêcher un éventuel passage à l'acte. Tel est le débat que nous devons avoir, sans considérer qu'il s'agit d'outrance. Il s'agit simplement de reconnaître l'état dangereux dans notre droit et de prévoir sa prise en compte par l'administration sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
Voilà l'essentiel de cette proposition de loi. Les Français apprécieront : je ne doute pas que ce texte sera, hélas, rejeté par notre commission, puisque nous n'y disposons pas de la majorité, mais un véritable débat aura lieu le 13 octobre en séance publique et – je le dis sans esprit partisan – le sujet fera partie du débat de la campagne électorale. Étant donné le niveau de la menace, nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras ballants face à des individus susceptibles de commettre un attentat tel que celui de Nice.