Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 19 octobre 2016 à 15h00
Débat sur les opérations extérieures de la france

Manuel Valls, Premier ministre :

Mossoul est une première étape, très difficile. Et la tâche ne sera pas achevée. Il faudra ensuite, en Syrie, appuyer les forces insurgées – celles qui combattent à la fois le régime de Bachar el-Assad et Daech ; je pense en particulier aux Kurdes. Il faudra aussi, à condition qu’il y ait une volonté, tenter de reconquérir Raqqa, cette pseudo-capitale de l’État islamique, d’où partent aussi les ordres visant à frapper l’Europe et la France.

Le 25 octobre prochain, à Paris, se tiendra une réunion des treize pays militairement les plus impliqués, sous la présidence conjointe de Jean-Yves Le Drian et de son homologue américain, Ashton Carter.

Vous le voyez, le 25 octobre ou demain, la France est là : elle prend l’initiative et est présente pour essayer de déterminer le destin de cette région qui compte tant pour nous et pour l’Europe.

Combattre Daech, c’est aussi pour la France, nous y reviendrons, agir en Libye. L’État islamique a été évincé de son fief de Syrte. Mais nous savons le danger que représente la dissémination des djihadistes dans le reste du territoire libyen et dans les pays voisins, en particulier en Tunisie. C’est pourquoi, même si la France ne mène pas en Libye une opération extérieure, elle y conduit une action de soutien et d’observation.

La difficulté, c’est que tout reste à reconstruire dans ce pays, car disons-le, nous n’avons pas su anticiper les conséquences de la chute du régime de Khadafi lorsque nous sommes intervenus – sans doute à juste titre – en 2011. Nous devons donc redoubler d’efforts pour que le gouvernement d’entente nationale puisse véritablement rassembler toutes les forces politiques libyennes. Et nous savons l’importance de la Libye en Méditerranée, s’agissant en particulier de la question des flux migratoires.

Mesdames, messieurs les députés, nos soldats sont mobilisés à l’extérieur, mais je ne voudrais pas que le débat d’aujourd’hui passe sous silence les autres engagements de nos armées sur le territoire national, avec les 7 000 femmes et hommes de l’opération Sentinelle. Il y a un continuum géographique de la menace. Il y a donc un continuum géographique d’action pour nos forces militaires. Elles contribuent, avec les forces de sécurité intérieure, avec nos services de renseignement, avec notre justice, à protéger nos concitoyens. C’est notre priorité.

Ce sont des missions inhabituelles pour ces militaires, aujourd’hui appelés à patrouiller dans nos rues, à surveiller nos bâtiments publics, nos axes de transports, mais ce sont des missions essentielles que demandent nos concitoyens.

Le combat contre le djihadisme sera long. Il ne sera pas seulement militaire, mais jamais nous ne transigerons avec la sécurité de la Nation, en France comme sur les théâtres extérieurs. Jamais nous ne priverons nos forces intérieures – police et gendarmerie – des moyens humains et matériels nécessaires. Et l’effort engagé depuis 2012 devra se poursuivre. Jamais nous ne priverons nos armées des moyens indispensables pour assumer leurs missions sur notre sol et le coût de leurs engagements hors de nos frontières. En 2016, le surcoût des opérations extérieures dépassera le milliard d’euros pour le budget de la défense et il sera compensé conformément au mécanisme prévu, madame la présidente de la commission, par la loi de programmation militaire.

C’est aussi la raison pour laquelle le Gouvernement réalise autant d’efforts pour la défense. Et parce que les menaces vont persister, parce que le contexte géopolitique demeurera lourd d’incertitudes, nous devrons, je l’ai déjà dit, poursuivre l’accroissement du budget de la défense avec l’objectif de le porter à 2 % du produit intérieur brut.

Cet effort budgétaire doit être aussi celui des pays européens. Dès le lendemain des attentats de janvier 2015, la France a fait appel à la solidarité de ses partenaires, par l’invocation de la clause de solidarité prévue par le traité de l’Union européenne, l’article 42-7. La plupart d’entre eux ont répondu à notre appel et nous les avons remerciés de cet engagement à nos côtés.

Aujourd’hui, face aux menaces qui pèsent sur elle, l’Europe est au pied du mur. Elle doit mettre les enjeux de sécurité et de défense au coeur de ses priorités.

Parce qu’aucun membre de l’Union européenne ne peut s’estimer à l’abri, parce qu’aucun ne peut s’exonérer de la responsabilité que nous tous, collectivement, avons à l’échelle du monde, nous devons renforcer l’effort de défense européen.

Nous devons enfin donner sa consistance à une véritable Europe de la défense. Bien sûr, la souveraineté nationale doit être profondément respectée, mais je le dis tout net : face aux menaces au sud de la Méditerranée, la France ne peut être la seule à assumer ses responsabilités et à assumer, comme l’a dit Jean-Claude Juncker, « pour les autres » la défense de l’Europe. Afin de construire son autonomie stratégique, l’Europe doit être capable d’intervenir à l’extérieur de ses frontières, de projeter des forces européennes. Le Fonds européen dévolu à la défense et à la sécurité, demandé par la France et annoncé par la Commission, sera l’un des instruments pour que l’Europe se dote de toutes les capacités militaires et des ressources industrielles nécessaires.

L’Europe doit aussi être capable de renforcer son efficacité opérationnelle en apportant son appui au déploiement rapide des missions et opérations militaires de l’Union européenne. Nous assumons une responsabilité, nous avons notre autonomie, la France continuera bien sûr à conduire ses propres opérations, mais l’Europe doit s’engager et doit assumer ses responsabilités.

Mesdames et messieurs les députés, pour faire reculer Daech, nous avons fortement engagé nos moyens militaires ; je viens de les évoquer : plus de 4 000 hommes au Sahel, plus de 4 000 hommes au Levant, issus de toutes nos armées, de terre, de l’air, de la marine.

Cette guerre contre Daech, nous allons la gagner : il faut la gagner. Mais soyons lucides : ces victoires ne signifieront pas que nous en aurons terminé avec le terrorisme djihadiste.

Les racines du fondamentalisme demeureront. Les bouleversements stratégiques au Sahel, au Levant, sur le pourtour de la Méditerranée, en Orient, continueront de mettre à l’épreuve les États, de contester les frontières, de provoquer les ingérences extérieures, d’aiguiser les appétits de puissance, de pousser vers les routes d’Europe des cohortes de réfugiés, de mettre en danger les minorités religieuses d’Orient installées là depuis des siècles et aujourd’hui martyrisées : je pense aux chrétiens d’Orient et aux yézidis, qui méritent notre solidarité. Il faut que nous puissions les accueillir, quand ils le demandent, dans les meilleures conditions.

La Syrie, comme d’ailleurs le Yémen, est le précipité de toutes ces fractures qui déchirent l’Orient : la rivalité multiséculaire entre chiites et sunnites qui se réveille, si elle s’est jamais assoupie ; la résurgence de l’aspiration nationale kurde ; les luttes d’influence entre puissances régionales sunnites pour asseoir une domination sur le monde musulman sunnite. Et le jeu russe, bien entendu, qui tire profit de l’abstention ou du retrait américains pour retrouver sa puissance et son influence au Moyen-Orient, en renouant – quel qu’en soit le prix – avec une politique de brutalité et en soutenant à bout de bras le régime de Bachar el-Assad.

Au Levant, la France avec sa diplomatie s’engage pleinement car elle parle à tout le monde ; je dis bien « à tout le monde », car c’est peut-être elle qui connaît le mieux cette partie du monde et sa complexité.

Parler à tout le monde, c’est avoir une diplomatie active avec les grands pays sunnites de la région : Turquie, Arabie saoudite, Égypte, États du Golfe. Sans ce dialogue direct avec les pays sunnites, nous savons que les fractures peuvent s’aggraver en Orient.

Nous avons bâti avec plusieurs d’entre eux des partenariats stratégiques. Et nous devrons encore les approfondir car l’avenir du Moyen-Orient ne peut se construire sans une relation forte de la France avec ces pays. C’est cette relation forte qui nous permettra de lutter plus efficacement contre le financement direct ou indirect de la propagande salafiste…

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