Intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet

Réunion du 5 octobre 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure :

La proposition de loi pénalisant la prédication subversive peut être vue comme complémentaire de celle que nous venons d'examiner, relative à la lutte contre le terrorisme, dans la mesure où il s'agit de permettre aux autorités administratives et judiciaires d'intervenir plus largement en amont et en aval – étant précisé que le sort des deux textes n'est, bien sûr, pas nécessairement lié. (Sourires.)

Nous sommes partis d'un constat simple. Si la lutte contre le terrorisme a fait l'objet de nombreuses réponses sécuritaires, celle contre les origines du phénomène, à savoir les idéologies salafistes radicales telles que le wahhabisme, le takfirisme – ou le djihadisme, qui en découle –, n'a pas été véritablement engagée pour le moment, du moins n'a-t-elle pas pris de forme législative – je ne parle pas, évidemment, du travail remarquable mené par certaines associations.

Pourtant, le terrorisme, qui a donné lieu à un certain nombre de travaux législatifs, prospère sur le terrain de la radicalité politico-religieuse. Cette radicalité est prêchée, enseignée, diffusée par des prédicateurs qui défendent, parfois au grand jour, le plus souvent de manière dissimulée, la supériorité des lois religieuses sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République – en prônant, par exemple, une ségrégation identitaire et communautaire contraire aux valeurs de la République. Ils créent des salles de prière et des associations, ils dirigent des lieux de culte, prodiguent des enseignements, sont responsables du contenu éditorial d'ouvrages et de sites internet : c'est cet ensemble d'activités que recouvre le terme de « prédication ».

Leur discours est de nature à déclencher une radicalisation identitaire, qui prédispose certains à la lutte contre les droits constitutionnels et d'autres, moins nombreux, à l'action violente et terroriste. Dans tous les cas, l'objectif poursuivi consiste à faire disparaître l'État de droit derrière la religion, à nier la France, et à s'imposer par la résistance à nos fondements constitutionnels, notamment les plus précieux que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.

Face au renforcement actuel du volet répressif du terrorisme, en particulier des dispositions relatives à la lutte contre l'incitation à la commission d'actes terroristes, les prédicateurs lissent leur discours. Les représentants du ministère de l'intérieur que j'ai auditionnés m'ont confirmé être moins souvent confrontés à des expressions très radicales d'appel au terrorisme ou à la haine. Depuis l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, ils prennent soin de ne plus appeler ouvertement à la commission d'actes terroristes et, dans les mosquées salafistes, on voit même circuler des tracts condamnant Daesh et les actions violentes. De ce fait, la menace est devenue sournoise sans être moins réelle – car la prédication radicale, elle, continue, et les outils juridiques pour lutter contre la diffusion de cette idéologie sont parcellaires et inadaptés – d'autant plus que les choses se font de manière dissimulée.

La loi du 29 juillet 1881, qui définit les délits de presse, et l'article 35 de la loi de 1905, qui prévoit une incrimination spécifique dans le cas où le ministre d'un culte incite directement à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ne sont pas vraiment adaptés aux moyens de communication modernes. Les auditions que j'ai conduites auprès de responsables publics et associatifs ont attesté que le droit positif n'offrait pas tous les outils nécessaires pour répondre à la problématique de la diffusion des idéologies politico-religieuses.

En fait, en amont de l'appel caractérisé à la haine et au terrorisme, il existe une zone grise, que vise précisément cette proposition de loi. Ainsi, le droit positif permet-il d'inquiéter l'auteur de propos invitant à ne pas fréquenter les mécréants ? Non. Le droit positif permet-il d'inquiéter l'auteur de propos d'où il ressort que la femme est de moitié inférieure à l'homme ? Non. Le droit positif permet-il d'inquiéter celui qui affirme que les enfants qui écoutent de la musique risquent d'être transformés en cochons ? Non. De ce fait, les autorités publiques sont obligées de se livrer à des contorsions juridiques pour recourir à des expédients tels que le droit de l'urbanisme ou la réglementation relative à la sécurité des établissements recevant du public (ERP) pour fermer les mosquées salafistes. C'est bien la preuve qu'il nous manque un outil, que la proposition de loi qui vous est présentée a vocation à constituer.

Aux articles 1er et 2 est créé le nouveau délit de prédication subversive, puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Il est proposé de punir non seulement l'auteur de propos de prédication subversive, mais également celui qui les suit régulièrement, que ce soit en se rendant à la mosquée ou en consultant des sites internet, sur le modèle de ce qui a été fait il y a quelques mois. Les conséquences de ces dispositions sur certaines mesures de police administrative existantes sont également prévues.

L'article 3 vise à donner aux autorités administratives la possibilité de fermer un lieu de culte en cas de prédication subversive, ainsi que de dissoudre les associations responsables d'un tel lieu. Cela nous permettra d'éviter d'avoir à recourir aux expédients que j'ai évoqués tout à l'heure.

Il est proposé à l'article 4 d'étendre aux sites de prédication subversive la possibilité pour le juge des référés d'ordonner leur fermeture, alors que cette possibilité n'est aujourd'hui prévue que pour les sites provoquant à la commission d'actes terroristes ou d'infractions telles que la discrimination, la haine, la contestation de crimes contre l'humanité – mais pas à des actes relevant de cette zone grise qui prépare la radicalisation politico-religieuse.

Le sujet est suffisamment grave pour mériter que nous dépassions les clivages politiques traditionnels : je souhaite aborder la discussion générale dans un esprit constructif. J'ai entendu certaines critiques portant sur la formulation donnée à cette proposition de loi : c'est pourquoi j'ai déposé des amendements afin d'en préciser la rédaction, sans porter atteinte à son objectif.

Il s'agit, avec l'amendement CL18 à l'article 2, de préciser le délit de prédication subversive en visant des paroles ou des écrits publics et réitérés, se revendiquant de principes religieux et susceptibles de troubler l'ordre public ou provoquant à des comportements manifestement incompatibles avec les trois principes constitutionnels que sont la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté et l'égalité. Cette définition permet de viser directement, d'une part, l'incitation à des comportements qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société et conduisent à des phénomènes d'exclusion manifestement incompatibles avec nos principes constitutionnels, d'autre part, des propos et des écrits susceptibles de troubler l'ordre public. Le quantum de la peine initialement prévu est maintenu, puisqu'il correspond au délit d'incitation à la commission d'actes terroristes et à leur apologie.

Le même amendement prévoit de substituer au délit de complicité, qui posait manifestement un problème d'ordre juridique, un délit de consultation et de participation à des prédications subversives, ainsi qu'un délit de consultation de sites se faisant le relais de la prédication subversive – des infractions forgées sur le modèle de celles constituées par la consultation de sites pédopornographiques et de sites terroristes –, punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Telles sont, mes chers collègues, les propositions que je voulais vous soumettre.

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