Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 10 octobre 2016 à 16h00
Modernisation développement et protection des territoires de montagne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Imaginons un instant que ces 30 milliards d’euros aient été utilisés au service du développement de nos territoires ruraux et de montagne et de l’activité économique locale. Les effets sur l’emploi auraient été immédiats, au service de la qualité de vie et de l’attractivité de ces territoires qui éprouvent aujourd’hui tant de difficultés !

Mais, monsieur le ministre, il n’est jamais trop tard pour revenir aux fondamentaux ! Pour citer René Char, après avoir cité Albert Camus, « il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. » Je me réjouis donc de ce temps de débat sur un texte dans lequel l’aménagement du territoire peut reprendre quelques jours – et même plus longtemps, je l’espère – le pas sur les seuls principes libéraux de concurrence territoriale et de concentration des richesses dans les territoires les plus compétitifs.

Je ne vous cache pas cependant que le contenu du projet de loi qui nous est présenté ne répond pas totalement au volontarisme affiché autour d’un acte refondateur au service des territoires de montagne. Certes, le travail qui a été le vôtre – celui des rapporteures comme le travail en commission – a permis de l’enrichir, en reprenant certaines propositions déjà formulées grâce à l’excellent travail mené par nos rapporteures en 2015 et présenté dans leur rapport Un acte II de la loi Montagne pour un pacte renouvelé de la Nation avec les territoires de montagne. Tous les élus de la montagne conviendront toutefois qu’il y a un véritable besoin de prendre en compte concrètement le vécu dans nos communes classées en zone de montagne pour répondre aux besoins des populations.

Ayant conduit sur le terrain un travail préparatoire avec une participation citoyenne, j’ai relevé des avis partagés et même des inquiétudes sur la portée limitée du texte. La coconstruction avec les élus de la montagne est une réalité, mais aboutit finalement à un texte de consensus qui a naturellement écarté, de par son élaboration même, certaines problématiques. Fort heureusement, à la suite du passage en commission, quelques problématiques très concrètes ont pu trouver un débouché législatif, même si certains sujets restent abordés de façon très parcellaire.

Je pense ainsi à la question centrale de la présence et du maintien de nos services publics en zone de montagne. Un chapitre III spécifique a été introduit, avec une avancée importante en faveur de la carte scolaire en zone de montagne. Cette avancée mérite d’être confortée en faisant clairement référence aux temps de parcours des élèves entre leur domicile et leur établissement scolaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de nos débats, puisque j’ai souhaité déposer, comme d’autres parlementaires, un amendement en ce sens. Mais il aurait été tout aussi indispensable de faire des propositions concrètes en matière d’accès aux soins et de maintien des hôpitaux de proximité dans le cadre de la création des groupements hospitaliers de territoire, tout comme en matière d’accès aux services déconcentrés de l’État ou encore en matière de présence postale et d’amplitude horaire des points de contact.

La question de l’adaptation des règles d’urbanisme aux spécificités et à la diversité des territoires de montagne a aussi occupé très largement nos débats en commission. Il s’agit en effet d’une préoccupation constante des élus et des habitants de la montagne – en particulier des élus de la moyenne montagne, qui est la mienne. Ainsi, les conditions particulièrement strictes d’élaboration et de révision des plans locaux d’urbanisme ne correspondent pas toujours aux problématiques réelles des territoires ruraux éloignés et souvent en perte de démographie.

J’ai déposé plusieurs amendements relatifs à cet enjeu, par exemple en ce qui concerne les possibilités de changement de destination de certains bâtiments pour faciliter la reprise d’activité. Un bâtiment agricole qui n’a plus cet usage ne peut pas être repris par une entreprise artisanale, ni même par une entreprise forestière : c’est un véritable problème, qu’il faut évoquer.

J’ai également déposé des amendements pour la prorogation de la validité des plans d’occupation des sols existants, afin d’éviter certaines dérives déjà constatées du fait du retour à l’application du règlement national d’urbanisme, dans l’attente des plans locaux d’urbanisme intercommunaux, ou PLUI.

Un autre enjeu longuement abordé par la commission des affaires économiques est celui des modalités de la gestion de l’eau potable en zone de montagne. Il s’agit d’une préoccupation très forte des élus des communes concernées, qui vivent avec beaucoup d’inquiétude le transfert obligatoire de cette compétence aux intercommunalités, transfert acté par la loi NOTRe, au regard des conséquences probables pour le service rendu aux habitants et les futurs prix de l’eau. J’y reviendrai dans le débat sur les articles avec plusieurs propositions d’amendements, mais j’appelle d’ores et déjà l’attention de l’ensemble de la représentation nationale sur ce point.

Monsieur le ministre, sans vouloir défaire ce qui a été voté hier, il apparaît indispensable que nous sachions collectivement faire acte de réalisme et de raison dans ce domaine au regard de ce qui est en jeu sur le terrain et des conséquences très concrètes que nous font remonter tous les élus municipaux dévoués au quotidien à une gestion d’un bien commun fondamental pour leurs concitoyens.

Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, sans rien renier du travail effectué sur ce texte – je l’ai d’ailleurs salué –, je regrette qu’une série d’enjeux concernant directement les territoires de montagne fassent figure de grands absents.

Tout d’abord, la question de l’accessibilité en termes d’infrastructures de transports, tout comme en matière d’offre et de services de transports collectifs pour nos zones de montagne : alors que des coups très rudes sont portés à la continuité du service public ferroviaire et que des largesses exorbitantes sont une nouvelle fois accordées aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’absence de ces thématiques dans le texte est saisissante. Il s’agit pourtant d’un sujet prioritaire pour qui cherche à favoriser l’attractivité de ces territoires ruraux par l’accueil de nouveaux actifs, parallèlement au problème du déploiement du numérique – j’aurai l’occasion d’y revenir.

Il est tout aussi regrettable de ne pas aborder de façon approfondie l’enjeu central du réchauffement climatique et de ses incidences sur les activités et l’attractivité des territoires de montagne. Quelques mois seulement après la COP21 de Paris, nos politiques publiques doivent clairement marquer une attention et consacrer des moyens spécifiques aux territoires de montagne dans ce domaine. Ils figurent en effet parmi les espaces les plus impactés : hausse des températures, contrastes pluviométriques accrus, diminution de l’enneigement, hausse des phénomènes météorologiques violents, évolution et érosion accélérée de la biodiversité, la montagne est en première ligne à travers les activités agricoles, forestières et touristiques. Or ce texte n’y fait quasiment pas référence, ou du moins très peu, ou indirectement. À travers l’amendement que je propose, je souhaite a minima que nous fassions figurer cet enjeu central parmi les objectifs généraux de cette loi.

J’ajouterai, pour conforter mon propos, que cet enjeu est crucial pour toute la filière forestière, comme je l’ai souligné dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Forêt » du projet de loi de finances pour 2016. Le changement climatique aura en effet des répercussions majeures sur l’état de nos forêts, dont il convient de prendre, dès maintenant, toute la mesure en raison de l’inscription de la gestion forestière dans le temps long. C’est aujourd’hui que se préparent la forêt et les récoltes de l’après-2050, période qui devrait voir, selon les prévisions, les changements les plus importants de notre environnement.

Une autre problématique n’a pas trouvé directement de traduction législative dans ce texte : le soutien aux activités commerciales et artisanales de proximité. Il aurait mérité un travail concerté avec l’ensemble des acteurs concernés pour parvenir à assurer un minimum de ressources aux professionnels installés sur des territoires très peu peuplés – je pense une nouvelle fois à tous nos territoires de moyenne montagne, comme dans le Massif central.

Enfin, et sans vouloir abaisser le travail fourni présenté aujourd’hui, il y a un autre absent : il s’agit bien entendu du nerf de la guerre de l’aménagement du territoire, en l’occurrence les moyens financiers spécifiques accordés à ces politiques différenciées.

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