Nous abordons ce soir le dernier budget de la législature, lequel, pour l’heure, ressemble plus à une sorte d’épitaphe des occasions manquées qu’à un étendard de la réussite.
Avec 600 000 chômeurs de plus, avec une industrie fragilisée, avec trop de nos jeunes projetés hors de l’emploi et des apprentissages, avec des retraités et des salariés qui ont vu leur pouvoir d’achat au mieux stagner, au pire reculer, notre pays s’est malheureusement fracturé, abîmé et divisé. C’est le résultat du choix d’une politique d’austérité qui partout en Europe a fait tant de mal ces dernières années – on a oublié que notre pays aurait pu choisir un autre chemin.
Les atouts de la France ne manquent pourtant pas : de merveilleuses capacités d’innovation et de formation, une façade maritime unique, un patrimoine culturel et historique qui résonne partout sur la planète. Alors pourquoi cet échec ? Nous, députés du Front de gauche, estimons qu’il découle de l’alignement inconsidéré sur les exigences du capital financier mondialisé porté par les traités européens. La France, notre belle France, est terne quand elle laisse l’expertise comptable s’imposer face à la pensée politique.
Regardons la réalité : à mesure que l’empire de la haute finance s’étend, les inégalités se creusent, les crises économiques et financières s’enchaînent et les fraudes géantes s’accumulent. Notre monde est devenu complètement dingue. Les 61 personnes les plus riches de la planète possèdent autant que les 3,5 milliards d’êtres humains les plus pauvres. Qui peut raisonnablement penser que ce modèle a un quelconque avenir ?
Faut-il dès lors s’étonner que les conflits, notamment militaires, se généralisent ? Selon le Institute for Economics and Peace, un think tank mondial, seuls 11 pays sur les 162 suivis n’étaient pas en guerre en 2014, ce qui marque une très forte dégradation par rapport à 2007.
L’ennemi, c’est toujours la finance, monsieur le secrétaire d’État, cette finance qui s’est accélérée, qui se joue des règles territoriales, qui pèse sur les peuples avec trop souvent la complicité d’élites politico-administratives, et qui a comme conséquence la montée des haines et des divisions. Près de 1 150 000 milliards de dollars transitent entre les places financières, alors que seulement 40 000 milliards de dollars sont utiles à l’économie réelle, soit vingt-huit fois moins. Sans cesse, le capital financier exige que les travailleurs fassent des concessions salariales et les États des concessions fiscales. C’est la course à qui fera pire.
Le pire, ce sont des dérégulations dans tous les domaines, qu’il s’agisse des traités transatlantiques, le TAFTA et le CETA, ou, pour notre pays, des diktats sur le marché du travail imposés par les lois Macron ou El Khomri. C’est à tout ce système que la France doit s’attaquer. Certes, le combat n’est pas simple, mais au terme de ce quinquennat, voyons si les politiques publiques menées, concrétisées par les politiques budgétaires, auront permis d’avancer.
L’absence d’une véritable taxe sur les transactions financières incluant les mouvements spéculatifs intrajournaliers, l’absence d’une véritable séparation entre banques d’affaires et banques de dépôts, le refus de toucher au verrou de Bercy ou la frilosité à l’égard des dispositifs d’évasion fiscale mis en oeuvre par les grandes entreprises auront été autant de rendez-vous manqués. Le cas d’Apple et des 13 milliards dont les États européens ont été littéralement spoliés est exemplaire.
Quant à la politique fiscale menée depuis 2012, l’Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – vient d’en faire le pré-bilan. Et la sentence est claire : un renversement inédit de la fiscalité des entreprises vers les ménages s’est opéré au cours de ces cinq dernières années. Alors qu’en 2012 les entreprises contribuaient à hauteur de 19,8 points de PIB, ce ne serait plus que de 18,9 points en 2017, soit 20 milliards d’euros de moins. Pour les ménages, c’est exactement l’inverse : leur contribution passe de 24,2 à 25,7 points de PIB, ce qui correspond à une hausse 31 milliards d’euros. En outre, l’architecture fiscale reste toujours aussi injuste avec un impôt progressif, l’impôt sur le revenu, qui ne représente que 3,5 points de PIB alors que la TVA a fortement augmenté. Et il ne faut pas oublier la diète imposée par l’État aux collectivités locales, qui a entraîné un accroissement des impôts sur les ménages et accentué le déséquilibre territorial.
Au total, trop de nos concitoyens auront subi une pression fiscale injuste, à commencer par les pauvres, ainsi que les retraités et les classes moyennes, du fait surtout de la TVA. À y regarder de plus près, seuls les plus aisés y ont gagné, profitant des mécanismes d’optimisation. Le patrimoine des 500 Français les plus riches aura progressé de près de 25 % en cinq ans. C’est indécent !
Dans ce contexte, la cure d’austérité promise par une droite qui rêve de parachever la contre-révolution libérale à l’oeuvre depuis les années quatre-vingt est une surprime à l’indécence. Pourtant, bien des institutions, des livres et des recommandations appellent à cesser les politiques restrictives et à encourager l’investissement. C’est le cas du FMI – Fonds monétaire international. Toujours selon l’OFCE, en six ans l’investissement public est passé de 4,5 points de PIB en 2010, soit 86 milliards, à 3,2 points de PIB, soit 67 milliards d’euros. Ces orientations, terribles pour les territoires, obèrent l’avenir.
Surtout, le basculement de la fiscalité vers les ménages n’a pas produit les effets escomptés. Comme on pouvait s’y attendre ! Selon les études réalisées, chaque emploi sauvé ou créé par le CICE a coûté entre 287 000 et 574 000 euros : quel gâchis ! Vous souhaitez d’ailleurs l’aggraver en faisant passer le taux de ce crédit d’impôt de 6 à 7 %.
De ce fait, l’impôt sur les sociétés, que le MEDEF nous présente toujours comme le grand Satan, a quasiment disparu, mité par une assiette à gros trous. Il représentera 25 milliards à l’horizon 2018, soit 1,2 point de PIB, un rendement deux fois moins élevé que la moyenne de la zone euro. C’est pourquoi, plutôt qu’une baisse uniforme des taux d’impôt sur les sociétés, les députés du Front de gauche défendent l’idée d’une modulation de la fiscalité des entreprises en fonction de l’utilisation des bénéfices. Une entreprise qui crée de l’emploi, favorise la formation, augmente les salaires, investit dans la production doit être avantagée par rapport à une entreprise qui verse des dividendes. Et, nous le savons, ce ne sont pas les PME ou les TPE qui alimentent la chaudière de la spéculation, elles qui créent de l’emploi et des richesses sur tout le territoire.
Aujourd’hui, l’architecture fiscale, confirmée par ce projet de loi de finances pour 2017, n’est pas suffisamment juste et les niches se multiplient, formant un véritable chenil. Le prélèvement à la source qu’il est prévu d’instaurer fera l’objet d’un débat spécifique. Il pose un problème de confidentialité, car c’est l’entreprise qui viendra collecter l’impôt. Il n’a pas été conçu pour améliorer le taux de recouvrement, lequel s’élève déjà à 99 % : il a surtout vocation à préparer la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG, qui consacrera le financement de la protection sociale non pas par la cotisation sur les richesses créées mais par l’impôt.
Ce nouvel impôt à la source pourrait être un moyen d’améliorer la progressivité des prélèvements, mais aussi le cheval de Troie de cette flat tax si injuste à laquelle rêve la droite. Pour notre part, nous estimons que cette législature aurait dû être celle de la progressivité fiscale, en basculant des impôts injustes tels que la TVA vers l’impôt progressif, qui compterait davantage de tranches. C’est ce que nous proposerons.
Dans le même temps, l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – aurait dû faire l’objet d’une revalorisation, d’un élargissement de l’assiette et d’un déplafonnement. Exonérer Mme Bettencourt de 61 millions d’euros d’impôts, soit plus que le budget annuel de la commune de Vierzon, c’est tout simplement injuste et inefficace.
Mes chers collègues, c’est aussi d’une autre utilisation de l’argent que nous avons besoin, une gestion portée par un véritable pôle bancaire public, et d’une vraie guerre contre l’évasion, la fraude ainsi que l’optimisation fiscales. Chaque année, ce sont plus de 1 000 milliards d’euros en Europe qui sont soustraits aux budgets des pouvoirs publics, dont 60 à 80 milliards rien que pour la France. Comment peut-on encore accepter cela, alors que l’on demande à chacun, à juste titre, d’aller payer son impôt sur le revenu ou sa taxe d’habitation à son centre des impôts ?
Sans doute faut-il se rappeler que le président de la Commission européenne a dirigé l’État où a éclaté le scandale du LuxLeaks, ou que certains anciens commissaires européens fraudent ou se vendent aux établissements bancaires qui jouent avec les paradis fiscaux. Ces liaisons dangereuses d’une oligarchie financière délétère portent d’ailleurs une grande responsabilité dans la défiance des peuples et les divisions et les haines qui en résultent. Avec 1 000 milliards d’euros en Europe, nous disposerions d’une manne pour lancer réellement le plan de transition écologique, porteur d’emplois et de formations, pour une nouvelle ère de solidarité et de paix et pour des services publics de qualité.
Au lieu d’avoir l’oeil rivé sur les 3 % de déficit public, au lieu de se soumettre à la domination de la dette établie par les marchés financiers, nous aurions là une espérance pour faire converger les peuples. Comme le dit le Prix Nobel Joseph Stiglitz, il faut rompre avec le « pacte de suicide collectif » préconisé en Europe.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il peut être tentant de s’en tenir à la discussion du déficit structurel ou conjoncturel. Il peut être sympathique d’ergoter sur un taux de croissance à 1,3 ou 1,5 % – la différence, c’est 4 milliards d’euros, c’est-à-dire moins du dixième des dividendes versés par les entreprises du CAC 40 en 2015. Il peut être satisfaisant intellectuellement de débattre sur toutes les dispositions du projet de loi de finances, sachant qu’en réalité, le débat parlementaire n’agit en fin de compte que sur 0,5 à 1 % du budget. C’est malheureusement le temps de l’économisme, de l’expertise-comptable, et non du destin collectif.
Pour nous, députés du Front de gauche, le grand enjeu de 2017 sera de remettre l’humain au coeur des politiques publiques, avant de satisfaire les « banksters » qui ont pris le pouvoir, les « too big to fail » – trop gros pour faire faillite – et « too big to jail » – trop gros pour aller en prison – qui nous assassinent. Et si nous ne pouvons que nous féliciter des tentatives pour réparer l’injustice faite aux retraités très modestes, comme nous saluons l’engagement de redonner des moyens humains pour assurer la sécurité, la justice, l’éducation, nous estimons que ce budget est dans la droite ligne d’une politique exclusive de l’offre, inefficace et injuste.