Intervention de Philippe Folliot

Séance en hémicycle du 19 octobre 2016 à 15h00
Débat sur les opérations extérieures de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, messieurs les secrétaires d’État, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, depuis le début du quinquennat, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont soutenu sans réserve le Président de la République et le Gouvernement chaque fois que l’intérêt de la France était en jeu, dans un esprit de responsabilité et d’union nationale – je voudrais à ce propos saluer, monsieur le Premier ministre, la tonalité de votre discours, discours d’unité, de rassemblement et de responsabilité, dans un contexte qui, comme l’a rappelé notre collègue Pierre Lellouche, nous interpelle de plusieurs façons. Ce soutien, nous l’avons manifesté pour les interventions au Mali et en Centrafrique ; ce fut encore le cas pour le lancement de l’opération Chammal en Irak, ainsi que pour les frappes aériennes en Syrie.

Nous tenons à saluer le professionnalisme de nos hommes, leur courage et leur abnégation. Nous rendons hommage à ceux sont tombés au champ d’honneur, et nous soutenons nos hommes blessés, ainsi que leurs familles, dont le sacrifice est immense.

Cet engagement de nos troupes, c’est avant tout l’engagement de la France, sous mandat des Nations unies, pour la défense de la démocratie et de la liberté, et pour combattre le terrorisme et la barbarie qui menacent nos valeurs et la sécurité de nos concitoyens.

Nous devons cependant être conscients que, malgré l’atout que représente la troisième dimension, un conflit se règle toujours, in fine, au sol, comme en témoigne la bataille qui se livre actuellement pour reprendre Mossoul à Daech, et dans laquelle les forces irakiennes sont en première ligne, en partie formées, entraînées et accompagnées par des forces françaises, que nous saluons pour leur courage et leur efficacité.

Monsieur le Premier ministre, une question se pose : au regard de l’article 35 de la Constitution, cette présence, de par sa nature, ne justifierait-elle pas un débat, puis un vote spécifique, quatre mois après, au Parlement ?

En outre, dans la guerre globale que nous devons mener, il est essentiel que nous puissions nous adapter rapidement à l’évolution des menaces. Face aux dangers – par nature volatiles, de par leur fulgurance et leur radicalité –, il est indispensable d’anticiper davantage notre action grâce au renseignement, tant en opérations extérieures que sur notre sol. En effet, le continuum défense-sécurité est de plus en plus prégnant ; mes différents déplacements sur les théâtres d’opérations extérieures, notamment auprès de l’élite des troupes de marine qu’est le huitième régiment de parachutistes d’infanterie de marine, basé dans ma chère ville de Castres, m’ont permis de mieux cerner que c’est en Afghanistan, au Mali, au Niger, au Tchad, au Liban ou encore en République centrafricaine que se joue aussi, et surtout, notre sécurité. Plus il y aura de zones « grises », de non-droit, bases actives du terrorisme et de la criminalité internationale, plus le risque sera élevé en France. Nous devons donc combattre notre ennemi tant à l’étranger que sur notre propre sol.

L’opération Sentinelle est à ce titre un élément important de cette lutte, et nous l’avons naturellement soutenue dès son lancement. Il est à nos yeux logique que les forces armées puissent intervenir ponctuellement sur le territoire national, afin de protéger la population face à une menace terroriste qui n’a jamais été aussi élevée. Toutefois, nos militaires assurent dans ce cadre un rôle qui n’est pas la mission première de la défense ; ils se substituent de fait à des missions de police et de gendarmerie, voire à des sociétés privées. C’est pourquoi l’installation dans la durée de ce dispositif nous interpelle. Comme le souligne le rapport du Gouvernement sur l’emploi des forces sur le territoire national, extraordinaire dans son principe, cet emploi sur le territoire national doit demeurer extraordinaire dans le temps. En effet, nos armées sont au maximum de leurs possibilités : 34 000 soldats sont actuellement engagés, en France et dans vingt-cinq opérations extérieures. C’est un niveau jamais atteint depuis la fin de la guerre d’Algérie !

Dès 2013, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants avait fait part de ses inquiétudes concernant le manque de moyens et les conséquences dramatiques des baisses d’effectifs prévues : 23 500 postes devaient être supprimés, auxquels devaient s’ajouter les 54 000 déjà supprimés dans la précédente loi de programmation militaire. Si cette trajectoire avait été maintenue, les effectifs de la défense auraient diminué d’un quart en dix ans, entre 2009 et 2019 ; on aurait réussi à faire rentrer toute l’armée de terre dans le stade de France : quel symbole !

En 2014, le ministère de la défense, à lui seul, a assumé près de 60 % des suppressions d’emplois d’État. Pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants, il était irresponsable de demander à la défense de réaliser tant d’efforts – plus que les autres ministères –, dans un contexte où la menace n’a jamais été aussi élevée. Nous avons donc salué la prise de conscience du Gouvernement, si tardive fut-elle, de la nécessité de mettre un terme aux suppressions de postes dans le domaine de la défense.

Toutefois, les récents recrutements ne seront pas en mesure de soulager rapidement les tensions dans nos armées, puisque les nouveaux militaires doivent être formés. Cette situation joue malheureusement sur les temps de repos, mais aussi sur la capacité de préparation opérationnelle de nos militaires, dont nous saluons une nouvelle fois le professionnalisme et le dévouement. C’est pourquoi nous soutenons la volonté du Gouvernement de renforcer la réserve, dans l’objectif de passer des 28 000 réservistes actuels à 40 000 d’ici à 2019 et, à terme, de déployer en permanence un millier de réservistes pour des missions de protection sur le territoire national, contre 400 à 450 aujourd’hui. Cette initiative est essentielle, mais nous devons aujourd’hui aller plus loin, afin de mettre sur pied une force nombreuse, répartie sur tout le territoire, très facilement mobilisable et disposant d’une formation élémentaire.

Il est d’abord indispensable d’adopter les mesures sociales et administratives préalables à l’emploi des réserves, dont bénéficient par exemple les réservistes américains, anglais ou encore canadiens, afin de mobiliser massivement des réservistes opérationnels, en leur assurant une couverture spécifique et des garanties particulières concernant leur emploi civil. Il s’agit d’une première étape nécessaire avant que notre pays se dote d’une véritable garde nationale, ayant pour pivot la réserve de la gendarmerie, et qui prenne le plus rapidement possible le relais des effectifs classiques engagés dans les opérations intérieures Vigipirate et Sentinelle, afin de réduire les fortes tensions pesant sur nos armées.

Si nous saluons l’augmentation, attendue de longue date, des moyens de la défense, nous appelons le Gouvernement à intensifier cet effort, afin que le budget de la défense atteigne rapidement les 2 % du PIB, contre 1,7 % aujourd’hui. Certes, cet objectif peut paraître très ambitieux ; il est cependant la condition sine qua non du maintien de notre capacité de défense, alors que la France est en Europe la seule puissance à disposer d’un outil d’une telle qualité, qu’il s’agisse de nos hommes ou de notre cadre institutionnel particulièrement favorable – ce qui n’est malheureusement pas le cas de l’Allemagne, par exemple.

À ce titre, je tiens à rappeler que lorsque la France s’engage en opération extérieure, elle ne le fait pas pour elle-même, mais pour la sécurité de l’ensemble de l’Europe. C’est pourquoi il nous semblerait juste qu’une solidarité financière effective soit enfin mise en place – ce que l’UDI préconise depuis 2013.

L’augmentation de notre budget de la défense est indispensable pour respecter le contrat opérationnel des armées fixé par le dernier Livre blanc – contrat inatteignable avec le budget actuel –, mais également pour donner à nos soldats les moyens de mener le combat contre le terrorisme, alors que notre matériel est parfois servi par des hommes plus jeunes qu’eux puisque 85 % des équipements en service dans l’armée de terre ont été conçus et acquis il y a trente-cinq ans. Pouvons-nous imaginer les troupes anglaises et américaines débarquant en Normandie, en 1944, avec du matériel du début de la Guerre de 14-18 ? En outre, moins de 40 % des hélicoptères de l’armée de terre sont en mesure de voler, et moins de 65 % des véhicules sont en état de rouler. Cette situation n’est plus tenable.

Mes chers collègues, alors que le monde dans lequel nous vivons est chaque jour plus instable et dangereux, nous devons non seulement donner des moyens supplémentaires à notre défense, mais également susciter une prise de conscience collective. Une approche globale passera aussi par le développement et l’éducation dans toutes les zones fragilisées par le terrorisme et par la menace islamiste radicale. De plus, la sortie de crise et l’après conflit doivent être au coeur de nos préoccupations, que ce soit par la mobilisation des moyens de l’action civilo-militaire ou par l’octroi de crédits à l’aide au développement via, entre autres, l’AFD, l’Agence française de développement.

L’engagement de dizaines de milliers de nos concitoyens civils au service de la France et de la sécurité constituera une réponse déterminante face au terrorisme, car c’est par la résilience de chacun et de tous que nous pourrons faire face à la barbarie et aux menaces qui pèsent sur notre pays. C’est pourquoi il nous paraît important de retrouver des éléments d’union : c’est à quoi nous appelons, non seulement sur les bancs de l’UDI, mais aussi, je pense, sur la majorité des bancs de notre assemblée.

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