Intervention de Bernadette Laclais

Séance en hémicycle du 10 octobre 2016 à 16h00
Modernisation développement et protection des territoires de montagne — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernadette Laclais, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la co-rapporteure, chère Annie Genevard, madame la rapporteure pour avis, chère Béatrice Santais, chers collègues, à nouveau, et après trente ans déjà, le Parlement va débattre des territoires de montagne et mettre à l’honneur leurs habitants. Je veux dire à cette tribune combien l’ouverture de cette discussion est émouvante pour tous ceux qui vivent en montagne et pour tous ceux – ils sont nombreux dans notre pays et dans le monde entier – qui aiment ces territoires.

Territoire singulier, la montagne est une terre de contrastes, et peut-être vaudrait-il mieux, d’ailleurs, parler « des montagnes », plutôt que de « la montagne », qui est un terme générique désignant une seule situation. Il est vrai que nos massifs de métropole et d’outre-mer sont divers par leur topographie et leurs paysages, leurs coutumes et leur histoire. Cette diversité est une richesse extraordinaire pour notre pays. Mais, par-delà cette diversité, existent des traits d’union qui rassemblent ces territoires autour de problèmes communs et autour de conditions de vie partagées par les montagnards de tous les massifs de France : la pente, le climat, les difficultés d’accès sont des points communs à tous nos massifs.

Longtemps, en effet, les montagnes sont restées des territoires à la marge de notre pays, des contrées isolées, habitées par des populations pauvres, qui ont été bien souvent incomprises, parfois méprisées. Montagnes, pays de misère, périphéries d’une France en développement : telle est, il est vrai, une part de l’histoire de ces territoires. Mais ce n’est qu’une part de leur histoire – j’insiste sur ce point. Il y a aussi une contribution essentielle des territoires de montagne au rayonnement politique, culturel, scientifique et technique de la France, car les montagnes de France sont aussi des terres de liens, historiquement tournées vers l’ailleurs, des points de passage pour le commerce et des lieux stratégiques pour la défense de notre pays. Les montagnes de France ont été et sont encore des lieux de refuge pour des populations traquées, des terres de solitude pour des ermites et des lieux de cachette pour des semeurs de libertés. Protestants des Cévennes, Vaudois du Briançonnais, relégués du maquis corse, esclaves en fuite de la Martinique, résistants du maquis du Vercors, moines chartreux : tous ont trouvé dans les montagnes un lieu d’accueil, un havre de paix provisoire, un espace entre terre et ciel, lieu de possibles pour la rencontre d’un absolu. Les montagnes de l’Hexagone et d’outre-mer ont été des terres de liberté, de résistance et d’espérance, mais aussi des lieux d’intelligence, d’intense création et d’innovation, facteurs de développement et de prospérité pour l’ensemble de notre pays.

Terre fertile pour l’imagination et la création, la montagne a été et reste encore aujourd’hui une source d’inspiration. Ces territoires sont non seulement des lieux sublimés et des ressources pour le rêve, mais aussi des terres d’innovations scientifiques et techniques. À la suite de scientifiques de talent, tels Pascal ou Dolomieu, des aménageurs et des industriels ont su exploiter le génie des lieux, jouant des contraintes de l’espace et de la force générée par la verticalité. Ils ont creusé des tunnels, ouvert des cols et établi des ponts pour favoriser les liens et développer le commerce. Mais c’est encore l’hydroélectricité, la houille blanche, qui, au seuil du XXème siècle, a fait de la chute naturelle des torrents une force pour faire tourner les machines et éclairer les villes.

Les montagnes, enfin, ont été une terre d’ambition pour une France en recherche de symboles politiques pour la nation. Utiles conquêtes que celles réalisées par toute une génération d’alpinistes français : Herzog, Terray et Lachenal. Ces noms raisonnent encore sur les cimes enneigées des massifs alpins, andins ou himalayens. Ils ont porté haut le succès de la France.

Voilà, brossée à grands traits, un peu de l’histoire de ces territoires. Que dire des changements récents qu’ont connu les montagnes ? Et comment exprimer les défis qui s’imposent à elles aujourd’hui ?

Les dernières décennies ont été marquées par une phase d’intense développement, qui a notamment conduit à la construction des grands barrages, puis des stations de sports d’hivers. Les montagnes ont été aménagées pour fournir le pays en énergie et pour accueillir de nombreux touristes venus découvrir le ski. Bien sûr, ce développement a été et reste une fierté pour ces territoires et une source de richesse pour notre économie nationale. Mais il faut aussi savoir regarder ce modèle économique avec du recul et le replacer dans un contexte plus global. Ce contexte, c’est celui de toutes les montagnes de métropole et d’outre-mer. Ce focus plus large permet d’apprécier toutes les implications de ce développement sur le plan politique, économique, social et environnemental.

Pour définir ce modèle de développement, il faut remonter à sa source, celle qui fait de la pratique du ski moins un sport qu’un loisir de masse. Faire du ski comme on va à la mer, c’est bien cela qui est à la base de la construction de nos stations de sports d’hiver. La montagne devient donc un lieu de villégiature pour le grand public, qui l’habite sur un espace-temps très limité : celui des vacances d’une semaine au cours de la saison d’hiver.

D’emblée, on mesure l’écueil que présente cette approche de la montagne : elle se fonde sur une vision que l’on pourrait qualifier de consumériste, de surcroît souvent construite sans grande concertation avec les élus locaux. En effet, ce développement a d’abord été conduit par l’État. Les collectivités locales, et par là même les montagnards qu’elles représentent, ont souvent été exclues du fameux « plan neige », ce qui a induit chez bien des habitants un sentiment de dépossession, sentiment renforcé par la rupture que ces aménagements ont provoquée dans les paysages, mais aussi avec les traditions et les coutumes qui faisaient en montagne la cohésion des villages.

Mais ce qui est plus contestable encore, c’est que cette vision de la montagne s’est traduite par l’émergence d’inégalités pour ces territoires et les populations montagnardes. Les stations de ski ne résument pas toutes les problématiques de la montagne. Je veux le dire avec force, les stations ne doivent pas épuiser tous les sujets montagnards ; elles ne concernent en réalité qu’une partie du territoire de nos montagnes, quand bien même, et il faut le s’en réjouir, elles génèrent de gros chiffres d’affaires, des emplois et de la médiatisation.

De ce sentiment de dépossession, du souci écologique et de la volonté de permettre un développement de tous les espaces montagnards, est né le premier acte de la loi montagne adoptée en 1985 et articulée autour des notions d’équilibre entre préservation et développement et le concept d’auto-développement. Cette loi a été votée par tous les partis politiques. Ce consensus n’a pourtant pas été fait au prix d’un mauvais compromis : la loi montagne reflétait une vision engagée de ces espaces et proposait un vrai projet pour ses habitants. Ce consensus et cet engagement ont été une réussite. Ils ont permis à la montagne d’équilibrer son développement : les handicaps naturels de ces territoires ont été compensés, ce qui a permis aux montagnards de rester au pays. L’agriculture de montagne a su se diriger vers des productions de qualité. Les élus locaux ont pris leurs responsabilités et des parcs naturels régionaux ont permis la préservation de sites d’une extraordinaire qualité environnementale.

Bien sûr, des problèmes existent encore en montagne comme ailleurs ; certains n’ont pas été résolus par la loi, d’autres sont apparus plus récemment. La montagne est aujourd’hui confrontée à des défis nouveaux que nous devons identifier pour y répondre avec autant de force.

Le premier défi est encore et toujours celui de l’égalité, et cette question doit être entendue au moins sous deux de ses aspects. Le premier est celui de l’égalité entre les territoires de montagne et le reste du pays. Il est encore aujourd’hui, dans nos montagnes, des terres isolées, des zones blanches, où les réseaux de téléphonie mobile ne sont pas installés. Il existe aussi une montagne des fonds de vallée qui connaît la désindustrialisation. Il y a, enfin, des villages de piémont qui voient les services publics se raréfier et rencontrent des difficultés à maintenir les écoles ou à attirer les professions libérales médicales en raison des temps de parcours longs et difficiles pour les enfants, les patients et les professionnels.

Le second aspect est celui de l’égalité sociale, notamment s’agissant des saisonniers, qui restent des travailleurs précaires et dont les conditions de logement sont encore trop souvent indécentes. Chaque année, nos communes de montagne sont le théâtre de drames. Cela est inadmissible.

Le deuxième défi est celui de l’aménagement de nos montagnes. Plus que jamais, le développement économique de la montagne doit être pensé, étudié en profondeur et planifié au niveau des intercommunalités. Nos espaces naturels sont trop sensibles pour que nous continuions à procéder au coup par coup, au gré des projets.

Il convient aussi d’améliorer les structures des logements touristiques existants en les rénovant et en les redimensionnant pour répondre aux exigences des demandes touristiques nouvelles, et ainsi rester attractif sur un marché désormais mondialisé.

Cette question de l’attractivité de nos massifs ne doit pas se focaliser sur la seule procédure des UTN, même si, je le dis très clairement ici, nous devons être attentifs aux messages des porteurs de projets quant à la nécessité de réactivité des autorisations et documents d’urbanisme, afin de ne pas décourager les investissements dont nous avons besoin dans un domaine où la concurrence est très forte.

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