Je veux, comme je l’ai fait lors de nos débats en commission, rappeler le contenu de cet article, à l’intention de ceux qui pensent qu’il est nécessaire chaque jour de réinventer l’eau chaude, mais aussi de ceux qui suivent nos débats, et à qui l’on veut faire croire chaque jour que la France serait amollie et dépourvue de tout moyen juridique de protection : « Si un discours prononcé, ou un écrit affiché ou distribué dans les lieux ou s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans (…) ». Le sujet n’est donc finalement pas si récent que cela, même s’il recouvrait, bien évidemment, à l’époque, des réalités différentes. C’est l’occasion d’avoir une pensée pour Aristide Briand, qui fut le rapporteur de ce texte, si important pour l’identité de la République française.
Le dernier texte que je souhaite évoquer est bien plus récent : il fut adopté au cours de cette législature. La loi antiterroriste du 13 novembre 2014, issue d’un projet de loi que le Gouvernement a présenté quelques semaines avant les attentats de janvier 2015, a consacré le transfert du délit d’apologie du terrorisme, inscrit dans la loi sur la presse de 1881, vers le code pénal. Pour mémoire, ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, soit le même quantum de peine que celui que vous proposez d’instituer, madame la rapporteure, pour l’infraction de prédication subversive que vous suggérez de créer.
Si les lois existent, parfois depuis longtemps, mais que le problème subsiste – nul ne le nie –, ce n’est pas en ajoutant de la loi aux lois que l’on gagnera en efficacité, mais plutôt en les appliquant dans toute leur rigueur. Sans doute faut-il, s’agissant des textes les plus anciens – je pense à l’article 35 de la loi de 1905 –, rafraîchir quelque peu les mémoires, pour que le ministère public s’appuie pleinement sur l’ensemble de la palette de ces possibilités légales, afin d’engager des poursuites chaque fois que nécessaire. Je vous sais très attentif à cette préoccupation, monsieur le garde des Sceaux.
Pour l’application pleine et entière des dispositions de la loi du 13 novembre 2014, en tout cas, la piqûre de rappel au moyen d’une circulaire d’application de la politique pénale ne semble pas nécessaire, si l’on veut bien considérer l’évolution des statistiques. Le nombre de poursuites intentées pour apologie du terrorisme est passé de six en 2014 – pour une période d’application de seulement six semaines –, à 385 en 2015 ; pour le seul premier trimestre 2016, on en dénombre déjà 219. Notre droit positif contient donc des outils conséquents pour poursuivre et sanctionner toutes les formes de discours qui portent les germes d’un trouble grave à l’ordre public, y compris ceux tenus dans un lieu de culte, mais pas seulement.
Faut-il aller au-delà ? Parce que nous sommes d’accord avec la finalité de votre démarche, parce que nous avons conscience que, dans un contexte d’attentats récurrents, lorsqu’un micro est tendu à un responsable public, c’est pour lui demander quelle mesure nouvelle il entend prendre ou considère qu’il faudrait prendre, parce que nous mesurons les attentes de nos compatriotes imprégnés de ce mode de pensée, notre réponse première fut : pourquoi pas ? Après tout, ce ne serait pas la première fois que l’on réécrirait, dans la loi, ce qui est déjà écrit ailleurs dans la loi. Et si, au passage, cela nous permettait d’élargir les outils pour en finir avec ce fléau ?
Mais « élargir », c’est précisément le second écueil. Élargir, du point de vue du droit, c’est souvent perdre en précision, risquer d’atteindre des cibles que l’on ne visait pas. Il est apparu que ce que nous pouvions considérer, de prime abord, comme un complément utile à notre arsenal légal, qui, au pire, n’apporterait rien de plus, mais rien de moins, était en fait de nature complexifier inopportunément le droit existant, ce qui aurait pour conséquence d’en affaiblir la portée. Il arrive en effet que l’abus de loi soit préjudiciable à l’efficacité du droit. Il peut aussi s’avérer dangereux, à l’insu de son auteur, pour la stabilité des principes fondamentaux qui fondent depuis deux siècles notre capacité à vivre ensemble.
Telle est, de notre point de vue, l’autre grande faiblesse de cette proposition, dont la fragilité juridique n’est pas apparue qu’à moi, ni aux seuls membres du groupe socialiste, écologiste et républicain. Vous-même, madame la rapporteure, en avez pris pleinement conscience, en déposant, en commission des lois, plusieurs amendements à votre propre texte, qui visaient à introduire des modifications substantielles, à défaut d’être réellement satisfaisantes. Même si nous prenions en considération ces apports, comme vous ne manqueriez pas de nous y inviter si nous poursuivions la discussion jusque-là, il n’en demeurerait pas moins une définition extrêmement large et extensive de la nouvelle infraction que vous ambitionnez de créer pour sanctionner les prédications subversives. Ce manque de précision se heurte à plusieurs exigences à valeur constitutionnelle. En matière pénale, l’application de notre droit repose sur un impératif inscrit depuis 1789 dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et sans cesse conforté par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : on ne peut être condamné qu’en vertu d’un texte précis et clair. Lors de la séance des questions au Gouvernement du 5 octobre, répondant à une question que vous lui posiez, madame la rapporteure, au sujet de votre proposition de loi, le garde des Sceaux a opportunément rappelé à nos mémoires une pensée de Portalis, qui considérait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Pour ne pas être en reste, je citerai un autre mot de cet éminent architecte de notre code civil : « En matière criminelle, il faut des lois précises et point de jurisprudence ».