Intervention de Enrico Letta

Réunion du 5 octobre 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Enrico Letta, ancien Premier ministre d'Italie, président de l'Institut Jacques DelorsNotre Europe :

La défense peut intéresser les citoyens européens. J'observe d'ailleurs que tous les candidats aux élections, en France, disent qu'il faut augmenter l'effort en cette matière. Convaincre les populations est difficile car cela signifie soit augmenter les impôts soit réallouer des moyens. En agissant ensemble, nous éviterions les chevauchements et doublons actuels ; il faut des spécialisations par pays. Et puis, quand la France intervient au Mali, elle le fait pour l'Europe, et cela doit être traité au niveau budgétaire de manière plus sensée et plus souple. Il en va de même quand Italie agit dans les eaux libyennes.

Le Brexit pose problème car s'il est impossible de tenir le Royaume-Uni à l'écart de la coopération en matière de défense, la négociation de l'accord de sortie sera très dure. Les Britanniques profiteront de leur rôle éminent dans la sécurité et la défense européennes pour chercher à en tirer avantage dans d'autres domaines. Il faudra être prudent.

Vous m'avez interrogé sur l'éventualité du renforcement du fédéralisme entre les pays fondateurs. Je suis de ceux qui pensent que si aucune initiative n'est prise par les pays membres de la zone euro, il ne se passera rien car, à Vingt-Sept, les blocages sont trop grands. C'est pourquoi les décisions prises à Bratislava ne m'ont pas convaincu : il n'a pas été question d'avancer à Dix-Neuf, mais toujours à Vingt-Sept. Cela s'explique par la volonté d'éviter d'autres épisodes tels que le Brexit, mais à Vingt-Sept, rien n'avancera.

Vous avez décrit très exactement ce qu'est l'UEM : une union qui, typographiquement, devrait s'écrire « union économique et Monétaire » tant le volet monétaire l'emporte sur le volet économique, alors qu'ils devraient être d'égale importance. On a considéré qu'ayant déjà fait beaucoup sur le plan monétaire, on ne pouvait faire plus, sans comprendre que sans union économique, l'union monétaire ne fonctionne pas. Voilà pourquoi, dans le rapport que nous avons présenté avec la Fondation Bertelsmann, nous plaidons vigoureusement en faveur du renforcement du volet économique de l'UEM.

En matière institutionnelle, j'ai apprécié la procédure des Spitzenkandidaten ; elle a évité que le Conseil européen choisisse seul le président de la Commission européenne et permis au Parlement européen de jouer un rôle important. Il importe de revoir les liens entre la Commission européenne, les parlements nationaux et le Parlement européen ; sinon, on en restera à la seule relation entre Commission et Conseil, dans laquelle le Conseil l'emporte. Or, je l'ai constaté, en dépit de son importance, le Conseil européen ne fonctionne pas parce qu'il ne décide pas : il est censé fixer des orientations communes, mais en réalité chacun de ses membres vise à transmettre un message à sa propre opinion publique nationale. Quelle est la différence entre une institution qui fonctionne, la BCE, et une autre qui ne fonctionne pas, le Conseil européen ? À la BCE, des décisions sont prises par le collège puis annoncées par son seul président au nom de tous. Au Conseil, des discussions ont lieu, quelques décisions d'orientation sont prises, puis a lieu la conférence de presse du président. Elle suscite un intérêt modéré des journalistes, qui assistent en masse aux conférences de presse concomitantes des dirigeants nationaux, lesquels s'attachent à détailler comment ils ont battu la Commission sur tel sujet ou tel autre. Les choses ne peuvent durer ainsi ; le sujet est essentiel.

Il a été question des migrations. En 2013, 366 migrants se sont noyés au large de Lampedusa. Cette tragédie a conduit l'Italie à mener une opération militaire de sauvetage en mer. Elle l'a fait seule car la solidarité européenne lui a manqué : il s'agissait, lui a-t-on dit, d'un problème italien. Mais lorsque les migrants sont entrés en Allemagne, le problème est devenu un problème européen… La convergence des politiques migratoires est essentielle. Cela appelle un corps de garde-côtes et de garde-frontières véritablement européen et un mécanisme de réinstallation des migrants au sein de l'Union.

Le plan Juncker a été un succès, et la proposition de doubler son montant initial doit être appliquée. En revanche, la garantie pour la jeunesse n'a pas été l'une de ces petites victoires que l'appelle de mes voeux. Le libellé même du dispositif est malheureux, car une appellation est toujours symbolique : si l'on prétend « garantir » aux jeunes un résultat et que le résultat escompté n'est pas là, on obtient l'effet inverse de l'effet recherché.

Enfin, je partage l'avis que les candidats à l'élection présidentielle devraient être tenus d'expliquer comment ils comptent appliquer leur programme européen. Nous ferons notre possible pour les interroger et publier leurs réponses, mais il faut pour cela que le circuit politico-médiatique le permette.

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