Intervention de Dorothée Schmid

Réunion du 5 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Dorothée Schmid, responsable du programme « Turquie Moyen-Orient » à l'Institut français des relations internationales :

Constatant que ces questions globalement négatives s'ajoutent à notre perspective plutôt critique, je tiens à dire que je partage la position de Nicole Ameline : il va falloir maintenir un dialogue constructif avec la Turquie.

Il ne faut surtout pas prendre des décisions dans la précipitation, même si les Turcs nous mettent constamment en demeure de répondre aux ultimatums qu'ils nous lancent sur toutes sortes de questions, parce qu'ils changent aussi très souvent d'avis. Hamit Bozarslan a relevé toutes les incohérences de la diplomatie turque qui fait des demi-tours à peu près tous les quinze jours. Sur la question des visas, par exemple, le gouvernement turc a d'abord fait des déclarations très dures, puis il a rétropédalé avant de mettre un nouveau coup de pression pour des raisons tactiques, d'opportunité. Il ne faut pas prendre au sérieux tout ce qui est dit, sous prétexte que le ton est dur et les menaces – la libération de flots de migrants, etc. – importantes. Quoi qu'il en soit, il semble que les deux côtés se soient résolus à admettre que le dossier des visas ne serait pas réglé dans l'immédiat, qu'il y aurait un délai.

La Turquie va effectivement perdurer en tant que pays. Elle avance au milieu du chaos sur un nouveau chemin politique, vers une nouvelle configuration. Les Turcs retiennent le fait que, pour la première fois, un coup d'État militaire n'est pas parvenu à son terme. La majeure partie de la population y voit le signe d'un énorme progrès démocratique, même si la démocratie sociale n'est pas ancrée dans le pays. Cet apprentissage de la démocratie sociale consiste à comprendre que l'on peut demander des comptes à un gouvernement qui a été élu : les différentes votations sont un moment où, en principe, on devrait pouvoir remettre en cause certains points de l'agenda.

Que s'est-il passé entre les deux élections législatives de l'année dernière ? En juin 2015, le HDP (Halkların Demokratik Partisi – Parti démocratique des peuples), pro-kurde, a recueilli 13 % des suffrages, un résultat relativement bon qui a apparemment mis en fureur le Premier ministre. La séquence suivante nous montre que Recep Tayyip Erdoğan n'a pas besoin de réforme constitutionnelle pour gouverner comme il le souhaite. Sans que la Constitution ait été modifiée, c'est le Président de la République qui gouverne et non pas le Premier ministre. Depuis trois ans, on continue pourtant à nous servir le discours suivant : Recep Tayyip Erdoğan a besoin de renforcer sa majorité pour pouvoir changer la Constitution.

Quand on est dans une logique de personnalisation du pouvoir à l'extrême, sans aucun contrepoids, on fait ce que l'on veut. Quand la question de la peine de mort s'est posée, juste après le coup d'État, Erdoğan pouvait faire absolument ce qu'il voulait. Or le gouvernement turc a pourtant tenu compte des signaux très clairs qui lui ont été envoyés par les institutions européennes, signifiant que ce serait un point de non-retour. C'est très instructif sur le dialogue entre l'Union européenne et la Turquie. Les Européens doivent être très présents et très attentifs sur tous les points de forces dont ils disposent, alors qu'ils ont trop tendance à se percevoir comme en position de faiblesse vis-à-vis de la Turquie.

La période de juin à novembre 2015 a été marquée par des attentats et par la fin du processus de paix avec les Kurdes. Or, il faut le rappeler, l'aboutissement de ce processus de paix est absolument indispensable au retour à une situation normale en Turquie. Focalisés sur la guerre en Syrie, nous avons tendance à moins regarder ce qui se passe à l'est de la Turquie. Pour ma part, je considère que la Turquie est en guerre depuis un an sur son propre territoire. Après l'attentat à Ankara, dont les circonstances ne sont pas très claires et qui a coûté la vie à une centaine de personnes, une ambiance de terreur s'est installée pendant les trois dernières semaines de la campagne électorale. Les partis d'opposition ont été extrêmement gênés dans leur campagne et tous les efforts du HDP ont été pratiquement bloqués. Il y a eu des arrestations parmi les militants qui se sont laissé gagner par un fort découragement. Malgré tout, le parti a réussi à se maintenir. À quoi cela sert-il puisque les députés sont sous la menace d'une levée de leur immunité pour des accusations de proximité avec le PKK ?

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