Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 10 octobre 2016 à 16h00
Modernisation développement et protection des territoires de montagne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, chers collègues, pour moi, la montagne est la zone frontière par excellence. Ce texte montre également qu’elle est une zone frontière de nos lacunes institutionnelles et politiques. Doit-on par exemple accepter les sommets idéologiques tels que ceux qui composent les trois premiers articles ?

Je cite un passage pour que ceux qui nous regardent perçoivent le cancer technocratique qui mine nos travaux : « La République française reconnaît la montagne... ». Vous en êtes donc arrivés au point ou une construction contractuelle et administrative par ailleurs largement discutée aujourd’hui voudrait négocier avec un élément réel s’il en est pour qu’il soit parfaitement reconnu ! Messieurs, c’est vraiment témoigner là d’un étrange manque de cohérence. Il faut faire ce détour important par les idées politiques pour comprendre comment vous tombez de velléités déséquilibrées en cadeaux d’usage.

À l’article 2 se déploient des formalités pour le conseil national de la montagne. Au chapitre II quelques béotiens, dont je suis, peinent à comprendre l’intitulé : « Moderniser la gouvernance des territoires de montagne ». À l’article 6, vous présagez déjà des entourloupes entre l’État, les conseils régionaux, le conseil de la montagne et les fonds européens.

Est-ce maladif ? Est-ce là une volonté marquée d’imposer une philosophie de l’artificiel contre tous les tenants de la primauté de la nature et de son harmonie sur les constructions idéales ou est-ce simplement un détournement du pouvoir de décision politique par des technocrates incapables d’employer un autre vocabulaire que le sabir de leurs cabinets ?

Sous le verbiage, il y a des gens, des familles, des paysans et des artisans, qui ne veulent ni d’une reconnaissance jacobine, ni d’une visite annuelle de commissaires européens. Au contraire, ils veulent moins d’intrusions de l’État, plus de libertés et une trêve à la guerre fiscale que les partis politiques mènent au pays réel et qui le détruit.

Je suis hilare en voyant votre article 4 bis ouvrant des possibilités pour les conseillers régionaux afin de nommer des vice-présidents de la montagne ! Sans doute est-ce une possibilité de plus pour quelques factions de négocier ralliements et abandons.

Le texte confine à l’hallucination collective quand on comprend que du Massif central aux Pyrénées en passant par le mont Ventoux, un projet de loi vise à normaliser des manières de vivre et de travailler qui diffèrent singulièrement entre elles. Nous en revenons d’ailleurs au départ de mon discours : le Ventoux de Giono n’est pas l’alpage de Rousseau – et c’est leur force – mais il fallait bien qu’ils s’uniformisassent pour qu’un conseiller ministériel s’écrie, fier et fort : « Grâce à mon texte, l’Assemblée reconnaît la montagne » !

Alors, puisqu’il nous faut bien discuter au sein de ce cadre artificiel, voici quelques propositions.

Je dirais que la France est victime d’une sédation profonde par l’injection constante du centralisme parisien. Qu’à cela ne tienne, libérez les hauts fonctionnaires de ces questions et laissez les municipalités représentatives des montagnards négocier directement avec les régions ! À quoi vous répondrez – article 8 ter : il faut bien aménager les services publics ! Tous les voisins du Ventoux ont subi leur désertion depuis des décennies, ont réclamé leur maintien et ont vu l’argent filer vers les offices HLM d’Avignon et de Carpentras. Dès lors, ils ne vous croient plus un instant.

Enfin, chers collègues, puisque vous avez toujours l’écologie au coin de la bouche, rappelez-vous qu’elle est d’abord le respect que l’homme doit au cadre de vie dont il a été institué le maître. En ce cas, la montagne ne présente pas des handicaps mais des limites ; en ce cas, le travail saisonnier est par définition prisonnier des cycles et l’immobilier de loisir se développera par le contrôle et le dynamisme – non par des reconnaissances de l’Assemblée nationale mais parce que les montagnards auront pu en décider librement ainsi, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En un mot, plus de Jean Lassalle et moins de Jacobins, les brebis n’en seront que mieux gardées !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion