Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Les objectifs fixés le 11 janvier dernier par le Président de la République à notre intervention au Mali restent les mêmes. Le premier consistait à stopper l'offensive des groupes terroristes engagée trois jours plus tôt pour les empêcher de menacer Bamako et l'État malien : il a été atteint très rapidement puisque, cinq heures après, les premières frappes sont intervenues, pendant lesquelles le chef de bataillon Damien Boiteux a perdu la vie – cette réactivité a été déterminante. Le deuxième objectif tendait à contribuer à la restauration de la souveraineté du Mali et de l'intégralité de son territoire, afin de permettre à ce pays de renouer avec ses traditions démocratiques : il est en voie d'être satisfait. Quant au troisième, il visait à permettre la mise en oeuvre des décisions internationales par le déploiement de la MISMA et l'EUTM Mali : sa réalisation dépend du précédent.

Je tiens également à saluer la réactivité, l'efficacité, le courage et la lucidité de nos militaires dans cette opération difficile, qui supposait sang-froid et savoir-faire. Son bon déroulement jusqu'à maintenant est tout à l'honneur de nos armées.

Cela étant, nous poursuivons notre lutte contre les groupes terroristes, comme l'a montrée notre intervention à Kidal la nuit dernière.

Le dispositif français actuel repose sur 3 500 hommes sur place, 4 500 militaires étant engagés dans l'opération Serval. Dix-huit jours après la décision du Président de la République, un niveau très significatif de forces a donc pu être mobilisé avec les équipements nécessaires.

Ce dispositif sera complété dans les jours qui viennent par l'arrivée à Dakar du bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude, qui va permettre la création d'un groupement interarmes équipé de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), avec 600 militaires supplémentaires. Un sous-groupement blindé comptant 270 soldats est par ailleurs en cours d'acheminement.

Les diapositives qui vous sont projetées montrent l'évolution de la situation depuis la fin de la semaine dernière. La première fait état de la situation le 23 janvier, à un moment où nous venions de prendre Diabali sur le fuseau ouest et Douantza sur le fuseau est avec les forces maliennes – deux villes où étaient concentrés des éléments terroristes, relevant plutôt d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) pour l'une et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) et d'Ansar Eddine pour l'autre – : on y voit la localisation des forces relevant de ces trois groupes. La deuxième rend compte de la situation aujourd'hui : les villes de Gao, sur le fuseau ouest, et Tombouctou, sur le fuseau est, ont été libérées de façon très satisfaisante au cours du week-end dernier, également avec le soutien des forces maliennes – la première grâce à l'intervention d'hélicoptères, l'autre par celle d'éléments parachutés.

Nous nous attachons à ce que les autorités maliennes retrouvent rapidement leurs responsabilités : à Gao, le maire et le gouverneur ont repris leurs fonctions et, à Tombouctou, le maire et le président de la région devaient le faire aujourd'hui. Les aéroports de ces villes sont par ailleurs en train d'être remis en état de fonctionnement par les unités du génie. Nous avons bénéficié d'un soutien malien à Tombouctou et d'un soutien malien, nigérien et tchadien à Gao, la libération de cette ville s'étant révélée plus compliquée. Ces deux villes sont en train d'être sécurisées. Par ailleurs, sur le fuseau ouest, les villes de Léré et Goundam sont gérées par les autorités maliennes et contrôlées par les forces armées du pays.

Plus au nord, nous avons, la nuit dernière, repris l'aéroport de Kidal dans une zone perturbée par une tempête de sable. Nous bénéficions du soutien possible des forces tchadiennes et nigériennes, qui ont pénétré par le sud.

Quant aux groupes terroristes, certains se dispersent ; d'autres tentent d'approcher les pays voisins, mais les frontières de la Mauritanie et de l'Algérie sont fermées et sécurisées ; d'autres, enfin, se replient dans l'Adrar des Ifoghas, qui est une zone montagneuse et difficile d'accès. Ils ont enregistré des pertes significatives depuis le 11 janvier, grâce aux nombreuses frappes que nous avons effectuées sur les lieux de rassemblement, les véhicules de guerre, les centres d'entraînement et les lieux de ravitaillement et de réservoir d'essence. En outre, nous avons été amenés à neutraliser un nombre significatif de terroristes.

À Kidal, nous sommes dans une situation particulière puisque la composition ethnique des populations de cette région diffère de celle du sud : nous avons fait en sorte d'avoir avec les représentants du monde touareg des relations de bonne intelligence. Pour l'instant, nous restons sur place.

S'agissant de la MISMA, on dispose de 3 000 militaires africains sur la zone, dont un millier au sud et environ 2 000 à l'est et au sud-est. Au sud, figurent des Nigérians – le chef d'état-major de cette mission en fait d'ailleurs partie –, des Béninois, des Sénégalais, des Burkinabè – installés à Markala – et des Togolais – à San. Demain, d'autres forces nigérianes s'installeront à Banamba. Cette présence appuie l'armée malienne et permet aux forces françaises de se consacrer à d'autres activités.

À l'est, on dispose de forces significatives du Tchad – je rappelle que ce pays est associé au processus mais n'est pas membre de la MISMA – et du Niger, avec un bataillon arrivé à Ansongo, ville ciblée par nos bombardements avant-hier.

Ces forces doivent être complétées : les chefs d'état-major de la CDEAO ont pris des engagements permettant d'arriver à la mobilisation de 6 000 militaires. Ces engagements font l'objet d'un financement acté hier lors de la conférence des donateurs d'Addis Abeba. Notre ministre des affaires étrangères, qui s'y trouvait, m'a indiqué ce matin que les résultats étaient supérieurs à nos prévisions, puisque 380 millions d'euros ont été annoncés au profit des actions que la MISMA sera amenée à entreprendre pour relayer les forces françaises.

Concernant le soutien international, nous avons bénéficié d'une aide réelle dans le domaine de la logistique, qui était le plus difficile pour nous dans la montée en puissance de l'opération. Plusieurs pays européens nous ont accordé un apport très concret : les Britanniques – qui ont été les premiers à assurer une liaison en avions de transport C-17 –, les Belges, les Allemands, les Espagnols, les Polonais, les Danois et les Suédois. Il faut y ajouter l'aide en transport significative du Canada et des États-Unis. Ce soutien, qui nous a permis d'intervenir plus rapidement, servira également au transport des forces africaines.

Je précise que le soutien américain correspond à notre demande. Il concerne le renseignement – qui est essentiel –, le transport – avec des rotations de C-17 – et le ravitaillement – dont la question est maintenant clarifiée – ; il est appelé à se poursuivre.

Quant à la mission EUTM Mali de soutien et de formation de l'armée malienne, elle a effectivement fait l'objet, hier, d'une « conférence de génération de forces » : les apports sont significatifs. Ainsi, l'Allemagne et l'Espagne apporteront chacun 45 militaires, le Royaume-Uni 40 et l'Italie 35 sur un total d'environ 400 hommes. La France en assumera la responsabilité sous la direction d'un officier français, le général Lecointre, qui est déjà présent à Bamako. La mission sera opérationnelle à partir du 12 février.

S'agissant de la coordination de la MISMA, des forces françaises, des forces maliennes, de la mission européenne et de l'armée tchadienne, il faut trouver le moyen adéquat : le chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud, est parti avant-hier à Bamako à cet effet, l'objectif étant que la MISMA remplace progressivement les forces françaises et assure la mission de recouvrement et de restauration de l'intégrité du territoire malien.

Nous pensons qu'aujourd'hui, l'heure est au dialogue et à l'initiative politique pour que le Mali retrouve complètement un fonctionnement démocratique. Le Président de la République l'a fait savoir au président Traoré et M. Laurent Fabius l'a rappelé hier à ce dernier lors de la réunion d'Addis Abeba. Il faut notamment que les initiatives soient prises pour que la réconciliation nationale puisse avoir lieu. Nous nous employons à cet effet par la voie diplomatique. Un processus a commencé avec l'annonce par le président Traoré des élections prévues d'ici au 31 juillet prochain et la mise en oeuvre de la feuille de route validée par l'Assemblée nationale malienne hier, qui présente plusieurs avancées, même si elle n'est pas à nos yeux totalement satisfaisante.

Concernant les exactions et risques de revanche, nous avons donné à nos soldats des consignes extrêmement strictes. Nous avons également demandé aux autorités maliennes de faire en sorte que les unités de leurs forces armées prennent leurs responsabilités et évitent des pillages ou toutes formes d'exactions. Nous devons montrer la plus grande fermeté à cet égard.

Si nous avons eu écho d'événements qui se seraient passés à Niono et à Sévaré par la Fédération internationale des droits de l'homme, pour l'instant, nous n'avons pas confirmation de l'ensemble des faits. Nous restons cependant vigilants et en relation étroite avec les ONG. Nous avons d'ailleurs demandé l'envoi d'observateurs des Nations unies sur place pour éviter toute dérive dans cette période de mutation politique sensible.

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